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EXCLUSIF. Vatican : « chemsex parties », double vie du cardinal Trujillo...

« Le Point » publie de nouveaux extraits de « Sodoma » (Robert Laffont), l'enquête explosive de Frédéric Martel sur l'homosexualité au sommet de l'Église. PAR THOMAS MAHLER

Publié en France le 21 février et simultanément en sept autres langues, Sodoma (éd. Robert Laffont) affiche en couverture un cierge, mais a tout d'une bombe éditoriale. Son auteur, le journaliste, chercheur et écrivain Frédéric Martel, spécialiste de la question homosexuelle, a enquêté pendant quatre ans au sein du Vatican, mais aussi dans trente pays. L'auteur du Rose et le Noir et de Mainstream a interrogé près de 1 500 personnes, dont 41 cardinaux, 52 évêques et monsignori et 45 nonces apostoliques. Sur 630 pages, le sociologue décrit ce qu'il nomme « le secret le mieux gardé du Vatican » : l'omniprésence des homosexuels au sommet de l'Église. Après les premiers extraits publiés par Le Point en exclusivité, nous dévoilons ce jeudi de nouveaux passages, relatant les « chemsex parties » du prêtre Capozzi, la double vie du cardinal réactionnaire Trujillo et une analyse du pontificat de Benoît XVI.

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Extraits de « Sodoma », de Frédéric Martel (Robert Laffont, 638 p., 23 €). Parution le 21 février 2019.

Les « chemsex parties » du prêtre Luigi Capozzi

14ba779c02c1f4cc73d796658690796a.jpg« Une autre affaire, qui s'est déroulée sous Benoît XVI et Bertone, mais sera révélée sous François, concerne les “chemsex parties”. J'avais entendu dire depuis longtemps que des soirées de ce type se déroulaient à l'intérieur même du Vatican : de véritables orgies collectives où le sexe et la drogue se mêlent dans un cocktail parfois dangereux (“chem” signifie ici “chemicals” pour drogue synthétique, souvent MDMA, GHB, DOM, DOB, DiPT et certaines drogues pharmacopées). Longtemps, j'ai pensé qu'il s'agissait de rumeurs, comme il en existe tant au Vatican. Et puis, soudain, à l'été 2017, la presse italienne a révélé qu'un monsignore, le prêtre Luigi Capozzi, qui était depuis plus de dix ans l'un des principaux assistants du cardinal Francesco Coccopalmerio, a été arrêté par la gendarmerie vaticane pour avoir organisé des “chemsex parties” dans son appartement privé du Vatican. (J'ai interrogé sur ce dossier un prêtre de curie qui a bien connu Capozzi et j'ai également rencontré le cardinal Coccopalmerio.)

Proche de Tarcisio Bertone, et très apprécié par le cardinal Ratzinger, Capozzi habitait dans un appartement situé dans le palais du Saint-Office, lui-même entouré de quatre cardinaux, plusieurs archevêques, et de nombreux prélats, dont Lech Piechota, assistant du cardinal Bertone, et Josef Clemens, ancien secrétaire particulier du cardinal Ratzinger.

Je connais bien ce bâtiment car j'ai eu l'occasion d'y dîner des dizaines de fois : l'une de ses entrées se situe en territoire italien, l'autre à l'intérieur du Vatican. Capozzi avait un appartement idéalement situé pour organiser ces orgies stupéfiantes car il pouvait jouer sur les deux tableaux : la police italienne ne pouvait pas perquisitionner son appartement, ni sa voiture diplomatique, puisqu'il résidait à l'intérieur du Vatican ; et il pouvait sortir impunément de chez lui, sans passer par les contrôles du saint-siège, ni être fouillé par les gardes suisses, puisqu'une porte de sa résidence s'ouvrait directement sur l'Italie. Tout un rituel était déployé sur place : les “chemsex parties” se faisaient en lumière tamisée rouge, avec une forte consommation de drogues dures, des vodka-cannabis à la main, et des invités très coquins. De véritables “nuits de l'enfer” !

Selon les témoins que j'ai interviewés, l'homosexualité de Capozzi était connue de tous – et donc vraisemblablement de ses supérieurs, du cardinal Coccopalmerio et de Tarcisio Bertone – et ce d'autant plus que le prêtre n'hésitait pas à sortir dans les clubs gays de Rome ou à fréquenter, l'été, les grandes soirées LGBT du Gay Village Fantasia, au sud de la capitale.

