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Déluge de feu Russo-Syrien sur Alep

 

Bombarder, encercler, affamer. Pendant des mois, des années, sans discontinuer. Jusqu'à ce que l'ennemi, à bout de forces, décide de baisser les armes et d'évacuer la zone qu'il défendait. C'est la stratégie poursuivie par le régime syrien depuis 2011 pour mater l'insurrection anti-Assad. Une guerre d'étouffement, lente et cruelle, qui convient bien à l'armée loyaliste, patchwork de milices et d'unités régulières, aux capacités offensives limitées.

La technique, aux relents moyenâgeux, vient de porter ses fruits dans deux poches rebelles, assiégées depuis plusieurs années : la ville de Daraya, en banlieue de Damas, vidée de sa population à la fin août, et le quartier d'Al-Waer, en périphérie d'Homs, dont les combattants sont en cours d'évacuation. Alep-Est, le fief des insurgés dans le nord de la Syrie, une zone autrement plus grande et plus peuplée (250 000 habitants), pourrait-elle, de guerre lasse, finir par hisser elle aussi le drapeau blanc ? C'est le pari que font Damas, Moscou et Téhéran, les trois alliés qui, depuis l'effondrement, le 19  septembre, de la trêve péniblement négociée par les Etats-Unis et la Russie, soumettent ses habitants à des bombardements d'une férocité inouïe.

" Ce sont les frappes les plus dures de ces cinq dernières années, confie le docteur Hamza Al-Khatib, l'un des trente et quelques praticiens encore présents dans les quartiers orientaux, joint sur la messagerie instantanée WhatsApp.Les bombes employées ont une capacité de destruction jamais vue. " Selon le Centre de documentation des violations, une ONG syrienne de défense des droits de l'homme, 377 Alépins ont péri dans ces raids aériens entre le 20 et le 26  septembre, des civils, dans l'immense majorité.

La fréquence des attaques aériennes a diminué mardi 27  septembre, journée durant laquelle " seuls " 11 morts ont été enregistrés, mais les quatre jours précédents, pas moins d'une centaine de frappes s'abattaient toutes les vingt-quatre heures sur la ville, causant une moyenne de 80 à 90 morts. " On n'ose plus bouger de chez soi, on ne pense même plus à manger et de toute façon, il est de plus en plus difficile de trouver de la nourriture à des prix abordables, raconte Aiham Barazi, un journaliste syrien. Tout ce que l'on fait, c'est attendre la mort. "

" Crime de guerre "

L'aviation russe est accusée d'avoir employé, pour la première fois, des bombes perforantes, dites bunker buster, destinées à détruire des infrastructures souterraines. L'accusation repose sur des photos de cratères d'une demi-dizaine de mètres de profondeur, découverts en plusieurs endroits de la ville, et sur des témoignages des riverains, parlant d'un " tremblement de terre " qui fait s'effondrer les immeubles aux environs de la frappe. Selon l'envoyé spécial de l'ONU sur la Syrie, Staffan de Mistura, l'emploi de cette arme dans une zone aussi peuplée, de même que le recours, déjà avéré, à des bombes incendiaires et à sous-munitions, pourrait constituer un " crime de guerre ".

Ces armes sophistiquées visent en partie des cibles militaires. La brigade Tajamu Fustakim, l'un des principaux groupes armés d'Alep, affilié à l'Armée syrienne libre (ASL), la branche modérée de la rébellion, a perdu dans les bombardements des derniers jours sa cantine, ses réserves de nourriture et de fuel et une partie de son arsenal, qui étaient enfouies sous le sol. " Nous sommes bien sûr affectés par toutes ces pertes, reconnaît sous couvert d'anonymat un commandant de la brigade, déployé sur le front de Salahedin, au sud de la ville. Mes hommes n'ont pas mangé de pain depuis trois jours. Au lieu de faire fonctionner le générateur dix heures par jour, on se contente de deux heures. "

Le blitz russo-syrien s'acharne aussi sur les quartiers sud, comme Seïf Al-Daoula et Soukari, qui figurent parmi les plus peuplés. Ce pourrait être une manière de faire fuir ces habitants, en prélude à une percée terrestre. Mardi, les forces loyalistes se sont d'ailleurs emparées d'un petit secteur, Farafirah, au pied de la citadelle.

