Production éclair de fer: par une technique 3600 plus productive?
L'image en tête de l'article du South China Morning Post - repris par la revue Geo, et par "Interesting Engineers" est sans rapport avec le sujet. Il s'agit de la vue d'une coulée de haut-fourneau, une étape de la production de fer sous la forme de fonte puis d'acier par la filière haut-fourneau plus cokerie.
La production éclair de fer dont il est question: c'est une production flash (éclair cad. ultra rapide) de fer dans un réacteur (une colonne) dans laquelle le fer est produit sans fusion. C'est une technique novatrice en cours d'études et d'essais aux Etats-Unis qui vise à se substituer à la filière haut-fourneau plus cokerie, en raison d'une consommation d'énergie importante et de production importante de CO2, gaz à effet de serre, par cette filière. Ces études sont faites aux Etats-Unis à l'Université d'Utah, en relation avec l'American Iron and Steel Institute et des sidérurgistes. Le procédé est prometteur mais encore très loin du stade industriel pouvant alimenter en capacité les aciéries d'aujourd'hui. Cette technique s'ajoute à celles qui veulent produire du fer par des procédés d'enrichissement, ou désoydation, sans fusion de métal, notamment la réduction directe. Le produit est destiné à alimenter les aciéries, soit au niveau du convertisseur de la filière fonte-cokerie supprimant ainsi toute la parte amont, soit en fours électriques. Comme souvent la Chine copie et se targue de leadership.
Cet article du China Morning Post m'amène à rafraichir mes souvenirs sur la sidérurgie, la production d'acier et de produits sidérurgiques.
Commençons d'abord par: quels sont les processus et les étapes de la production d'acier et de produits sidérurgiques aujourd'hui, depuis la mine?
1: Le minerai de fer
Le Brésil et l'Australie sont les premiers producteurs de minerai de fer du monde. Sans oublier la Mauritanie SNIM ex Miferma .
Le minerai de fer tel qu'extrait du sol, doit être enrichi en fer (Fe).
D'une part pour que son transport vers les marchés mondiaux, cad. les lieux où l'on produit l'acier, soit le plus économique possible, car rien ne sert de transporter de la gangue stérile qu'il faut extraire pour produire l'acier.
D'autre part, pour que la teneur en fer soit la plus élevée possible pour permettre l'application de procédés d'élaboration de l'acier, les plus performants possibles.
Ces deux objectifs s'obtiennent par l'enrichissement en fer du minerai de fer sur les sites miniers ou sur les sites sidérurgiques intégrés.
L'enrichissement des minerais
A) Pelletisation sur les sites miniers (pellets ou boulettes)
L'enrichissement à la mine consiste à broyer le minerai finement (<100-150 microns) et à séparer les oxydes de fer des minéraux de gangue par des techniques de flotation. On obtient ainsi un concentré d'oxydes de fer. Mais ce concentré ne peut pas être utilisé en l'état vu que c'est une poudre; il doit être aggloméré.
Le premier procédé qui se déroule sur le site minier, est la pelletisation - ou bouletage. C'est la production de boulettes de 5-8mm de diamètre à l'aide d'un liant, une argile la bentonite, qui est ajoutée à raison de 2-3%; puis le séchage de ces boulettes et leur cuisson dans un four tournant pour les rendre résistants et permettre leur utilisation dans les procédés de production d'acier au haut-fourneau ou au four électrique. Les pellets ont une teneur en fer de 60-62%.; ils améliorent le rendement du haut-fourneau car ils sont plus riches en fer et plus facilement reductibles (désoxydables) que le minerai brut. Les sites miniers sans capacité de production de boulettes vendent du minerai brut dont la teneur est généralement de 55-60% de fer.
Les mines d'Australie et du Brésil produisent du minerai de fer et des pellets enrichis correspondant à ces processus de production. Elles servent les centres sidérurgiques du monde entier en minerai de fer nécessaire à l'économie mondiale.
B) Agglomération sur les sites sidérurgiques
Un autre procédé d'enrichissement est la production d'aggloméré ou sinter sur une chaîne continue et qui se déroule sur les sites sidérurgiques intégrés haut-fourneau plus cokerie. Voir. Le but est aussi d'accroître la productivié du haut-fourneau en augmentant la teneur en fer et la réductibilté du produits.