— Durant ces chemsex parties, il y avait d'autres prêtres et employés du Vatican, ajoute l'un des témoins, un monsignore qui a participé à ces festins. Depuis ces révélations, le prêtre Luigi Capozzi a été hospitalisé dans la clinique Pie XI et n'a plus donné signe de vie. (Il est toujours présumé innocent tant que son procès pour usage et recel de stupéfiants n'a pas eu lieu.) »

La « vie débridée » du cardinal Trujillo

« L'homosexualité du cardinal Alfonso López Trujillo (cardinal colombien mort en 2008, ancien président du Conseil pontifical pour la famille sous Jean-Paul II NDLR) est un secret de polichinelle dont des dizaines de témoins m'ont parlé et que plusieurs cardinaux m'ont eux-mêmes confirmé. Son “pan-sexualisme”, pour reprendre le mot d'une des entrées de son dictionnaire, est réputé à Medellín, à Bogotá, à Madrid comme à Rome.

L'homme était un expert du grand écart entre la théorie et la pratique, entre l'esprit et le corps, un maître absolu dans l'hypocrisie – un fait notoire en Colombie. Un proche du cardinal, Gustavo Àlvarez Gardeazábal, est même allé jusqu'à écrire un roman à clé, La Misa ha terminado, dans lequel il a dénoncé la double vie de López Trujillo qui en est, sous pseudonyme, le personnage principal. Quant aux nombreux militants gays que j'ai interrogés à Bogotá lors de mes quatre voyages en Colombie – en particulier ceux de l'association Colombia Diversa qui compte plusieurs avocats –, ils ont accumulé de nombreux témoignages qu'ils ont partagés avec moi.

L'universitaire vénézuélien Rafael Luciani m'indique que l'homosexualité maladive d'Alfonso López Trujillo est désormais “bien connue des instances ecclésiastiques latino-américaines et de certains responsables du CELAM”. Un livre serait d'ailleurs en préparation sur la double vie et la violence sexuelle du cardinal López Trujillo, cosigné par plusieurs prêtres. Quant au séminariste Morgain, qui a été l'un des assistants de López Trujillo, il m'indique, à son tour, le nom de plusieurs de ses rabatteurs et amants, obligés pour beaucoup d'assouvir les désirs de l'archevêque pour ne pas saborder leur carrière.

— Au départ, je ne comprenais pas ce qu'il voulait, me raconte Morgain, durant notre dîner à Bogotá. J'étais innocent et ses techniques de drague m'échappaient complètement. Et puis, peu à peu, j'ai compris son système. Il sortait dans les paroisses, dans les séminaires, dans les communautés religieuses pour repérer des garçons qu'il entreprenait ensuite, de façon très violente. Il pensait qu'il était désirable ! Il forçait les séminaristes à céder à ses avances. Sa spécialité, c'étaient les novices. Les plus fragiles, les plus jeunes, les plus vulnérables. Mais, en fait, il couchait avec tout le monde. Il avait aussi beaucoup de prostitués.

Morgain me laisse entendre qu'il a été “bloqué” pour son ordination par López Trujillo parce qu'il n'avait pas accepté de coucher avec lui.

López Trujillo était l'un de ces hommes qui recherchent le pouvoir pour avoir du sexe et le sexe pour avoir du pouvoir. Alvaro Léon, son ancien maître de cérémonie, a lui-même mis du temps à comprendre ce qui se passait :

— Des prêtres me disaient, l'air entendu : “Tu es le type de garçon que l'archevêque aime bien”, mais je ne comprenais pas ce qu'ils insinuaient. López Trujillo expliquait aux jeunes séminaristes qu'ils devaient lui être totalement soumis et aux prêtres qu'ils devaient être soumis aux évêques. Qu'on devait se raser de près, s'habiller de manière parfaite pour lui “faire plaisir”. Il y avait plein de sous-entendus que je ne comprenais pas au début. J'étais chargé de ses déplacements et il me demandait souvent de l'accompagner dans ses sorties ; il m'utilisait en quelque sorte, pour entrer en contact avec d'autres séminaristes. Ses cibles, c'étaient les jeunes, les Blancs aux yeux clairs, les blonds en particulier ; pas les “Latinos” trop indigènes, de type mexicain par exemple – et surtout pas les Noirs ! Il détestait les Noirs. Le système López Trujillo était bien rodé. Alvaro Léon poursuit :

— La plupart du temps, l'archevêque avait des “rabatteurs” comme M., R., L. et même un évêque surnommé “la gallina”, des prêtres qui lui trouvaient les garçons, les draguaient pour lui dans la rue, et les lui amenaient dans cet appartement secret. Ce n'était pas occasionnel, mais une véritable organisation. (Je dispose de l'identité et de la fonction de ces prêtres “rabatteurs”, confirmées par au moins une autre source. Mon researcher colombien, Emmanuel Neisa, a enquêté sur chacun d'eux.)

Au-delà de cette vie débridée, de cette “drague en feu”, les témoins racontent aussi la violence de López Trujillo qui abusait des séminaristes, de façon verbale et physique.