Mais rares sont les observateurs à croire en l'imminence d'une offensive au sol d'envergure. Le régime n'a ni les ressources ni l'expertise nécessaires à une telle opération et il est peu probable que ses alliés chiites, iraniens ou libanais soient prêts à sacrifier leurs hommes dans des combats de rue forcément très meurtriers. Pour l'instant, l'essentiel de la stratégie russo-syrienne vise à casser les infrastructures civiles d'Alep-Est. La salle des urgences de l'hôpital Omar-Ben-Abdelaziz, construite sous terre, a par exemple été détruite dans un récent bombardement, peut-être mené au moyen d'armes anti-bunker. Vendredi, deux des quatre casernes des casques blancs, chargés des premiers secours, avaient été pulvérisées.

La station d'extraction d'eau de Bab Al-Nayrab a également été mise hors service, privant d'eau courante un quart des quartiers insurgés.

Stratégie de la terre brûlée

" L'objectif de cette offensive, c'est la terre brûlée, briser la capacité de résilience de la population, confie une source onusienne. Les hôpitaux sont tellement débordés que les médecins procèdent à un tri sélectif à l'envers. Ils ne soignent plus que les blessures superficielles car ils savent que les blessés graves ne peuvent pas être sauvés. L'humanitaire sera la question-clé. Les Alépins sont-ils prêts à agoniser pendant des mois ou préféreront-ils quitter la ville, si on leur en donne la possibilité ? "

Le régime Assad se plaît à appâter ses adversaires. De nombreux résidents des quartiers est ont reçu des messages, par SMS ou sur les réseaux sociaux, leur promettant la vie sauve " s'ils hissent le drapeau de la République arabe syrienne sur le toit de leur immeuble " ou " s'ils se rendent à l'aéroport ", au sud-est de la ville, tenu par les forces progouvernementales.

Des promesses que les habitants traitent généralement par le mépris et avec suspicion. En juillet, très peu d'entre eux avaient choisi d'utiliser les corridors humanitaires, momentanément ouverts par l'armée russe. " Alep est trop symbolique pour tomber comme Daraya ou Al-Waer, prédit Assaad Al-Achi, le chef de l'ONG Baytna Syria, basée en Turquie. Elle se battra jusqu'au bout, coûte que coûte. "

Les soldats " fantômes " de Poutine en Syrie

Depuis un an, l'intervention russe implique dans le plus grand secret troupes au sol et mercenaires privés

Officiellement, dix-neuf soldats russes ont perdu la vie en Syrie. Ils seraient bien plus en réalité. L'armée russe a passé sous silence ses pertes ou les a révélées très tardivement. La mort de Fiodor Jouravlov, membre des forces spéciales, tué par un tir de roquette, est ainsi devenue publique lors d'une remise de décoration à sa veuve, le 17  mars, au Kremlin. Seule sa famille avait été informée de son décès, cinq mois plus tôt. En mai  2015, un décret signé par Vladimir Poutine a couvert du " secret d'Etat " les pertes " pendant les opérations spéciales ".

Ils sont militaires, mais leurs missions ne sont pas mili-taires ", claironnait sur Twitter, mi-septembre, un site-relais du ministère russe de la défense, en affichant, photos à l'appui, des soldats en uniforme entourés d'enfants et distribuant des sacs de vivres.

Un an après le début de l'intervention militaire en Syrie décidée par Vladimir Poutine en soutien au régime de Bachar Al-Assad, l'armée russe soigne son image. En complément des frappes aériennes qui bombardent sans relâche des positions djihadistes et rebelles, sans épargner des centaines de civils, se succèdent les opérations médiatiques d'un contingent qui se voudrait " pacificateur ".