2: Production d'acier par la voie fonte et cokerie
La production par la voie des hauts-fourneaux et le coke: c'est une longue histoire. Lire wikipedia.
Dans la voie industrielle d'aujourd'hui , héritage de la révolution industrielle et d'améliorations successives , l'acier est produit par la voie de la fonte (un mélange de fer à 95% et de carbone à 4-5%) , obtenu par la fusion/réduction de minerais de fer, de pellets ou d'agglomérés sinter, ou d'un mélange des trois, dans un haut-fourneau par réaction avec le CO produit par la combustion de coke. L'image en tête montre une coulée de fonte à la base (le creuset) d'un haut-fourneau. La séparation du laitier (la gangue du minerai) et de la fonte se fait plus haut dans le haut-fourneau en raison des fluidités différentes laitier/fonte. Car dans l'alimentation du haut-fourneau, en plus du minerai de fer, on y ajoute du calcaire ou castine et du spath-fluor qui contribue à abaisser la température de fusion de la gangue. La différence laitier/fonte est relative aux densités très différentes: 2.5 pour le laitier 7.8 pour le fer de sorte qu'à l'état liquide le laitier est au dessus de la fonte.
La fonte est coulée dans une poche transportée par rails vers le premier élément de l'aciérie à savoir le convertisseur Bessmer. La combustion de l'excès de carbone se fait au convertisseur Bessmer (par insufflation d'oxygène) pour atteindre 0.5% de carbone.
Ensuite on fait des ajouts d'éléments d'alliage dans une autre poche, par exemple du nickel et du chrome pour obtenir des aciers inoxydables, ou du manganèse pour obtenir des aciers très durs et résistants ou du vanadium pour des aciers outils.
Ensuite se déroule la coulée en continue de l'acier ainsi produit, en produits intermédiaires de forme adaptée au produits finals (blooms, brames, billettes) pour permettre le laminage et la production de produits sidérurgiques finals, produits plats tôles ou profilés par exemple rails ou ronds à béton.
Voir ma vidéo sur la production au Brésil
La voie haut-fourneau plus cokerie nécessite de grandes usines sidérurgiques intégrées depuis l'arrivée du minerai jusqu'aux produits finals -tôles, profilés, rond à béton. Nous avons cela aujourd'hui à Dunkerque et à Fos sur Mer. Les autres sites sidérurgiques ont disparu, mais ça c'est une longue histoire de l'évolution de la sidérurgie française de 1945 à 1970 jusqu'à Arcelor Mittal et son propriétaire Laxsmi Mittal.
La production des hauts fourneaux modernes est de 8000-10000t/j ou 3-3.5Mt/an. Ces usines intègrent la préparation des minerais, la fabrication de coke en cokerie, l'agglomération et le(s) haut-fourneau(x). Le coke est fabriqué à partir de charbons à coke relativement rares parmi les charbons et provenant de gisements spécifiques en Plogne ou aux Etats-Unis. Le coke est un résidu solide poreux et fissuré constitué uniquement de carbone et de matières minérales calcinés. Le coke resiste aux charges dans le mélange minerais-coke.
Production d'énergie et de CO2 de la filière haut-fourneau plus cokerie:
La filière de production haut-fourneau + cokerie consomme beaucoup d'énergie à tous les stades et produit du gaz carbonique qui participe au changement climatique. C'est la raison pour laquelle des recherches ont lieu pour trouver des alternatives à la filière haut-fourneau-cokerie.
Les recherches dont il est question dans l'article du China Mornig post ont été conduites à l'Université d'Utah au Etats-Unis entre 2012 et 2018. Les résultats sont prometteurs mais très loin encore du stade industriel capable d'alimenter en tonnage les aciéries modernes.
Ces recherches ont pour objet de substituer la production de fer liquide par la voie fonte -cokerie par une production de fer sans fusion. Toute la partie haut-fourneau et cokerie serait ainsi supprimée. D'autres procédés industriels le permettent déjà: il s'agit de la réduction directe. Et Arcelor Mittal a un projet en cours.