— Il les insultait, il les humiliait, ajoute Alvaro Léon.

Tous les témoins signalent que le cardinal ne vivait pas son homosexualité de manière apaisée, comme la plupart de ses confrères à Rome. C'était pour lui une perversion, enracinée dans le péché, qu'il exorcisait par la violence physique. Était-ce sa manière à lui, vicieuse, de se délivrer de tous ses “nœuds d'hystérie” ? L'archevêque avait aussi des prostitués à la chaîne : sa propension à payer pour les corps était notoirement connue à Medellín.

— López Trujillo battait les prostitués, c'était cela son rapport à la sexualité. Il les payait mais ils devaient accepter ses coups en retour. Cela se passait toujours à la fin, pas pendant l'acte physique. Il finissait ses relations sexuelles en les frappant par pur sadisme, assure encore Alvaro Léon.

À ce degré de perversion, la violence du désir a quelque chose d'étrange. Ces bourrées sexuelles, ce sadisme à l'égard des prostitués ne sont pas communs. López Trujillo n'a aucun égard pour les corps qu'il loue. Il a même la réputation de mal payer ses gigolos, négociant durement, le regard opaque, le prix le plus bas. S'il y a un personnage pathétique dans ce livre, c'est lui : López Trujillo. »

Benoît XVI, « le pontificat le plus gay de l'histoire »

« Le pontificat de Benoît XVI a donc commencé sur des chapeaux de roues et s'est poursuivi dans la multiplication des scandales, toutes voiles dehors. Sur la question gay, la guerre contre les homosexuels reprend de plus belle, comme au temps de Jean-Paul II ; l'hypocrisie fait plus que jamais système. Haine des homosexuels à l'extérieur ; homophilie et double vie à l'intérieur. Le cirque continue.

“Le pontificat le plus gay de l'histoire” : l'expression vient de l'ex-prélat Krzysztof Charamsa. Lorsque j'interviewe à Barcelone puis à Paris ce prêtre qui a longtemps travaillé aux côtés de Joseph Ratzinger, il insiste plusieurs fois sur cette expression à propos des années Benoît XVI : “le pontificat le plus gay de l'histoire”. Quant au prêtre de curie don Julius, qui note qu'il était “difficile d'être hétérosexuel sous Benoît XVI”, même s'il y a bien quelques exceptions, il a une expression forte pour définir l'entourage du pape : “fifty shades of gay”.

François lui-même, évidemment moins direct, a pointé les paradoxes de cet entourage incongru en employant une formule sévère contre les ratzinguériens : “narcissisme théologique”. Un autre mot codé qu'il utilise aussi pour insinuer l'homosexualité : “autoréférenciel”. Derrière les rigidités, on le sait, se cachent souvent les doubles vies.

— J'éprouve une profonde tristesse en repensant au pontificat de Benoît, l'un des moments les plus sombres pour l'Église, où l'homophobie représentait la tentative constante et désespérée de dissimuler l'existence même de l'homosexualité parmi nous, me dit Charamsa.

Durant le pontificat de Benoît XVI, plus on monte dans la hiérarchie vaticane, plus on trouve en effet d'homosexuels. Et la majorité des cardinaux que le pape a créés seraient au moins homophiles, et certains très “pratiquants”.

— Sous Benoît XVI, un évêque homosexuel qui donne l'impression d'être chaste a bien plus de chances de devenir cardinal qu'un évêque hétérosexuel, me confirme un célèbre frère dominicain, fin connaisseur du ratzinguérisme, qui fut titulaire de la chaire Benoît XVI à Ratisbonne.

À chacun de ses déplacements, le pape est accompagné par quelques-uns de ses plus proches collaborateurs. Parmi eux, le célèbre prélat surnommé Mgr Jessica : il profite des visites régulières du saint-père à l'église Sainte-Sabine de Rome, siège des Dominicains, pour donner aux jeunes frères sa carte de visite. Sa “pickup line”, ou technique de drague, a été commentée dans le monde entier, quand elle a été divulguée par une enquête du magazine Vanity Fair : il essayait d'emballer les séminaristes en leur proposant de voir le lit de Jean XXIII !

— Il était très “touchy” et très intime avec les séminaristes, reconnaît le prêtre Urien, qui l'a vu faire.

Deux autres évêques gayissimi assignés au protocole, qui entourent Ratzinger de leur affection et sont proches du secrétaire d'État Bertone, multiplient eux aussi les garçonnades : ayant rodé leurs techniques sous Jean-Paul II, ils continuent de les perfectionner sous Ratzinger. (Je les ai rencontrés tous les deux avec Daniele (un collaborateur de Frédéric Martel NDLR) et l'un des deux nous a dragués assidûment.) »

 

 

Publié le 14/02/19 à 16h11 | Source lepoint.fr

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