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Le Figaro Premium - Les mitterrandistes égarés en «Hollandie»

 

L'Institut François Mitterrand célèbre aujourd'hui le centième anniversaire de la naissance de l'ancien président socialiste, lors d'une cérémonie,  à la pyramide du Louvre. L'occasion pour eux de constater que, décidément, c'était mieux avant...

François Mitterrand est tel le phénix qui renaît toujours de ses cendres. Au début de l'année, on célébrait le vingtième anniversaire de sa mort, le 8 janvier 1996. Quelques mois après l'élection de Jacques Chirac, qui lui rendit hommage à l'époque dans un discours dont les derniers mots - «À l'heure où François Mitterrand entre dans l'histoire, je souhaite que nous méditions son message» - en laissèrent plus d'un perplexes. Aujourd'hui, le centième anniversaire de sa naissance fera l'objet d'une journée de commémoration, organisée à la pyramide du Louvre, par l'Institut François Mitterrand. Une manière de célébrer encore le souvenir de l'ancien président. D'enluminer un peu plus encore la statue du Commandeur, à une époque où la gauche en manque cruellement. De la belle ouvrage. Avec des finitions parfaites, ourlées au petit point. Mitterrand, obsédé par la mort et la trace qu'il laisserait, tellement soucieux de sa place dans l'histoire, a indéniablement très bien organisé sa vie d'après. De la cérémonie des adieux à la gestion de son héritage politique, culturel et même amoureux.

«Il y a deux grands présidents au siècle dernier : de Gaulle et Mitterrand.»

Comme il l'a dit un jour, en 1981, alors que Jacques Attali l'interrogeait sur l'attention extrême qu'il portait à deux conseillers qu'il venait de recruter, en l'occurrence Ségolène Royal et François Hollande: «Je m'intéresse aux gens qui parleront de moi dans trente ans»... Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il les a plutôt bien choisis. Ceux qui agitaient les encensoirs de son vivant, les mitterrandolâtres patentés, ont continué à le faire, afin notamment de dissiper ces fameuses parts d'ombre devenues si envahissantes à la fin de son deuxième mandat: ces interrogations sur ses liens avec René Bousquet, son rôle réel durant la guerre... Quant aux autres, mitterrandiens d'hier et d'aujourd'hui, ils continuent à vouloir capter une part de son héritage. À l'instar d'un François Hollande, qui prononcera aujourd'hui, à 17 heures, la conclusion de cette journée de commémoration officielle.

C'est que Mitterrand continue de fasciner, y compris à droite. Mieux: au fil des ans, une nouvelle petite musique a même commencé à s'imposer: l'idée que l'unificateur de la gauche, celui qui lui a permis d'accéder au pouvoir, resterait dans l'histoire. Interrogés, en janvier dernier, par l'Ifop pourParis Match, 65 % de Français disaient ainsi garder un bon souvenir de l'ancien président, dont 90 % à gauche et 55 % de sympathisants FN... Une cote qui n'étonne guère Jacques Attali, qui énumère ses réformes (la suppression de la peine de mort, les grandes lois sociales, la libéralisation de l'audiovisuel), «ses» monuments (la pyramide du Louvre, l'Arche de la Défense, la Bibliothèque nationale de France), ou encore ses grands choix européens. Hubert Védrine, actuel président de l'Institut François Mitterrand, souligne, lui, «la marque indéniable» qu'il a laissée. L'ancien secrétaire général de l'Élysée de 1991 à 1995 n'hésite pas à affirmer qu'«il y a eu deux grands présidents au siècle dernier: de Gaulle et Mitterrand. Cela s'est imposé petit à petit, notamment parce que les historiens sérieux ont éliminé un certain nombre de controverses, sur sa francisque, la guerre, le Rwanda.» À entendre l'ancien ministre des Affaires étrangères, on aurait tous en soi un petit peu de Mitterrand: «Mitterrand appartient un peu à tout le monde. Il est devenu au sens braudélien du terme un morceau de l'identité française. À un moment donné, tout le monde s'est reconnu en lui.»

«Il me manque et il manque aussi à la France comme tous les grands hommes.»

Une analyse que partage Michel Charasse. Membre du Conseil constitutionnel depuis 2010, l'ancien sénateur maire de Puy-Guillaume se définit comme un mitterrandien de toujours. Il l'a rencontré en 1965, à l'Assemblée, alors qu'il était secrétaire du groupe FGDS (Fédération de la gauche sociale et démocratique) et François Mitterrand, député de la Nièvre et candidat malheureux à la présidentielle. Ils ne se sont pas quittés jusqu'à la mort de l'ancien président, en 1996. Aujourd'hui vice-président de l'Institut François Mitterrand, il estime que «ses deux septennats ont profondément marqué les Français» : «Ils en parlent avec regret, même quand ils n'ont jamais voté pour lui, parce qu'ils ne le voulaient pas ou qu'ils n'avaient pas l'âge.» Récemment encore, l'un de ses admirateurs posthumes lui a dit: «Sous Mitterrand, des ministres n'auraient pas décroché leur téléphone pour engueuler le président!» Effet des années qui passent?

