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Augmenter le smic détruirait de l'emploi et serait inefficace contre la pauvreté

ENTRETIEN. Président du groupe d'experts indépendants sur le smic, Gilbert Cette explique pourquoi il est favorable à l'augmentation de la prime d'activité. PROPOS RECUEILLIS MARC VIGNAUD

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Gilbert Cette est professeur d'économie à l'université d'Aix-Marseille. Il est le président du groupe  d'experts indépendants sur le smic chargé de formuler une proposition sur le niveau de sa revalorisation annuelle. Il explique pourquoi, selon lui, une augmentation du smic est moins souhaitable que celle de la prime d'activité.

Le Point : Pourquoi l'augmentation de la prime d'activité est-elle, selon vous, une meilleure solution qu'une hausse du smic ?
Pour deux raisons. La première, c'est qu'elle est davantage centrée sur les travailleurs pauvres. Elle est donc beaucoup plus efficace pour lutter contre la pauvreté. Le smic ne l'est pas forcément puisqu'une personne qui perçoit le salaire minimum peut avoir un conjoint qui a des revenus bien plus élevés ou des revenus du capital par ailleurs. Seules 19 % des personnes au smic sont pauvres au sens statistique. La prime d'activité, au contraire, prend en compte l'ensemble des revenus du foyer. La seconde raison, c'est que l'augmentation du salaire minimum entraîne une hausse du coût du travail des personnes peu qualifiées et risque donc de détruire de l'emploi des personnes fragiles. La prime d'activité, elle, n'a pas d'effet sur le coût du travail, puisqu'elle est payée par l'État. C'est pourquoi le groupe d'experts sur le smic a toujours préconisé une augmentation de la prime d'activité plutôt qu'une hausse du smic pour lutter contre la pauvreté. Augmenter le smic aujourd'hui détruirait de l'emploi et serait inefficace pour lutter contre la pauvreté.

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Cette idée que la hausse du smic augmente le coût du travail et détruit donc de l'emploi est de plus en plus contestée… Certains mettent en avant la hausse de plus de 20 % du salaire minimum annoncée en Espagne ou celle du salaire minimum en Angleterre.

Vous parlez de hausses du smic qui vont avoir lieu et dont on n'a, par définition, pas pu évaluer les effets. Il faudra le faire. En attendant, les hausses du smic qui ont eu lieu dans différents pays ont donné lieu à une littérature économique abondante, partagée dans l'ensemble du monde académique, et qui montre que, lorsque le salaire minimum est déjà à un niveau élevé en valeur absolue et par rapport à l'échelle des salaires, alors l'augmentation du salaire minimum a des effets défavorables sur l'emploi. Il y a quelques cas, lorsque le salaire minimum est bas, où son augmentation n'a pas eu d'effet défavorable sur l'emploi. Cela a été observé aux États-Unis. En France, le salaire minimum est l'un des plus élevés, si ce n'est le plus élevé, de tous les pays développés en valeur absolue et en proportion du salaire médian.

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Le risque n'est-il pas, en augmentant la prime d'activité, de créer une trappe à bas salaires, c'est-à-dire de situation dans laquelle les entreprises seraient tentées de ne pas augmenter la personne qui bénéficie de la prime d'activité ?

C'est un danger. Il faut y être attentif. C'est pour cela que la prime d'activité est dégressive. Un euro supplémentaire de revenu du travail, aujourd'hui, ne fait perdre que 39 centimes de prime d'activité, ce qui doit éviter cet écueil. Il faudra être attentif au profil de la prime d'activité augmentée par Emmanuel Macron. C'est justement pour éviter une dégressivité trop forte que le gouvernement a décidé de la relever jusqu'à 1,5 smic, et non plus 1,2 smic seulement. Son élargissement est donc bienvenu pour éviter une dégressivité trop forte autour de 1,2 smic.

Dans votre rapport sur le smic de l'année dernière, vous montriez qu'une hausse du smic ne se traduisait pas nécessairement par une augmentation de même ampleur du niveau de vie de la personne concernée…

Cela dépend beaucoup de la configuration familiale de la personne concernée : si elle est en couple avec une autre personne qui travaille ou pas, le nombre d'enfants, etc. Mais, compte tenu de la dégressivité normale de la prime d'activité et d'autres prestations, comme les APL ou le RSA, 1 % d'augmentation du smic ne se traduit pas par 1 % du revenu de la personne, mais moins. Il y a même des cas où il est nul.

L'Etat a-t-il vraiment les moyens d'augmenter et d'élargir sans cesse la distribution de cette prime d'activité, qui va coûter plus de 8,5 milliards d'euros par an, si l'on en croit les chiffres du gouvernement…

Vous avez raison. On ne pourra pas augmenter indéfiniment la prime d'activité. Avec le nouveau coup de pouce, la question est clairement de savoir si on est au maximum ou pas. Il faudra évaluer ses effets sur la pauvreté, sur l'incitation à travailler, etc. Pour lutter contre la pauvreté, la priorité des priorités est de faire baisser le chômage ! Il faut aussi que les gens puissent connaître des évolutions de carrière pour sortir du salaire minimum. C'est une chose d'être rémunéré au smic, c'en est une autre d'y rester durablement. La seconde priorité est donc de mettre en œuvre des politiques qui favorisent la mobilité salariale, des changements de carrière, etc. C'est tout l'enjeu de la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage.

Les personnes au smic ou proches du smic le restent-elles plus longtemps qu'ailleurs ?

Oui, la France est l'un des pires pays en termes de mobilité salariale.

Comment cela se fait-il ?

Cela s'explique par un système de formation initiale et professionnelle qui doit être réformé. La France est l'un des pays où les résultats des tests Pisa de l'OCDE sont les plus corrélés à l'origine sociale des élèves, au bagage culturel des parents. Il faut réformer l'école pour changer cet état de fait. Ce n'est pas nécessairement une question de moyens, mais d'organisation.

Cela prendra du temps ! En attendant, que dire aux Gilets jaunes ? 

À force de dire que ce sont des politiques de long terme, on ne les met jamais en place. Si on avait fait cet effort il y a 30 ans, on n'en serait pas là. Ce sont des réformes à engager dès maintenant. Certains salariés peuvent déjà bénéficier d'une formation professionnelle utile, il faut les inciter à s'en saisir.

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