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EXCLUSIF. Vatican : « Sodoma », les extraits du livre qui dérange

 

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De l'extravagant cardinal Burke à l'« anneau de luxure » entourant Jean-Paul II, morceaux choisis de l'enquête menée par Frédéric Martel.

EXTRAITS 

 

ab680c75f14384bd409fb1317fcc7a36.jpg « Sodoma », de Frédéric Martel (Robert Laffont, 638 p., 23 €). Parution le 21 février.

 

Célibat des prêtres, rejet du préservatif, démission de Benoît XVI : tout s'explique 

« En méconnaissant sa dimension largement homosexuelle, on se prive d'une des clés de compréhension majeures de la plupart des faits qui ont entaché l'histoire du Saint-Siège depuis des décennies : les motivations secrètes qui ont animé Paul VI pour confirmer l'interdiction de la contraception artificielle, le rejet du préservatif et l'obligation stricte du célibat des prêtres ; la guerre contre la "théologie de la libération" ; les scandales de la banque du Vatican à l'époque du célèbre archevêque Marcinkus, un homosexuel lui aussi ; la décision d'interdire le préservatif comme moyen de lutte contre le sida, alors même que la pandémie allait faire plus de trente-cinq millions de morts ; les affaires VatiLeaks I et II ; la misogynie récurrente, et souvent insondable, de nombreux cardinaux et évêques qui vivent dans un milieu sans femmes ; la démission de Benoît XVI ; la fronde actuelle contre le pape François… Chaque fois, l'homosexualité joue un rôle central que beaucoup devinent mais qui n'a jamais vraiment été raconté. La dimension gay n'explique pas tout, bien sûr, mais elle est une clé de lecture décisive pour qui veut comprendre le Vatican et ses postures morales. »

Le « carnaval » Raymond Burke 

« Là, Son Eminence porte des robes à vertugadin qui lui donnent de l'ampleur et cachent ses bourrelets. Sur cette autre photo, il détonne avec sa chape et une épaisse hermine blanche autour du cou, qui lui fait un triple menton. Ici encore, il sourit avec des jarretières au-dessus du genou et des bas au-dessous, qui rappellent ceux du roi de France avant la guillotine. Souvent, on le voit entouré de jeunes séminaristes qui lui baisent la main - magnifiques au demeurant, tant notre Hadrien semble avoir le culte de la beauté grecque, qui, on le sait, fut toujours plus mâle que femelle. Faisant à la fois l'admiration et la risée de Rome, Burke [cardinal américain ultraréactionnaire, NDLR] apparaît toujours bien entouré de chaperons obséquieux, d'Antinoüs à genoux devant lui ou de garçons d'honneur portant la longue traîne rouge de sa cappa magna, tels les enfants de chœur d'une nouvelle mariée. Quel spectacle ! Le cardinal en jupe soufflette ses éphèbes, et les pages, en retour, ajustent sa robe retroussée ! Il me fait penser à l'infante Marguerite dans "Les Ménines", de Vélasquez !

(…) Il peut se balader toutes voiles dehors (…) en robe extralongiligne, dans une forêt de dentelle blanche ou vêtu d'un long manteau en forme de robe de chambre, tout en dénonçant à longueur d'interviews, au nom de la tradition, une "Eglise devenue trop féminisée".

"Le cardinal Burke est ce qu'il dénonce", résume sévèrement un proche de François. Lequel estime que le pape pensait peut-être à lui lorsqu'il a dénoncé les prélats "hypocrites " aux "âmes maquillées". »

Jean-Paul II et l'« anneau de luxure » 

« Sous Paul VI, on était encore dans l'homophilie et l'"inclination". Avec Jean-Paul II, les choses changent complètement de nature et d'ampleur. Dans son entourage, il y a plus de pratiquants et un niveau de vénalité et de corruption parfois inimaginables. Il y a eu autour du saint-père un véritable anneau de luxure.

C'est un prêtre de curie qui me parle ainsi, l'un des témoins du pontificat. Lorsqu'il emploie l'expression "anneau de luxure", ce monsignore ne fait que reprendre une idée déjà avancée par Benoît XVI et François. S'ils se sont bien gardés de citer tel ou tel cardinal, ou de critiquer leur prédécesseur polonais, les deux papes ont été choqués par l'entourage hybride de Jean-Paul II.

