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Jean-Louis Debré : «On a un pouvoir concentré à un point que l’on n’a jamais connu»

Source JDD Politique|Propos recueillis par Myriam Encaoua et Henri Vernet| 08 juillet 2018, 7h10

 

 

Paris XVe, le 24 mai 2018. Selon Jean-Louis Debré, Emmanuel Macron, « grisé » par sa première année de pouvoir, n’est plus à l’écoute des Français. LP/Olivier Corsan

Ancien président du Conseil constitutionnel et de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré attend d’Emmanuel Macron qu’il soit à l’écoute des Français.

Alors qu’Emmanuel Macron convoque le Congrès à Versailles lundi 9 juillet, Jean-Louis Debré réagit à la première année d’exercice du pouvoir du jeune chef d’Etat et de son gouvernement.

S’adresser en majesté au Congrès à Versailles, est-ce utile ? Les députés LFI et quelques LR n’iront pas et dénoncent le côté monarchique de la chose…

Jean-Louis Debré. C’est prévu par la Constitution, que le président utilise cette possibilité ne me choque pas. Les Anglais ont le discours du trône, nous avons notre message de Versailles. Que des députés censés représenter et incarner la nation et l’autorité législative boycottent me paraît absurde.

Quel est le but de ce discours ? Il montre que la politique est plus que jamais un métier du spectacle. Le président de la République est un acteur talentueux du théâtre de la politique. Si j’étais parlementaire, j’aurais envie de prendre la parole (NDLR, les orateurs des groupes s’expriment une fois le président parti) et de dire : « Attention, on passe progressivement de l’état de bienveillance à l’état de l’interrogation et du doute ».

 

C’est-à-dire ?

Interrogation sur la personnalité du président, qui privilégie l’image sur le fond, et le doute sur sa politique. Nous sommes à un carrefour. N’utilisons pas la politique-spectacle pour décevoir les Français.

C’est ce que fait Macron ?

Il parle, nous fait part de sa vérité, il n’écoute que sa vérité et ne cherche pas à comprendre la vérité des autres. A Versailles, il parle et puis s’en va, il n’y a pas de dialogue – c’est interdit par la Constitution. On a le sentiment d’une mise en scène, où l’image est plus importante que la parole.

Il y a un risque d’enfermement, d’arrogance ?

Il est dans un rôle et ne veut pas en sortir. Peu lui importent les critiques, les doutes, il s’enferme dans sa vérité et n’entend pas bouger d’un iota. Attention, en général, ces politiques emmènent dans le mur. C’est la tendance de tous les hommes et les femmes qui arrivent au pouvoir la première année : ils sont tellement grisés par leur fonction qu’ils n’écoutent plus.

Grisé ?

Oui, grisé par l’entourage, par les courtisans, les spécialistes en communication, on oublie la réalité du pays. Le problème pour Macron est particulier dans la mesure où il a un désert politique autour de lui. La droite est un navire ivre ne sachant pas quel cap prendre, inaudible. Et à gauche il n’y a plus rien. Là est le danger.

Pourquoi ?

Parce que si l’on passe de l’état de doute à l’état d’opposition – et comme il n’y en a pas –, les Français pourraient se tourner vers des oppositions radicales.

Vous qui avez travaillé avec Jacques Chirac, vous trouvez que ce président manque d’empathie ?

Il y a deux différences fondamentales avec lui. Chirac doutait sans arrêt, il s’interrogeait sur le bien-fondé des décisions qu’il prenait. Et les Français avaient le sentiment que le président les comprenait, les entendait. Ils avaient une certaine sympathie pour lui, au-delà du jugement sur sa politique. Là, plus les jours s’écoulent, moins les Français ont le sentiment d’être en communion avec le président de la République. C’est très grave.

Qu’attendez-vous du discours du Congrès ?

Que le président dise : je vais m’occuper des Français. Comme le général de Gaulle, je vais partir chaque jour au contact des Français, les écouter, essayer de comprendre. Et je vais me faire accompagner des membres du gouvernement. On a le sentiment de ne connaître que le président ! C’est un phénomène de pouvoir concentré à un point que l’on n’a jamais connu.

Vous aviez bien accueilli l’élection de Macron il y a un an. Vous êtes déçu ?

Je n’ai pas envie d’être déçu. Je dis simplement attention, ne faisons pas que tous ceux qui, comme moi, ne se retrouvant ni dans la droite, ni dans la gauche, ont apporté leur soutien à Macron se disent : finalement, on a fait une erreur.

Vous êtes favorable à la réforme des institutions ?

C’est un mal bien français qui consiste à changer les règles du jeu en permanence. Je suis admiratif de François Mitterrand qui, après avoir critiqué les institutions de la Ve République quand il était dans l’opposition, les a parfaitement appliquées.

L’introduction de la proportionnelle pour élire les députés est-elle une bonne chose ?

N’oublions jamais que la IVe République est morte de l’incapacité d’avoir des majorités. Il faut s’interroger sur la finalité d’un mode de scrutin : sert-il à donner une photographie de l’opinion publique ? Si oui, alors on fait la proportionnelle et on organise des élections tous les ans car les Français changent d’opinion rapidement.

Si, comme les Anglo-Saxons, on considère que le mode de scrutin doit permettre de constituer une majorité pour gouverner, alors on choisit le scrutin majoritaire. On devrait avoir présent à l’esprit les conséquences de la répétition de la proportionnelle en Italie et en Allemagne !

Cette réforme affaiblit-elle ou renforce-t-elle le Parlement ?

Pour le renforcer, commençons par avoir des lois qui ne soient pas bavardes et inutiles. Le dérèglement du système législatif vient d’abord du gouvernement. Ensuite, il faudrait que les décrets d’application puissent être pris rapidement, or il y a encore beaucoup de travail.

Enfin, il faudrait renforcer la fonction de contrôle du Parlement, notamment dans l’évaluation des politiques publiques. L’Assemblée comme le Sénat doivent pouvoir compter sur une administration de contrôle.

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