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Source: lejdd.fr 10 mars 2018, modifié à 12h42 , le 5 avril 2018

 

Jean-Louis Debré sur Emmanuel Macron : "Tout le monde n’est pas De Gaulle"


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Introduction d’une dose de proportionnelle, limitation du nombre de mandats dans le temps, recours au référendum : Jean-Louis Debré met en garde le chef de l’Etat, engagé dans une réforme constitutionnelle, contre la tentation de démagogie. "Il y a un mal français qui consiste à changer sans cesse les règles du jeu politique", explique-t-il en développant avec une métaphore sportive : "Cela me fait penser aux joueurs de football qui n’arrivent pas à marquer : pour y parvenir, soit ils s’entraînent plus, soit ils élargissent les buts. Et nous, nous sommes sans arrêt en train d’élargir les buts."

Que pensez-vous de la réforme des institutions, engagée par Emmanuel Macron?
Il y a un mal français qui consiste à changer sans cesse les règles du jeu politique. Cela me fait penser aux joueurs de football qui n'arrivent pas à marquer : pour y parvenir, soit ils s'entraînent plus, soit ils élargissent les buts. Et nous, nous sommes sans arrêt en train d'élargir les buts.

Faut-il introduire une dose de proportionnelle aux législatives?
Si l'on considère que le rôle d'un mode de scrutin, c'est de faire une photographie de l'opinion, adoptons la proportionnelle. Mais comme les Français changent d'opinion régulièrement, alors faisons des élections tous les ans! Si l'on considère, en revanche, que le mode de scrutin est la technique démocratique par laquelle le peuple choisit une majorité qui va permettre à un gouvernement de diriger pendant une période donnée, alors choisissons le scrutin majoritaire. La proportionnelle a été une des causes, sous la IVe République, de l'instabilité gouvernementale : près de 15 gouvernements en onze ans! Nos institutions actuelles sont le résultat d'une analyse très précise de ces dysfonctionnements.

Beaucoup de pays ont pourtant adopté la proportionnelle, intégrale ou partielle…
Regardons ce qui s'y passe. En ­Allemagne, Angela Merkel a dû mener des négociations interminables avec les partis politiques. En Italie, on parle même de nouvelles élections! La répétition des scrutins avec une dose de proportionnelle conduit à la multiplication des partis. Elle aboutira au retour d'une instabilité chronique, d'autant plus qu'elle se cumulera avec les règles de financement de la vie politique, qui incitent déjà les petits partis à multiplier les candidatures.

Votre avis sur la limitation à trois du nombre de mandats successifs?
Elle me choque, parce que dans le système démocratique, c'est à l'électeur de choisir qui il veut comme élu. Mais je comprends aussi qu'il faille un renouvellement de la vie politique. Il faut surtout changer les pratiques politiques. Revenons aux deux sessions parlementaires de jadis. Celle d'hiver serait consacrée à l'examen des budgets. Elle s'ouvrirait avec la loi de règlement budgétaire qui clôt le précédent exercice, ce qui permettrait de voir si le gouvernement a respecté ses engagements. En avril, s'ouvrirait la session législative, et chaque ministre viendrait alors dire publiquement comment ont été appliqués les textes votés à la session précédente.

Et la réduction du nombre de parlementaires?
Il y a trop de parlementaires. Dans la Constitution initiale, il n'y avait d'ailleurs que 482 députés et 301 sénateurs. C'est la réforme de 2008 qui en a augmenté le nombre.

Etes-vous favorable au recours aux ordonnances?
J'y suis favorable. En 1936, Léon Blum réforme par décrets-lois. De Gaulle, en 1959, réforme les institutions, la justice, l'éducation, tout, par voie d'ordonnances. De même pour Mitterrand, en 1981, et Chirac. Ils avaient compris qu'on ne réforme pas lentement en France. Il faut aller vite, parce que l'état de grâce ne dure pas.

Emmanuel Macron veut aussi limiter le droit d'amendement des députés…
Je ne connais pas le détail de ces mesures, mais le Conseil constitutionnel a toujours considéré que le droit d'amendement faisait partie de la fonction parlementaire, et qu'on ne pouvait pas limiter ce droit.

Que pensez-vous du recours éventuel au référendum pour faire adopter cette réforme?
Je dis : attention. Sur ces questions institutionnelles, les Français ne répondent jamais à la question posée. Lorsque le général de Gaulle a décidé le recours au référendum, en 1969, sur la régionalisation et sur la réforme du Sénat, tout le monde était d'accord sur le principe. Mais les partis politiques traditionnels ont préféré faire de la politique. Ils voulaient virer de Gaulle. Voilà comment une réforme nécessaire, voulue, a échoué. Attention, donc, à ce que cela ne se renouvelle pas.

Le recours au référendum via l'article 11 de la Constitution, envisagé par l'Elysée, vous paraît-il possible juridiquement?
De Gaulle l'a fait. Mais tout le monde n'est pas de Gaulle. Et a-t-on intérêt à dresser les Français les uns contre les autres, à ouvrir des débats politiques alors qu'on a tellement besoin d'union et de cohésion?

Vous êtes d'accord, sur ce point, avec Nicolas Sarkozy…
Non, parce que Nicolas Sarkozy n'aurait pas dû faire la réforme de 2008. Hormis la création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui a été une révolution juridique, le reste était purement démagogique. On voulait que le président de la République aille parler à Versailles… Gadget! C'est purement et simplement le discours du trône.

Mentionner la Corse dans la Constitution, est-ce nécessaire?
La France est une République une et indivisible. Introduire la notion de Corse, en disant que cela n'aura aucun effet juridique, quel est l'intérêt? Et vous aurez immédiatement des revendications des Bretons, des Basques… La Constitution n'est pas là pour faire plaisir à tel ou tel, mais pour conduire le pays dans la stabilité, la durée et l'intérêt général. Qu'on réforme la France, qu'on change un certain nombre de règles du jeu, oui. Mais qu'on ne le fasse pas par démagogie ou populisme.