"Jean-Claude Marin, le procureur le plus puissant de France, a cédé à Nicolas Sarkozy"
Encore une affaire Sarkozy.... et Justice...
Trois questions à Michel Deléan, journaliste judiciaire à Médiapart, auteur de "Un magistrat politique, enquête sur Jean-Claude Marin, le procureur le plus puissant de France".
Pourriez-vous citer trois affaires qui démontrent que Jean-Claude Marin est "un magistrat politique"?
Dans l'affaire Clearstream, Jean-Claude Marin, a fini par céder à la pression insistante de Nicolas Sarkozy et de son avocat, et dans une moindre mesure à celle des médias et des juges d'instruction... alors que pendant deux ans, il ne voyait pas de charges sérieuses contre Dominique de Villepin. C'est très certainement parce qu'il voulait conserver son poste de procureur de Paris et obtenir par la suite une promotion. Il a agi de manière très habile, en dénichant un délit assez baroque de "complicité de dénonciation calomnieuse par abstention".
Dans l'affaire Chirac, sur les emplois fictifs de la Mairie de Paris, après quinze ans de procédures, un dépaysement partiel à Nanterre, puis un retour à Paris, Jean-Claude Marin a pris des réquisitions étonnantes de non-lieu en faveur de l'ancien président. Son raisonnement était alambiqué, minutieux, tatillon, et il a heurté certains de ses collègues magistrats tout en faisant sourire la presse. La condamnation de Chirac qui a suivi a été pour lui un véritable camouflet.
La troisième affaire est celle de Christian Poncelet, alors président du Sénat, qui apparaissait sur des écoutes téléphoniques où il semblait favoriser un ami entrepreneur pour l'obtention de marchés publics. Le procureur Marin a alors ouvert prudemment une simple enquête préliminaire, contre l'avis des policiers, enquête qui est restée dans les limbes pendant cinq longues années. Et c'est le successeur de Jean-Claude Marin, François Molins, qui découvre cette enquête au congélateur et décide de la classer sans suite : c'était trop tard pour prendre une autre décision. Il y a vraiment ici la démonstration d'une certaine répugnance de Jean-Claude Marin à aller chercher des personnalités haut placées à droite... même s'il a pris ses responsabilités dans d'autres dossiers, et que Jean-Claude Marin n'est pas Philippe Courroye. Marin est un personnage complexe, et dans bien des affaires, il fait le job.
Comment se défend-t-il de vos mises en cause?
Je rapporte des faits. Nous avons eu une demi-douzaine d'entretiens, et il a fait preuve de panache. Sur les dossiers, il se défend en disant qu'il ne fait que du droit, pas de politique, et que les reproches sont le fait de gens mal intentionnés. Il semble assez convaincant sur l'affaire des biens mal acquis, où la jurisprudence a évolué depuis lors, mais beaucoup moins sur celle des sondages de l'Elysée où il a voulu faire annuler l'instruction visant Emmanuelle Mignon au motif qu'elle devait bénéficier de l'immunité présidentielle, alors qu'elle n'était que conseillère du président. Pire encore avec l'affaire Tapie, en 2009, Jean-Claude Marin a fait donner instruction au parquetier en poste au Tribunal de commerce de ne pas requérir, alors que l'homme d'affaires (qui soutenait Nicolas Sarkozy) demandait la révision de la décision de liquidation prise contre ses sociétés personnelles. De manière assez singulière, Jean-Claude Marin prétend avoir tout oublié de cette directive. Quant à l'affaire Chirac, il répond en son âme et conscience qu'il ne fallait pas envoyer un ancien président de la République devant un tribunal pour des broutilles...
Vous le présentez comme le procureur le plus puissant de France, or, pour les parquetiers, la Cour de cassation n'est-elle pas un peu comme un cimetière des éléphants?
En fait, la puissance de Jean-Claude Marin est surtout liée à son poste au Conseil supérieur de la magistrature, où il fait avancer ou au contraire freine des carrières, avec un art florentin d'agir de manière oecuménique. S'y ajoute aussi son action discrète mais déterminante à la Cour de justice de la République, où Jean-Claude Marin a réussi à écarter le magistrat Yves Charpenel des affaires Christine Lagarde (Tapie) et Eric Woerth (hippodrome de Compiègne), pour lesquelles il a toujours appuyé sur le frein, que ce soit comme procureur de Paris ou comme procureur général. Son talent est protéiforme.
Source: lexpress.fr