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Nicolas Sarkozy peut-il faire oublier son bilan ?

 

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Les derniers sondages ne sont pas bons pour Nicolas Sarkozy alors que son rival Alain Juppé gagne des points dans les intentions de vote. Pour Christian Delporte, l'ancien président de la République n'est jamais parvenu à montrer qu'il avait changé.


Professeur à l'Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et directeur de la revue Le Temps des médias, Christian Delporte est historien, spécialiste de l'histoire des médias, de l'image et de la communication politique. Chez Flammarion, il a notamment publié Une histoire de la langue de bois (2009) ; Une histoire de la séduction politique(2011) et dernièrement Come back ou l'art de revenir en politique(2014).


FIGAROVOX. - Selon le baromètre Kantar-Sofres-One Point pour RTL/Le Figaro/LCI, Nicolas Sarkozy est en baisse au premier tour des primaires de la droite et du centre (33%) tandis qu'Alain Juppé creuse l'écart (39%). En août, le même sondeur les donnait à égalité au premier tour avec 34% chacun. Quel regard portez-vous sur ce sondage?

Christian DELPORTE. - Deux remarques d'abord sur l'enquête elle-même. D'abord, rappelons qu'un sondage, jamais prédictif, n'est qu'une photographie de l'opinion à un moment donné. Ensuite, elle porte sur un échantillon très restreint, avec une grosse marge d'erreur, qui notamment relativise les fluctuations d'un sondage à l'autre. Cela dit, Alain Juppé semble bénéficier de la non-qualification de candidats qui avaient été testés en août, mais aussi du recul d'autres concurrents, comme Bruno Le Maire. Dans ce dernier cas, on pourrait parler de «vote utile» dans l'esprit de ceux qui veulent faire barrage à Nicolas Sarkozy, alors qu'il progressait jusqu'ici dans les sondages. N'oublions jamais que les sondages influencent le vote lui-même et que les électeurs, en quelque sorte, «jouent» avec eux. En 2011, François Hollande, donné largement gagnant, en avait été la victime: alors que les sondages en septembre-octobre lui promettaient entre 44 et 49%, il n'avait recueilli que 39%. Pour le reste, le score de Sarkozy reste stable: la perte d'un point n'a aucune signification. En fait, c'est Juppé qui progresse.

Peut-on parler d'un plafond de verre pour l'ancien président de la République?

Le second tour des primaires apparaît aujourd'hui comme un référendum pour ou contre Sarkozy.

Le sondage a testé trois hypothèses, selon le taux de participation. Dans tous les cas, Sarkozy se situe au premier tour derrière Juppé. Mais plus la participation est forte, plus l'écart se creuse: 4 points avec 1,8 million d'électeurs, 8 points avec 5,2 M. Les chiffres repris par la presse portent sur une hypothèse à 2,9 millions, ce qui est assez vraisemblable. Or, l'autre information du sondage est que, depuis août, la mobilisation de l'électorat est plus forte. Autrement dit, tant que le corps électoral touche le noyau LR des militants et des sympathisants, Sarkozy reste bien placé. Mais, plus il s'élargit, plus il touche les franges les moins militantes, plus il déborde sur le centre, plus l'écart se creuse au profit de Juppé. Sarkozy a choisi une stratégie clivante. En s'adressant prioritairement à l'électorat le plus à droite, il s'assure un socle qui le qualifie pour le second tour, mais il se prive de tout le reste des électeurs dont la part s'accroît dans les intentions de vote. Quant au second tour, il apparaît aujourd'hui comme un référendum pour ou contre Sarkozy. Or, bien peu d'électeurs qui auront voté Le Maire, Fillon ou NKM disent, aujourd'hui, qu'ils le choisiraient.

Nicolas Sarkozy peine-t-il à convaincre parce qu'il est «l'homme du passif» pour reprendre la formule de François Mitterrand à l'égard de Valéry Giscard d'Estaing en 1981?