Mais la même opacité continue d'entourer la première inter-vention militaire russe loin de ses frontières depuis la guerre d'Afghanistan. Aucun chiffre sur le nombre de soldats envoyés n'a  jamais été communiqué. Les élections législatives qui se sont déroulées en Russie le 18  septembre ont néanmoins fourni un indice : selon la commission électorale centrale, 4 571  citoyens russes ont pris part au vote en Syrie, dont 4 378 par urnes mobiles, et donc potentiellement hors de la capitale, Damas.

Aucun bilan fourni

Aucun bilan des actions terrestres menées par les troupes russes n'a été également fourni. Longtemps, Moscou a  nié leur présencesur le sol syrien, avant que la réalité ne s'impose. La confirmation est venue avec la mort d'Alexandre Prokhorenko, membre des forces spéciales, tué le 17  mars lors de l'assaut russo-syrien mené à Palmyre, ville alors occupée par l'organisation Etat islamique (EI). " Je ne vais pas cacher que, sur le territoire de la Syrie, nos forces spéciales agissent ", avait admis du bout des lèvres le général Alexandre Dvornikov.

Puis il y a eu l'artilleur Mikhaïl Chirokopoïas, décédé deux mois plus tard, après l'attaque de son convoi, et tous ceux que l'on ne connaît pas. C'est sur Instagram que Iouri Kokov, chef de la région autonome de Kabardino-Balkarie, dans le Caucase, a publié le faire-part du soldat Asker Bichoïev : " La lutte contre le terrorisme international que mène héroïquement notre pays ne peut pas ne pas induire de pertes ", écrivait, le 12  août, le dirigeant de cette région du Caucase russe. Nul n'avait entendu parler de ce décès. Les -familles se plient aux consignes des autorités et se taisent.

Un secret peut en cacher un autre. Officiellement, le major Sergueï Tchoupov, 51 ans, ne faisait pas partie des effectifs militaires engagés en Syrie. Vétéran de la guerre d'Afghanistan, et des guerres russo-tchétchènes, transféré dans la 46e brigade du ministère de l'intérieur, il aurait cependant été tué en Syrie en janvier, selon des témoignages de ses amis sur les réseaux sociaux. Sa tombe, située à Balachikha, dans les faubourgs de Moscou, couverte d'hommages de ses collègues, indique le 8  février.

Le même mois, le Cosaque Maxime Bogdanov est mort dans des circonstances mystérieuses. Mais là encore, des proches ont -publié des photos de lui, attestant qu'il se trouvait à  Lattaquié, le fief du régime syrien sur la côte. Des mercenaires, affirment des journaux russes qui se sont fait l'écho à plusieurs reprises de l'existence d'une armée privée, à l'image des Blackwaters américains intervenus en Irak, mais illégale au regard de la loi en Russie.

Dès le mois de mars, le site -Fontanka.ru rapportait l'existence d'un groupe militaire qui, après avoir participé à l'annexion de la Crimée en  2014, a " porté ses efforts en Syrie à partir de l'automne 2015 ". Ces professionnels, dirigés par d'anciens soldats d'active pour la plupart, auraient été entraînés sur la base de Molkino, un territoire militaire qui -appartient au GRU, le rensei-gnement militaire, et situé dans la région de Krasnodar. Sur le site, un camp, tout neuf, apparaît bien sur les cartes satellite. Il n'existait pas dans les archives de Google Earth en  2014.

Dans un très long article publié le 25  août, intitulé " Fantômes de guerre, comment est apparue une armée russe privée en Syrie ", le journal RBK Daily affirme qu'un millier d'hommes travaillant pour des compagnies de sécurité russes ont participé aux combats en Syrie. Citant une source anonyme du ministère de la défense, le journal rapporte que vingt-sept " privés " auraient été tués en Syrie, une centaine, selon un officier de l'une de ces compagnies.

Source: Le Monde