François ne parle jamais au hasard. Et, lorsqu'il lance cette attaque sévère, souvent répétée depuis, contre le "courant de corruption" de la curie, il a évidemment des noms en tête. On est en juin 2013, au début de son règne : le pape s'exprime en espagnol devant un groupe de représentants catholiques latino-américains. La discussion porte, une fois n'est pas coutume, sur le lobby gay. Et, si le nouveau pape évoque un anneau de "corruption", c'est qu'il détient des preuves : il vise des cardinaux précis. Il pense à des Italiens, à des Allemands et, bien sûr, à des cardinaux latinos ou à des nonces qui ont été en poste en Amérique latine.

Il est de notoriété publique que des scandales ont émaillé le pontificat de Jean-Paul II et que plusieurs des cardinaux de son cercle rapproché étaient à la fois homosexuels et corrompus. Mais, jusqu'à cette enquête, je n'avais pas mesuré le degré d'hypocrisie de la curie romaine sous Karol Wojtyła. Son pontificat aurait-il été "intrinsèquement désordonné" ? (…) C'est en rencontrant les cardinaux, les évêques et les prêtres qui ont travaillé avec lui que j'ai découvert la face cachée - la face sombre - de son très long pontificat. Un pape entouré d'intrigants, d'une majorité d'homosexuels dans le placard, souvent homophobes en public, sans parler de tous ceux qui ont protégé des prêtres pédophiles.

Paul VI avait condamné l'homosexualité, mais ce n'est qu'avec Jean-Paul II qu'une véritable guerre contre les gays a été lancée. Ironie de l'histoire : la plupart des acteurs de cette campagne sans bornes contre les homosexuels l'étaient personnellement. En faisant ce choix de l'homophobie officielle, Jean-Paul II et son entourage n'ont pas pris la mesure du piège qu'ils se tendaient à eux-mêmes et du risque qu'ils faisaient courir à l'Eglise ainsi minée de l'intérieur. Ils se sont lancés dans une guerre morale suicidaire qu'ils allaient forcément perdre, car elle consistait à dénoncer ce qu'ils étaient. La chute de Benoît XVI en sera la conséquence finale, me dit un prêtre de curie qui a travaillé auprès du ministre des Affaires étrangères de Jean-Paul II. »

 

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Duplicité. Président du Conseil pontifical pour la famille sous Jean-Paul II, le cardinal colombien Alfonso Lopez Trujillo (décédé en 2008) menait, selon Frédéric Martel, une double vie. Pourfendant l’homosexualité le jour, il avait la nuit un appartement secret où « il amenait les séminaristes, les jeunes hommes et les prostitués ».

 

La gaffe de Bertone

« On le sait peu, mais en coulisse une camarilla gay s'agite pour attiser les polémiques et intriguer à tout-va. Parmi eux, des cardinaux et des évêques, tous homosexuels pratiquants, sont à la manœuvre. Une véritable guerre des nerfs commence, qui vise Bertone [Tarcisio Bertone, cardinal secrétaire d'Etat de Benoît XVI, NDLR] et bien sûr aussi, à travers lui, le pape [Benoît XVI, NDLR]. En toile de fond de ces intrigues se cachent tant de haines recuites, de médisances, de rumeurs et parfois d'histoires d'amour, de liaisons et de ruptures amoureuses anciennes qu'il est difficile de démêler les problèmes interpersonnels des véritables questions de fond. (…) Dans ce contexte maussade parviennent au Saint-Siège de nouvelles révélations graves sur des affaires d'abus sexuels en provenance de plusieurs pays. Déjà au bord de l'explosion, le Vatican va être emporté par cette lame de fond dont la cité papale, plus de dix ans après, ne s'est toujours pas remise.

Aussi homophobe que Sodano [le Premier ministre de Jean Paul II, parfois surnommé "le vice-pape", NDLR], Bertone a sa propre théorie sur la question pédophile, qu'il livre finalement au grand public et à la presse, lors d'un voyage au Chili où il arrive, très remonté, flanqué de son assistant favori. Le secrétaire d'Etat s'exprime ici officiellement, en avril 2010 [sous le pontificat de Benoît XVI, NDLR], sur la psychologie des prêtres pédophiles. Une nouvelle polémique mondiale est sur le point d'éclater.

