Les ratés de l’EPR menacent le renouveau du nucléaire
Source lefigaro.fr Frédéric de Monicault (avec des ajouts en italiques et commentaires de moi).
EDF a une nouvelle fois décidé de reporter le démarrage de la centrale de Flamanville. Le réacteur du futur accuse déjà sept ans de retard et son budget initial a été multiplié par trois.
C’était il y a exactement cinq semaines. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) exigeait par courrier auprès d’EDF le remplacement de plusieurs soudures de haute technologie à Flamanville (Manche). Un énorme coup dur pour l’électricien dont le chantier du réacteur de nouvelle technologie EPR accuse déjà sept ans de retard. Vendredi, à l’occasion de la publication des résultats semestriels de l’électricien, son PDG Jean-Bernard Lévy a confirmé le nouveau calendrier informel qui circulait: Flamanville 3 ne sera pas opérationnel avant fin 2022. Ce nouveau délai porte à dix ans le dérapage chronologique d’un projet qui devait être opérationnel en 2012.
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Le dossier, en plus d’être une catastrophe industrielle, a pris une résonance politique: au début de l’été, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a mandaté l’ancien président de PSA Peugeot Citroën, Jean-Martin Folz, pour éclairer les raisons des déboires de Flamanville. Le locataire de Bercy juge la situation inacceptable «de la part d’une filière nucléaire qui est un fleuron français». La mission Folz doit rendre ses travaux pour le début de l’automne. «Sur la valeur ajoutée des conclusions, tout va dépendre de la façon dont Jean-Martin Folz parvient à s’entourer, souligne un spécialiste de l’atome. Le cas est complexe et il faut de solides compétences pour l’analyser sans concessions.»
L’EPR de Flamanville (EPR) est le prototype du réacteur nucléaire de troisième génération. Conçu conjointement par la France et l’Allemagne - à travers Areva et Siemens -, il est à la fois plus puissant (1 650 mégawatts), plus robuste et plus sûr que les générations précédentes.
NDLR: L’EPR ((Evolutionary Pressurised water Reactor) est un réacteur dit « évolutionnaire », c’est-à-dire que sa conception repose sur celle des réacteurs existants, les réacteurs nucléaires de type N4 (4 réacteurs de 1450MW à Chooz et Civaux) français et Konvoi allemands. Il bénéficie ainsi de technologies éprouvées et du retour d’exploitation de ces prédécesseurs. Voir le dossier sur le site de l'IRSN.
Où sont les centrales et les réacteurs?
Puissance totale installé 62400MW
Le montant final de la facture inconnu
En toile de fond, il y a cette question centrale: EDF doit-il poursuivre coûte que coûte l’aventure EPR? Celle-ci implique à terme non seulement la construction d’une flotte de nouveaux réacteurs en France pour remplacer les centrales actuelles, mais aussi la diffusion de cette technologie à l’étranger - avec le démarrage par EDF d’un premier chantier en Grande-Bretagne. Depuis plusieurs mois, des associations environnementales réclament l’arrêt pur et simple de Flamanville, en plus de renoncer définitivement à la relance d’un programme. Interrogé, le géant français répond que de tels débats n’ont aucun fondement. Mais certains, au sein même de l’entreprise, n’oublient pas que l’ancien directeur financier, Thomas Piquemal, a démissionné en 2016 parce qu’il jugeait les investissements engagés sur l’EPR britannique d’Hinkley Point déraisonnables.
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Pour Lionel Taccoen, ancien directeur régional adjoint au sein de la direction de l’équipement d’EDF, la filière nucléaire française n’a pas le choix: «La Chine a démarré deux EPR, c’est la preuve que la technologie marche. Il faut donc aller au bout des chantiers en cours. EDF doit continuer de reconstituer ses compétences d’architecte-ensemblier sans quoi l’entreprise sera affaiblie dans son rôle structurant au service de l’industrie.»
«Si on ne termine pas Flamanville, cela signifie qu’on ne fermera pas les centrales à charbon»
Ces choix sont d’autant plus stratégiques que les grandes orientations d’EDF sont indissociables de la politique énergétique française. «Si on ne termine pas Flamanville, cela signifie qu’on ne fermera pas les centrales à charbon, soit un renoncement à une décision forte en matière de transition écologique, analyse Nicolas Goldberg chez Colombus Consulting, cela veut dire aussi qu’on accepte une perte sèche de 10 milliards d’euros. Certes, ce prototype n’aura pas une rentabilité folle, mais EDF limite les pertes.» Au départ, le devis initial de l’EPR s’élevait à 3,5 milliards d’euros. Aujourd’hui, il a plus que triplé et personne ne sait le montant final de la facture. Ce qui n’empêche pas EDF de travailler sur un «EPR 2», un EPR optimisé dont le coût de construction intégrant à la fois un effet de série et les différents retours d’expérience pourrait chuter de 30 % par rapport à Flamanville.
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«On dit que le mégawattheure (MWh) de Flamanville ressort beaucoup plus cher qu’un MWh dans certains récents appels d’offres renouvelables (éolien, solaire, biomasse…), mais les deux domaines ne sont pas comparables, souligne Valérie Faudon, la déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (Sfen). D’abord, l’EPR de Flamanville est une tête de série, ensuite, dans un cas, l’énergie est pilotable, dans un autre, elle ne l’est pas, victime de son intermittence.»
La construction de l’EPR est une longue série de déboires. Si l’Autorité de sûreté a finalement validé la résistance de la cuve - longuement examinée pour sa trop forte teneur en carbone -, il n’en est pas de même pour plusieurs soudures. EDF va devoir les refaire.
