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A propos de l'amende 13 milliards d'€ infligée par la commission Européene à Apple en Irlande

 

 

Si j’avais une machine à voyager dans le temps, l’un de mes voyages consisterait peut-être à remonter 200 ans en arrière et revenir avec David Ricardo. Connu pour sa théorie des avantages comparatifs, qui rendent le commerce bénéfique pour toutes les nations qui le pratiquent, l’économiste serait sans doute perplexe devant la mondialisation telle que nous la connaissons. Car elle ne fait pas que des heureux.

D’après une analyse de Branco Milanovic dans la Harvard Business Review, les principaux gagnants de la mondialisation sont le 1% et la classe moyenne asiatique, dont le revenu réel a progressé jusqu’à +60% entre 1988 et 2008.Mais la mondialisation a aussi ses perdants. La classe moyenne occidentale a vu son revenu stagner (moins de 10% d’augmentation), et les 5% les plus pauvres n’ont progressé que de 15%. La classe moyenne asiatique s’enrichit-elle au détriment de la classe moyenne européenne ? Ces pays seront-ils rattrapés à leur tour ? L’équilibre peut-il s’inverser ?

Ce phénomène pourrait remettre en question la mondialisation si les citoyens et/ou leurs gouvernements sont plus sensibles à la hausse des inégalités nationales qu’à la résorption des inégalités mondiales. Si les marchandises ne traversent pas les frontières, les soldats le feront, disait Frédéric Bastiat. Il se pourrait bien qu’ils les traversent même si elles sont ouvertes.

Car la mondialisation fait une autre victime : l’État. Des frontières plus ouvertes signifient plus de choix pour chacun ; en langage économique, plus de concurrence. Les multinationales ne s’implantent pas seulement en fonction de la taille du marché local ou du coût de la main-d’oeuvre, mais aussi de la qualité des infrastructures ou du niveau d’éducation de la population. En ce qui concerne l’État, elles étudient la réglementation et, bien entendu, la fiscalité.

Et pas seulement dans les pays en développement. En Europe aussi, les États sont en concurrence les uns avec les autres pour attirer les entreprises, et leur déroulent souvent le tapis rouge fiscal : il y a 2 ans,l’affaire LuxLeaks révélait le secret de polichinelle des rulings avantageux proposés par le Luxembourg aux multinationales.

Ces accords d’imposition préférentielle ont été signés alors que Jean-Claude Juncker était Premier Ministre du Luxembourg. Depuis, il a pris la tête de la Commission Européenne, qui mène depuis plusieurs mois la chasse à ces mêmes accords fiscaux et a déjà condamné plusieurs géants américains à des amendes allant jusqu’à 1,4 milliard d’euros. Soit 10 fois moins que le nouveau record : l’amende imposée à Apple le 30 août s’élève à 13 milliards d’euros.

La décision tombe une semaine à peine après la publication d’un rapport du Trésor américain exposant les inquiétudes dont son Secrétaire d’État faisait part dès le mois février : les « enquêtes » et amendes que la Commission impose aux entreprises américaines remettent en question le commerce et l’investissement international, et contrecarrent les efforts des gouvernements mondiaux de l’OCDE en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Si Apple a payé peu d’impôts, il faut en chercher la cause dans des failles de la fiscalité internationale que l’OCDE entend faire disparaître.

Car la décision de la Commission Européenne repose sur sa propre vision des prix internes de cession, principal levier d’optimisation fiscale des entreprises multinationales, contradictoire avec celle de l’OCDE (où participent les États européens).

Et ce n’est pas tout. Elle remet en question la souveraineté des États en matière fiscale.Avant Apple, l’Irlande a fait appel de cette décision qui la contraint à percevoir d’Apple des sommes que l’entreprise ne lui doit pas : l’entreprise aurait toujours payé ses impôts.

apple

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Et n’aurait pas bénéficié d’avantages fiscaux, que l’Irlande se défend de pratiquer à l’inverse d’autres pays européens qui pourraient selon la même décision réclamer leur part du gâteau. Une partie des 13 milliards d’euros de l’amende pourrait atterrir dans les coffres d’autres États membres s’ils estiment avoir droit à une partie du magot.

Lorsque le FBI a demandé l’aide d’Apple pour accéder aux données d’un iPhone crypté, son CEO Tim Cook a publié une tribune présentant les raisons de son refus : la surveillance est un danger pour les citoyens et la société contre lequel la cryptographie nous protège. Il adresse en réaction à l’amende une lettre similaire à la communauté Apple en Europe. Outre la remise en question de la souveraineté irlandaise et du droit international, il évoque les enjeux concrets de la décision : entre son implantation en 1980 et aujourd’hui, Apple est passée à Cork en Irlande de 60 à 6 000 employés et fait vivre de nombreux de sous-traitants, sans compter les développeurs prospères et les utilisateurs convaincus.

Le CEO d’Apple, premier contribuable d’Irlande, des États-Unis et du monde, appelle de ses vœux une fiscalité plus simple. Mais ce n’est pas le seul effort à faire en la matière :les États doivent s’adapter à la mondialisation et contribuer à la compétitivité nationale. Même en continuant à faire tout ce qu’ils font aujourd’hui, ils peuvent réaliser d’importantes économies, combler les déficits et alléger la pression fiscale. Les citoyens et les entreprises ont su s’adapter à la mondialisation pour en tirer profit, mais la plupart des États sont à la traîne ; la concurrence fiscale est une excellente incitation.

S’attaquer aux multinationales étrangères et aux bons exemples de fiscalité – l’Irlande impose les bénéfices à 12,5% – n’est pas la solution. Si la fiscalité doit être alignée entre pays, il n’y a aucune bonne raison de l’aligner sur le niveau le plus élevé. La Commission Européenne passe l’éponge sur les déficits budgétaires, et punit les régimes fiscaux trop légers à son goût. C’est précisément l’inverse qu’il faudrait faire pour espérer rendre sa compétitivité et son attractivité au marché unique, renouer avec la croissance et créer des emplois. La concurrence fiscale est une opportunité d’améliorer la qualité des services de l’État et réduire leur coût.

 

Source: Baptiste Créteur via Contrepoints

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