Sarkozy ne peut, comme il l'avait souhaité, apparaître comme le sauveur de la droite.

Pour Sarkozy, il y a un grand écart: s'il est appuyé par un noyau de militants et de sympathisants actifs qui le suivront jusqu'au bout, il est rejeté par une autre partie de l'électorat de la droite et du centre qui souhaitent tourner la page. Or, aujourd'hui, les enquêtes d'opinion montrent que tout candidat LR ou presque gagnerait au second tour de la présidentielle et, mieux, Alain Juppé est le seul à arriver en tête au premier tour devant Marine Le Pen. Autrement dit, Sarkozy ne peut, comme il l'avait souhaité, apparaître comme le sauveur de la droite. Son quinquennat est évidemment un handicap (comme il l'est, sur un autre plan, pour Hollande). Malgré ses efforts pour réorienter les thèmes de campagne, il ne parvient pas à incarner la nouveauté et est en permanence renvoyé à son exercice du pouvoir. Si les «affaires» sont regardées par ses partisans comme des manœuvres du pouvoir, elles l'éloignent d'un électorat plus modéré qui veut gagner en 2017 sans prendre de risques. Alain Juppé en est aujourd'hui le bénéficiaire.

Est-ce aussi son attitude qui pose problème?

Nicolas Sarkozy a admis des erreurs de comportement, mais il n'est jamais parvenu à montrer qu'il avait changé.

Nicolas Sarkozy, dès son retour, a admis des erreurs de comportement, mais il n'est jamais parvenu à montrer qu'il avait changé. Au contraire, il a expliqué dans ses meetings qu'il n'en était rien, parce que ses militants attendaient le «vrai» Sarkozy. Ce faisant, il n'a pas convaincu la partie de l'électorat de droite et du centre qui l'estimait excessif, trop brutal. En voulant se démarquer de ses concurrents sur des thèmes comme le climat ou la question identitaire, en avançant des formules-choc, il a mobilisé ses troupes mais éloigné les électeurs les plus modérés.

À Valeurs actuelles, son ancien conseiller Patrick Buisson, qui vient de publier un livre à charge contre l'ancien président, explique: «Croire que, élu contre Marine Le Pen, avec comme premier ministre François Baroin, le déconstructeur de crèches, Nicolas Sarkozy fera une politique de droite relève soit d'une insondable bêtise, soit d'une extrême candeur». Que pensez-vous de ce jugement?

Un Président qui ne tiendrait pas compte de l'environnement mondial et appliquerait aveuglément son programme au nom de la rigidité idéologique conduirait le pays dans le mur.

Il y a plusieurs façons de voir une «politique de droite» et il n'est pas sûr que celle conçue par Patrick Buisson corresponde à celle souhaitée par les électeurs LR et UDI… Cela dit, on n'avance pas les mêmes arguments de campagne dans une élection interne comme la primaire, une campagne de premier tour de la présidentielle où on élargit la base et une campagne de second où il s'agit de rassembler. Une politique sans pragmatisme est vouée à l'échec. On gouverne avec un programme, certes, mais aussi en fonction du contexte. Un Président qui ne tiendrait pas compte de l'environnement européen et mondial, de l'évolution économique, de la situation sociale, de l'état de réceptivité de l'opinion, etc. et appliquerait aveuglément son programme au nom de la rigidité idéologique conduirait le pays dans le mur. Ce n'est pas du reniement, ce n'est pas du cynisme, c'est de la realpolitik. Le choix de François Baroin en fait partie: si Sarkozy veut gagner en 2017, il doit rassembler au-delà de son électorat fidèle. Revenu à l'Elysée, il devrait bien tenir compte de l'opinion plus modérée qui lui aurait accordé sa confiance. On ne gagne pas et on gouverne mal avec une fraction de l'opinion contre toutes les autres. Buisson le sait mais fait semblant de ne pas le savoir.

 

Source: lefigaro.fr