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Patrick Artus – Peut-on ne pas réformer les retraites ?

 

Il y a deux objectifs à la réforme des retraites mise en route en France : l'équité (un euro cotisé donne les mêmes droits à la retraite pour tous les Français) et l'efficacité économique (sans réforme avec le vieillissement démographique le poids des retraites dans le PIB va augmenter continuellement dans le futur).

L'objectif d'équité est en réalité complexe. L'espérance de vie d'un retraité dépend beaucoup de la profession exercée : l'espérance de vie à 35 ans est de 49 ans pour les hommes cadres, 53 ans pour les femmes cadres, 43 ans pour les hommes ouvriers et 50 ans pour les femmes ouvrières. L'équité parfaite supposerait donc qu'un euro cotisé donne droit à la même retraite cumulée pendant la durée de la retraite, plus courte lorsque le métier exercé a été pénible, ce qui est difficile à réaliser (*). Concentrons-nous donc sur l'objectif d'efficacité, qui est essentiellement lié au vieillissement démographique.
(*) Cet aspect démographie est à la base de cette difficulté. Voir cet article d'Alain Parant démographe de l'INED
   Qui est Alain Parant

18 % du PIB en 2040

Aujourd'hui, l'espérance de vie à 62 ans (âge moyen de la retraite) en France est de 20 ans pour les hommes et 25 ans pour les femmes, et les plus de 60 ans représentent 53 % des 20 à 59 ans. En 2040, l'espérance de vie à 62 ans devrait être de 23 ans pour les hommes et 28 ans pour les femmes, et la population de plus de 60 ans devrait représenter 69 % de la population de 20 à 59 ans. Cela signifie que si l'on ne changeait aucun des paramètres présents du système de retraite (niveau des retraites par rapport au salaire d'activité, âge de départ à la retraite), le poids des retraites publiques dans le PIB passerait de 13,8 % aujourd'hui à 18 % en 2040.

Lire aussi Réforme des retraites : les implacables chiffres de la démographie

Ceci ne constitue pas une prévision, car les réformes de retraite déjà mises en place (calcul du salaire de référence à partir des 25 meilleures années, indexation partielle des retraites sur les prix) vont faire baisser dans le futur la générosité du système de retraite en France, même en l'absence de réformes nouvelles.

Mais cela montre l'effet considérable du vieillissement démographique sur les poids des dépenses de retraite en l'absence de réforme. Pourrait-on alors envisager qu'on renonce à réformer les retraites, et qu'on laisse ainsi monter les poids de retraites dans le PIB ? Ceci est possible en réalité à deux conditions.

Distorsions

D'abord, que les jeunes soient d'accord. Dire que le poids des retraites dans le PIB est de 13,8 % est la même chose que dire que l'on prélève par l'impôt 13,8 % des revenus des actifs pour payer les retraites. Les jeunes seraient-ils d'accord pour que le prélèvement passe de 13,8 % à 18 % ? Il est possible qu'ils le soient afin de préserver leur propre situation comme retraité dans le futur, mais il est possible qu'ils refusent de rendre 18 % de leurs revenus.

Il faut ensuite que le financement des retraites ne crée pas de distorsions défavorables à l'emploi, à l'investissement et à la croissance. On sait en particulier que, dans les pays de l'OCDE, un poids élevé des cotisations sociales des entreprises est associé à un taux d'emploi faible. Il faudrait donc trouver un mode de financement des retraites (par la CSG, la TVA…) qui ne génère pas cette distorsion dangereuse. De plus, le financement par les cotisations sociales des entreprises créerait un problème de compétitivité-coût des entreprises françaises par rapport à celles des autres pays de la zone euro où le poids des retraites est plus faible (en 2019, 10 % du PIB contre 13,8 % en France).

Si les jeunes rejettent une pression fiscale plus élevée pour financer les retraites, ou bien s'il est impossible d'éviter les distorsions (perte d'emploi, de compétitivité) associées à cette pression fiscale, alors il faut réformer les retraites en France pour éviter que le vieillissement démographique en accroisse le poids.

Effet sur la consommation

Comment faire ? Il parait clair qu'il ne faut pas réduire le niveau des retraites. Des retraites plus basses d'une part réduiraient la consommation des retraités (qui ont une forte propension à consommer leurs revenus), conduiraient à une hausse de la pauvreté chez les retraités, d'autre part pousseraient les actifs à épargner davantage en prévision d'une retraite faible, d'où un effet global très négatif sur la consommation.

L'instrument normal du rééquilibre des régimes de retraite est donc la durée minimale de cotisation nécessaire pour avoir une retraite complète (l'âge de la retraite ne tient pas compte de l'âge d'entrée dans la vie active). Il ne faut donc pas un « âge pivot », mais un allongement calculé de manière à équilibrer le système de la durée de cotisations.