Compétitivité accrue des énergies vertes
La part du renouvelable dans la production d’électricité a dépassé la part du duo charbon-nucléaire
ndlr: EN ALLEMAGNE; cet oubli montre que le journaliste ne comprend pas bien le sujet. Le mix énergétique en Allemagne est complètement différent.
Cette confrontation directe entre nucléaire et énergies vertes revient aussi à se demander, si EDF mettait un terme à son aventure EPR, dans quelle mesure la France pourrait se passer à terme d’énergie nucléaire, qui couvre aujourd’hui plus des trois-quarts de sa production d’électricité. L’Allemagne a fait ce choix: juste après la catastrophe de Fukushima en 2011, la chancelière Angela Merkel a décidé d’un retrait progressif de l’atome, pour un arrêt définitif en 2022. Mais Berlin peut compter sur une quantité de centrales à charbon pour effectuer son energiewende («tournant énergétique») vers le vert. Selon les chiffres tout juste publiés par l’Institut Fraunhofer, pour la première fois cette année, la part du renouvelable dans la production d’électricité a dépassé la part du duo charbon-nucléaire: 47,3 % contre 43,4 % au cours du premier semestre 2019.
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Ce recours au charbon, la France ne veut plus en entendre parler. La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la feuille des routes des pouvoirs publics sur la période 2018-2028 actuellement discutée au Parlement, a fixé à 2022 l’arrêt des dernières tranches, cinq en tout. Le développement accru du gaz pourrait constituer une alternative mais lui aussi présente l’inconvénient d’être une énergie fossile, quoique moins polluante que le charbon et importée de Russie ndlr. En outre, l’implantation de nouvelles centrales à cycle combiné gaz ressemble à un parcours du combattant. Il a fallu plus de dix ans à Direct Energie, désormais dans le giron de Total, pour obtenir le feu vert à Landivisiau en Bretagne.
Les énergies renouvelables partent de plus loin mais leur essor et la compétitivité sans cesse accrue incitent de nombreux organismes, à commencer par l’Agence de défense de l’environnement et de maîtrise de l’énergie (Ademe), à travailler sur des scénarios 100 % énergie verte. Reste que les projets avancent lentement en raison des freins juridiques et que les difficultés à piloter ces infrastructures sont réelles: à preuve, pendant l’été, le vent ne souffle pas beaucoup et la production éolienne est quasi inexistante, et la nuit il n'y a pas de photovoltaïque ndlr.
Face à ces options, EDF ne manque pas une occasion de rappeler que le nucléaire, qui n’émet pas de CO2, est le meilleur allié pour atteindre les objectifs environnementaux. L’entreprise insiste également sur la dynamique de l’emploi, qui constitue un encouragement supplémentaire à poursuivre l’EPR: plus de 200.000 personnes vivent actuellement dans le pays du nucléaire. Freiner dans l’atome, c’est fragiliser un pan entier de l’industrie nationale avec une très forte dimension sociale à la clé. Les répercussions de l’EPR vont décidément très loin.
La facture s’est envolée, dépassant 11 milliards d’euros pour un devis initial de 3,5 milliards. Avec le nouveau décalage de trois ans, personne ne se risque à estimer la facture finale.
Plus: Quel avenir pour le nucléaire et les déchets?
Mon commentaire: Les déboires de l'EPR de Flamenville sont dûs à des précautions extrêmes en France justifiées par le principe de précaution inscrit dans la constitution, le souci d'éviter tout accident comme Tchernobyl et Fukushima et aussi d'assurer une gestion plus efficace et plus sûre des déchets radioactifs. L'acceptabilité du nucléaire en France par les français est un sujet particulièrement sensible. Les chinois, dans une société différente et avec des contraintes institutionnelles différentes, ont mis en service 2 EPR avec succès. Voir le document "Nuclear Power and the Environment"
Les 58 réacteurs installés sur les 19 sites en France, sont pour la plupart - les 34 de 900MW - agés de près de 40 ans; se pose donc le problème de leur prolongation et/ou de leur renouvellement, par des réacteurs plus gros et plus puissants, car vu les coûts d'investissement énormes, plus c'est gros mieux c'est sur le plan économique. La puissance installée est de 62400MW sur 58 réacteurs, donc en moyenne 1076MW par réacteur. Avec des réacteurs nouvelle génération de 1650MW comme l'EPR de Flamenville 3, pour la même puissance il faudrait 38 réacteurs au lieu des 58. Donc une moindre dispersion des risques; une gestion plus efficace des déchets. Tel est l'enjeu.
En 2017, la production des 58 réacteurs de 62400MW a été de 380TWh. Ce qui donne 6090 heures sur 8760 heures dans l'année et un taux d'utilisation moyen de 70%. Les arrêts sont pour les opérations de maintenance, dont principalement le changement d'une partie du combustible nucléaire dans le réacteur. On change 25% du combustible chaque année.
Car seul le nucléaire permet une production d'électricité la moins carbonée permettant d'accepter l'intermittence de l'éolien et du photovoltaïque sans recourir aux énergies fossiles. Le stockage de l'électricité à grande échelle est impossible sauf quelques stations de transfert d'énergie par pompage STEP.
La situation en Allemagne a été dictée par l'opinion publique sous l'influence des verts anti nucléaires. L'accident de Fukushima a emporté la décision finale de sortie du nucléaire. D'une part c'était facile car le nucléaire ne représentait que 27% du mix électrique en 2004 LIEN. Aujourd'hui c'est 11%, mais pour compenser l'intermittence des renouveables, l'Allemagne doit faire fonctionner des centrales à gaz (de Russie) et au charbon et lignite, ressources dont elle est toujours abondammment dotée. Son mix électrique est donc très carboné aux énergies fossiles. L'Allemagne importe aussi du nucléaire de France, notamment Fessenheim, ce qui réduit son recours au fossiles.
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