Il y a même des gens de droite qui portent désormais un regard bienveillant sur l'ancien président socialiste. Védrine, qui dit avoir connu moult leaders de droite «exaspérés et fascinés par lui», se souvient ainsi que Jacques Chirac, qu'il voyait tous les jours pendant la cohabitation, lui a dit plein de fois: «Vous savez, le dernier grand président de la Ve, c'est Mitterrand.» «Mitterrand, élevé dans la tradition catholique avec une culture de droite, n'a jamais complètement oublié l'enfance, analyse-t-il. Il était capable de comprendre toutes les facettes de la France. Il a pu ainsi commémorer le millénaire capétien en 1987, puis organiser merveilleusement le bicentenaire de la Révolution de 1789. C'est ce que j'aime chez lui, avec le recul.»

Image du stratège

Du côté des socialistes, on s'attache plus à l'image du stratège qu'il a été, du rassembleur de la gauche. «C'est vrai que lorsqu'il se lance dans cette stratégie en décidant de s'allier avec le PCF, qui est alors le parti le plus stalinien d'Europe, mais représente 25 % des voix, cela semble inimaginable. Il fallait être aventurier», sourit Védrine. Qui ajoute: «Les socialistes sont subjugués par la conquête du pouvoir. Même Jospin, qui avait évoqué un droit d'inventaire, n'a que deux seules photos sur son bureau: avec François Mitterrand.» Julien Dray, qui a connu Mitterrand alors qu'il était un jeune trublion de l'aile gauche du PS et l'un des cofondateurs de SOS Racisme, confirme: «Je pense souvent à lui, pas sur le plan affectif, mais politique. Il reste une boussole dans ma vie politique, même si ce ne fut pas la seule. Il a mené bataille pour le rassemblement de la gauche, n'a jamais cédé sur cette question. C'était une sorte de talisman. Il avait raison et cela a été, de 1971 à 1981, le combat de sa vie.» L'ancien député de l'Essonne ne pense-t-il pas, lui qui est l'un des derniers fidèles de François Hollande, que celui-ci ferait bien de s'inspirer de son prédécesseur? «Mitterrand a été le dernier président de la génération de la guerre. Après, ce n'était plus la même chose. Ses amitiés, sa vision de la société française, tout portait cette empreinte, répond-il. On n'est pas certain qu'il se débrouillerait bien dans le monde actuel. Il a connu un monde bipolaire, le combat contre le fascisme, le communisme, un autre monde. Les conditions de l'exercice du pouvoir ont changé aussi. Il a connu le septennat, il voulait donner du temps au temps. Qu'est-ce que cela donnerait aujourd'hui, avec le quinquennat, ce monde connecté dans lequel nous vivons et dans lequel il faut prendre des décisions vite?» Soit.

Il a toujours su rassembler,  même dans les moments difficiles

Autres temps, autres mœurs. Autre tempérament aussi. Tous les mitterrandistes interrogés en conviennent. Védrine: «François Mitterrand avait un charisme ahurissant. Une espèce d'autorité naturelle.» Kiejman, qui affirme cependant que, politiquement, Mendès lui manque plus: «Il avait du style. Il a toujours su, même dans les moments difficiles, rassembler, ce qui semble manquer singulièrement à nos dirigeants actuels de droite comme de gauche. Il savait prendre les gens à contre-pied . Je suis frappé par l'immensité culturelle, même si elle était datée dans le temps.» Charasse évoque «une grande autorité, un haut sens de l'État, un amour immodéré de la France et un courage à toute épreuve lorsqu'il s'agissait de défendre ce qu'il pensait être les intérêts de son pays. Les Français lui savent gré d'avoir préservé les institutions et la fonction présidentielle, parce qu'ils sentent que c'est la colonne vertébrale de la République.» L'ancien ministre du Budget ajoute: «Si Mitterrand est tellement apprécié, c'est sans doute parce que les gens comparent avec les présidents qu'ils ont connus depuis.»

Jacques Attali renchérit: «Il me manque et il manque aussi à la France comme tous les grands hommes. Il manque quelqu'un ayant la même ampleur que lui. Il avait une capacité pour intimider, une distance, une immense culture... C'était un homme extrêmement impressionnant, complètement différent des autres. Personne n'osait quelque familiarité que ce soit avec lui.» Quant à Anne Lauvergeon, ancienne «sherpa» de Mitterrand, elle souligne qu'il restera «à la fois de lui une vision forte de la France, une vision de l'Europe, et cette idée qu'on ne fait la paix qu'avec ses ennemis».

François Mitterrand avait une conscience aiguë de ses qualités, lui qui a répété à plusieurs reprises à ses interlocuteurs qu'il serait le dernier grand président de la Ve République. «C'est vrai, je l'ai entendu le dire, mais ce n'était pas une phrase mégalomane, analyse Hubert Védrine. Il y avait aussi quelque chose de désabusé. C'était lié à l'époque. Après lui, il n'y a plus eu de présidents nés pendant la Première Guerre mondiale, ayant connu la Seconde Guerre mondiale... C'était un autre monde.» Mais y a-t-il une once de Mitterrand chez Hollande? La réponse fuse: «Comparer Mitterrand et Hollande, c'est absurde. C'est comme si on demandait au général de Gaulle de commenter les primaires de la droite.» Et Védrine d'ajouter, réaliste: «C'est un peu cruel et paradoxal que ce centenaire de la naissance de François Mitterrand tombe au moment où tout ça s'achève...»

Source: premium.lefigaro.fr