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L'apport démocratique des primaires est limité

Olivier Rouquan

Les sondages indiquent que les enquêtés sont acquis à l'idée des primaires, à droite comme à gauche. Le terme est associé à la modernité et à l'amélioration de la démocratie. Peut-on brosser un tableau moins unilatéralement positif de ce dispositif?

Certes, en 2011, pour la gauche de gouvernement, l'organisation de primaires a permis un sursaut participatif, qui a conféré une légitimité peu contestable au candidat PS désigné par les sympathisants. De ce point de vue, la primaire est d'inspiration démocratique, puisqu'elle confère à une majorité de citoyens intéressés et mobilisés partageant des valeurs proches, le choix du présidentiable. Certes encore, la primaire donne à l'opposition si elle en organise une, l'occasion d'avoir plus de surface médiatique, ce qui contrebalance la forte visibilité de tout pouvoir en place...

"A l'heure où certains citoyens n'arrivent pas à distinguer la droite de la gauche, quel est le sens d'avoir plus de 10 prétendants à la primaire du même parti de gouvernement?"

Pour autant, à l'instar de l'expérience de 2011 et des préparatifs actuels, le dispositif alimente plusieurs phénomènes, qui n'améliorent pas la qualité de la démocratie. En effet, les primaires aiguisent les rivalités personnelles. Sans savoir si les pré-candidatures seront toutes retenues -notamment parce que chaque parti définit des règles les restreignant -, leur multiplication préalable indique: d'une part à quel point les partis sont déstructurés; d'autre part, à quel point les enjeux idéels sont secondaires. Car finalement, à quelques différences près, les idées des candidats à une primaire partisane sont très proches. A l'heure où certains citoyens n'arrivent pas à distinguer la droite de la gauche, quel est le sens d'avoir plus de 10 prétendants à la primaire du même parti de gouvernement?

Ce constat de faiblesse idéelle et de saturation individuelle nous invite à en produire un autre: les considérations tactiques l'emportent sur les fondamentaux stratégiques. En effet, la multiplication des candidatures aux primaires est parfois la conséquence d'options délibérées des présidentiables "majors". Ceux qui sont sûrs de drainer l'essentiel des suffrages peuvent en effet encourager des candidatures "satellites", pariant sur leur ralliement au second tour: le report des voix se portant sur ces candidatures de témoignage au premier round, ce qui garantirait alors leur succès. Une telle tactique de fragmentation-absorption a été utilisée à l'excès lors de la présidentielle de 2002 (16 présidentiables); elle a alors montré ses limites. Pour les candidats les plus saillants, le jeu est donc risqué, y compris lors de primaires. Trop de dispersion tactique est contre-productif.

Les primaires déséquilibrent le jeu institutionnel

La profusion de candidatures témoigne aussi de la personnalisation-médiatisation exacerbée de la vie politique. Les considérations caractérologiques, les coups de communication tactiques visant à séduire par la provocation atypique et la dénonciation outrancière, l'emportent sur la présentation pédagogique des programmes. Si bien que les primaires renforcent la surenchère, voire la caricature idéologique. Dès l'été 2016, les premières "inflammations" sur la sécurité en lien avec le terrorisme, puis le burkini, augurent d'un débat peu serein sur des enjeux majeurs. Il est en partie alimenté à droite par le trop plein de rivaux sur la ligne de départ.

Un trait déjà caractéristique de la présidentialisation du jeu politique à l'heure des réseaux d'information de masse est ainsi creusé. Cela est aussi lié à l'emprise du complexe sondages-médias sur la fabrication des profils politiques jugés crédibles. Les primaires accentuent donc l'affaiblissement des partis comme organisations spécifiquement politiques, capables d'articuler de façon relativement autonome la clarification idéelle et la sélection préalable des candidats. Cette situation, déjà engagée avant 2011 est inquiétante pour la démocratie: sans parti structuré, le régime représentatif et participatif ne peut fonctionner correctement. Il est alors gangrené par le populisme et la démagogie. Au final, à qui profite la perte d'autonomie des organisations politiques de gouvernement?

La fatigue des élites partisanes est lisible, dès lors qu'elles se réfugient dans la confiance en ce nouveau dispositif pour remédier aux maux démocratiques, si profonds et durables. Les primaires ont un apport d'autant plus limité à la régénération nécessaire, que leur inclusion dans l'ordre électoral a semble-t-il été peu pensé. En effet, à quelques mois près, les électeurs sont déjà sollicités quatre fois, deux tours de présidentielle et deux tours de législatives. En rajoutant deux tours de primaires dans chaque camp, le risque est grand de renforcer l'abstention en bout de cycle, soit pour les législatives. Les primaires déséquilibrent davantage encore le système électoral au détriment du Parlement et du Gouvernement. L'engouement pour les primaires de ceux qui se plaignent de la présidentialisation à outrance du débat, ne laisse donc pas d'étonner...

Ouvrage à paraître: "En finir avec le président?", édition François Bourin (Février 2017)

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Source: huffingtonpost.fr