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Révélations sur la rixe de Sisco

Après les affrontements qui ont fait cinq blessés, les langues commencent à se délier. À l'origine des altercations : des photos de femmes "voilées".

Par Julian Mattei
Modifié le 15/08/2016 à 10:55 - Publié le 15/08/2016 à 09:26 | Le Point.fr
Dimanche 14 août, une centaine de personnes s'est rassemblée devant la mairie puis la préfecture de Bastia pour protester de l'agression de la veille dans le petit village de Sisco.
Dimanche 14 août, une centaine de personnes s'est rassemblée devant la mairie puis la préfecture de Bastia pour protester de l'agression de la veille dans le petit village de Sisco. © PASCAL POCHARD-CASABIANCA

Les autorités peinent encore à faire toute la lumière sur l'origine des heurts qui ont fait cinq blessés sur la petite plage du Cap Corse, 48 heures après la « violente rixe », selon les mots du ministère de l'Intérieur, qui a éclaté samedi aux environs de 17 h 30, dans une crique à la sortie de Sisco, une petite station balnéaire située à une quinzaine de kilomètres au nord de Bastia. Les protagonistes : de jeunes Corses et des familles d'origine maghrébine résidant à Lupino, un quartier populaire et métissé du sud de Bastia.

Dans un laconique communiqué, diffusé ce dimanche après-midi, le parquet de Bastia se borne à faire état d'un « différend qui a éclaté entre une dizaine de personnes de trois familles, d'origine maghrébine, et des jeunes de la région de Sisco qui ont reçu le renfort de proches ».

Mais si la voix officielle attend les conclusions de l'enquête de la section de recherches de la gendarmerie pour se prononcer sur les circonstances des affrontements, les témoins de la scène sont, eux, bien plus diserts. À l'origine des heurts, selon plusieurs témoignages concordants, un « accrochage » entre trois familles musulmanes et des touristes qui profitaient de leur passage dans la marine de Sisco pour photographier la crique dite de « Scalu Vechju », très fréquentée par les locaux. « Se sentant visées par l'objectif, les personnes d'origine maghrébine ont accusé les vacanciers de prendre en photo leurs femmes, voilées, qui se baignaient en djellaba et en burkini, et ont caillassé les touristes », raconte un témoin. Échanges d'invectives, provocations, menaces : le ton monte rapidement entre les deux groupes.

Blessé par une flèche de fusil-harpon

Assistant à la scène, un adolescent du village est accusé d'avoir pris des photos des épouses et d'avoir filmé l'altercation. « Secoués et agressés », selon des témoignages, l'adolescent et ses amis appellent leurs parents qui « descendent » précipitamment du village, rejoints par plusieurs dizaines de personnes. Les esprits s'échauffent avec des « jets de pierres et des coups de bouteille ». Une bagarre éclate. Les trois familles venues de Lupino sont prises à partie par les habitants du village qui dénoncent une « agression ».

L'un des parents, un ancien légionnaire d'origine tchèque installé à Sisco, est blessé à deux reprises, au niveau des hanches, par des flèches de fusil-harpon. Au cours des heurts, quatre autres personnes sont blessées, dont une femme enceinte, et évacuées vers le centre hospitalier de Bastia. Trois d'entre eux en sont ressortis rapidement et les deux autres ont quitté l'établissement dimanche dans la soirée, a indiqué une source proche du dossier.

Entre-temps, les forces de l'ordre ont également dressé le bilan matériel des heurts : les trois véhicules des familles ont été incendiés, un feu de végétation, rapidement circonscrit, s'est déclaré à proximité de la plage, et la route a été bloquée par les protestataires. Protégées par un important dispositif de police et de gendarmerie – « une centaine d'hommes », selon le ministère de l'Intérieur –, les trois familles ont été « exfiltrées » par les forces de l'ordre. Pas suffisant pour faire redescendre la tension. Dimanche matin, plusieurs centaines de personnes se sont réunies devant la mairie de Bastia puis la préfecture de la Haute-Corse, en signe de protestation, après les heurts survenus la veille. Une délégation a été reçue en urgence par le directeur de cabinet du préfet et le secrétaire général de la préfecture. Dans la foulée, visiblement peu satisfaites de l'entretien, des dizaines de personnes se sont rendues à la mi-journée à Lupino, et se sont massées au pied d'un immeuble où résident, selon les manifestants, les familles impliquées dans la rixe de la veille. Devant l'hôpital de Bastia, où se sont également rassemblées plusieurs centaines de personnes en signe de soutien aux blessés, quelques échauffourées ont eu lieu avec les forces de l'ordre qui ont aspergé la foule de gaz lacrymogènes après avoir reçu des pierres sur leurs camions. Après quelques altercations, la mobilisation s'est finalement dispersée dans le calme aux environs de 14 h 30, mais nombre de manifestants dissimulaient à peine leur franche volonté d'en découdre. Sur les réseaux sociaux, les appels pour de nouveaux rassemblements se multiplient déjà.

« Éviter l'escalade » de la violence

Face à ce climat de vive tension et au « contexte dans lequel ces événements s'inscrivent », les deux hommes forts de l'île, Gilles Simeoni, président nationaliste du conseil exécutif de Corse, et Jean-Guy Talamoni, président indépendantiste de l'assemblée régionale, ont pris position, dimanche après-midi. Dans un communiqué commun, s'appuyant sur « de multiples témoignages », les deux élus évoquent « des comportements provocateurs », assortis d'une « revendication explicitement communautariste, voire religieuse ». Pour « éviter l'escalade » de la violence « et toute logique de bouc émissaire », le duo nationaliste a appelé au calme et au « refus de toute réaction inappropriée ». Seront-ils seulement entendus ?

 

Source: Le Point Par Julian Mattei

Modifié le 15/08/2016 à 10:55 - Publié le 15/08/2016 à 09:26 | Le Point.fr