Voici les phrases du cardinal Bertone : "De nombreux psychologues, de nombreux psychiatres ont démontré qu'il n'y avait aucune relation entre le célibat [des prêtres] et la pédophilie ; mais beaucoup d'autres ont démontré, m'a-t-on dit récemment, qu'il y a une relation entre homosexualité et pédophilie. Cela est vrai. C'est le problème."

L'intervention officielle, prononcée par le numéro deux du Vatican, ne passe pas inaperçue. Ces propos, en plein faux et en plein vague, suscitent un tollé international : des centaines de personnalités, de militants LGBT, mais aussi des ministres européens et des théologiens catholiques dénoncent les phrases irresponsables du prélat. Pour la première fois, sa déclaration lui vaut un démenti prudent du service de presse du Vatican, validé par le pape. Que Benoît XVI sorte de sa réserve pour laisser entendre une nuance de désaccord avec son Premier ministre trop homophobe : l'affaire ne manque pas de sel. Le moment est donc grave.

Comment Bertone a-t-il pu se laisser aller à une formule aussi absurde ? J'ai interrogé plusieurs cardinaux et prélats sur ce point : ils ont plaidé l'erreur de communication ou la maladresse ; un seul m'a donné une explication intéressante. Selon ce prêtre de curie, qui a travaillé au Vatican sous Benoît XVI, la position de Bertone sur l'homosexualité est stratégique, mais elle refléterait aussi le fond de sa pensée. Stratégique d'abord, parce qu'elle est une technique bien rodée pour rejeter la faute sur les brebis égarées qui n'ont rien à faire dans l'Eglise plutôt que de remettre en question le célibat des prêtres. La sortie du secrétaire d'Etat reflète aussi le fond de sa pensée puisqu'elle correspond, indique la même source, à ce que pensent les théoriciens dont Bertone est proche, tels le cardinal Alfonso López Trujillo ou le prêtre-psychanalyste Tony Anatrella. Deux homophobes obsessionnellement pratiquants !

Il faut encore ajouter des éléments de contexte que j'ai découverts durant mes voyages au Chili. Le premier, c'est que la congrégation la plus affectée par les abus sexuels dans ce pays n'est autre que celle dont Bertone est issu : la congrégation des Salésiens de Don Bosco. Ensuite, et cela a fait rire tout le monde : lorsque Bertone s'exprime en public pour dénoncer l'homosexualité comme matrice de la pédophilie, il est entouré sur certaines photos par au moins deux prêtres homosexuels notoires. Sa déclaration a "perdu en crédibilité" par ce simple fait, m'indiquent plusieurs sources. Enfin, Juan Pablo Hermosilla, l'un des principaux avocats chiliens dans les affaires d'abus sexuels de l'Eglise, notamment celle du prêtre pédophile Fernando Karadima, m'a livré cette explication sur les liens entre homosexualité et pédophilie qui me semble pertinente : "Ma théorie est que les prêtres pédophiles utilisent les informations dont ils disposent sur la hiérarchie catholique pour se protéger. C'est une forme de pression ou de chantage. Les évêques qui ont eux-mêmes des relations homosexuelles sont contraints de se taire. Cela explique pourquoi Karadima a été protégé par [des évêques et des archevêques] : non pas parce qu'ils étaient eux-mêmes pédophiles, et d'ailleurs la plupart ne le sont pas, mais pour éviter que leur propre homosexualité soit découverte. Voilà pour moi la source véritable de la corruption et du cover-up institutionnalisé de l'Eglise." »

« Tout le monde se tient » 

« On peut aller plus loin. Bien des dérives de l'Eglise, bien des silences, bien des mystères s'expliquent par cette règle simple de Sodoma : "Tout le monde se tient." Pourquoi les cardinaux se taisent-ils ? Pourquoi tout le monde ferme-t-il les yeux ? Pourquoi le pape Benoît XVI, qui était au courant de bien des scandales sexuels, ne les a-t-il pas forcément transmis à la justice ? Pourquoi le cardinal Bertone, ruiné par les attaques d'Angelo Sodano, n'a-t-il pas fait sortir les dossiers qu'il avait sur son ennemi ?

Parler des autres, c'est prendre le risque qu'on parle de vous. Voilà la clé de l'omerta et du mensonge généralisé de l'Eglise. Au Vatican et à Sodoma, on est comme dans "Fight Club" - et la première règle du "Fight Club" c'est : on n'en parle pas ; personne ne parle du "Fight Club". »§

VANDEVILLE ERIC/ABACA – GALAZKA/SIPA - DR

 

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