3: Production d'acier par la voie four électrique
L'autre voie de production d'acier, cette fois sans haut-fourneau et cokerie, c'est le four électrique. Cette voie requiert une matière première beaucoup plus élevée en fer que le Haut-fourneau. C'est d'abord les ferrailles; en effet, on a depuis l'époque industrielle une quantité phénoménale de fer que l'on peut donc récupérer. La production de fer minier par la voie du bouletage vient donc en supplément. C'est à la demande des sidérurgistes aux mineurs que l'idée est venue d'enrichir le minerai de fer des mines à une teneur telle qu'on puisse l'utiliser au four électrique. Ce sont donc les pellets. Les fours électriques ont une capacité de production de 10 à 400t par jour. LIEN.
4: Production de fer par le procédé de la réduction directe
La réduction directe ou plutôt la désoxydation du minerai de fer est un procédé de production de fer sans fusion. C'est un ensemble de procédés d'obtention de fer à partir de minerai de fer, par réduction des oxydes de fer sans fusion du métal. Le produit obtenu est du minerai de fer préréduit qui peut être utilisé au four électrique pour produire de l'acier.
Ce schéma illustre l'ensemble des procédés de production d'acier.
Les productions mondiales par procédés sont ici:
Elles montrent la prédominance actuelle de la voie haut-fourneau et coke et du four électrique.
La voie haut-fourneau et coke dans le monde contribue à 20% de la production de CO2.
Vu le changement climatique et l'épuisement des combutibles fossiles, les recherches s'orientent vers la production de fer sans fusion.
5: Production de fer par flash
C'est une nouvellle tentative de produire du fer sans fusion. Le nouveau procédé de fabrication rapide (flash) du fer à haute intensité est une alternative viable qui utilise des concentrés de minerai de fer. Le processus utiliserait du gaz naturel (ou de l’hydrogène) peu coûteux et abondant à la fois pour chauffer le minerai dans le four et pour éliminer l’oxygène, convertissant ainsi le minerai en fer métallique. Bien que similaire au procédé de réduction directe, cette avancée permettrait de traiter le minerai en poudre fine, éliminant ainsi le processus de briquetage de la réduction directe. Le produit pourrait être ajouté aux fours à arc électrique ou aux convertisseurs à oxygène pour une production d’acier plus propre. Le procédé en est encore au stade des recherches. Développé à l'université d'Utah aux Etats-Unis en relation avec l'American Iron and Steel Institute et des sidérurgistes, les essais à petite échelle sont prometteurs mais on est encore très loin aujourd'hui du stade industriel pouvant alimenter en capacité les aciéries d'aujourd'hui.
6: Autre procédé en cours de réalisation par Arcelor Mittal à Fos sur Mer, plus avancé celui-là.
GravitHy : une innovation majeure pour l’industrie sidérurgique – Fos-sur-Mer
Le projet GravitHy, implanté à Fos-sur-Mer, s’impose comme une révolution pour l’industrie sidérurgique. Avec 2,2 milliards d’euros d’investissement et une technologie bas-carbone utilisant de l’hydrogène vert, il produira 2 millions de tonnes de fer pré-réduit chaque année, tout en évitant 4 millions de tonnes de CO2. Un projet phare pour la transition énergétique et industrielle.
Sources:
Histoire de la production d'acier- La sidérurgie française 1945-1979 Arcelor Mittal
- Histoire de Sollac Gandrange
- Histoire de Solmer à Fos sur Mer Port autonome de Marseille PAM
- Hauts fourneaux
- Cokeries
- Four à arc électrique
- Réduction directe
- Pellets ou boulettes de concentré de fer
- Large grate sintering line
- Sinter grate Metso manufacturer
- Production de fer par flash
- Flash Iron Making by Interesting Engineers
- Arcelor Mittal making of steel
- Histoire de la sidérugie française
- Acier et Sidérurgie Wikipedia
- Florange et Arcelor Mittal
- Florange et le procédé ULCOS
- Laxsmi Mittal
GravitHy : une innovation majeure pour l’industrie sidérurgique – Fos-sur-Mer
- Famille de Wendel maîtres de forge
- Usinor-Sacilor
- Sollac Solmer
- Francis Mer l'homme fort de la sidérurgie française