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Pierre Rosanvallon : « Créer un sentiment de démocratie permanente, de démocratie continue »

LE MONDE IDEES | 14.07.2016 à 12h45 • Mis à jour le 17.07.2016 à 07h43 | Propos recueillis par Thomas Wieder

 

Manifestation contre la loi travail, le 12 mai à Rennes.

Titulaire de la chaire d’histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France, Pierre Rosanvallon est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la démocratie. Il a récemment publié Le Bon Gouvernement (Seuil, 2015).

Quel diagnostic faites-vous de l’état de notre démocratie ?

On assiste aujourd’hui à deux phénomènes contraires : un profond désenchantement, d’une part, et l’expérimentation de nouvelles formes d’interventions citoyennes, d’autre part. Le positif se mêle donc au négatif, ces expérimentations ayant précisément pour objet de répondre aux dysfonctionnements de notre démocratie.

« C’est par la démultiplication des formes d’expression des citoyens que l’on répondra à la crise de la représentation »

Quels sont ces dysfonctionnements ?

Trois éléments essentiels au bon fonctionnement d’une démocratie sont aujourd’hui en crise : la dimension représentative, la confiance liant les gouvernants et les gouvernés, et la légitimité des décisions prises par ceux qui ont le pouvoir.

D’abord, la question de la représentation. Comment les attentes des citoyens peuvent-elles trouver des formes d’expression et de transmission dans le monde politique ? L’erreur serait de croire que la réponse est seulement institutionnelle. Certes, il y a beaucoup à faire pour améliorer la qualité de notre régime représentatif, notamment en faisant en sorte que les assemblées reflètent davantage la diversité de notre société. Mais le défi de la représentation va bien au-delà du fait de savoir s’il faut réaliser la parité ou introduire de la proportionnelle.

Pour le relever, on pourrait mieux prendre en compte certaines pratiques. Je pense par exemple à la pétition. Il s’agit là d’une pratique ancienne qui, à l’origine, a d’ailleurs été pensée comme une béquille de la représentation, c’est-à-dire comme une compensation accordée aux citoyens à une époque où le suffrage universel n’existait pas. C’est ainsi qu’avant 1848, en France, chaque séance parlementaire commençait par un examen des pétitions. Sans revenir à ce système, on pourrait réfléchir à une meilleure prise en considération des pétitions dans le débat démocratique. D’autant plus que l’on voit bien, comme l’atteste le succès d’un site comme Change.org, le regain d’intérêt que suscite une telle pratique.

Ma conviction est, plus généralement, que c’est par la démultiplication des formes d’expression des citoyens que l’on répondra à la crise de la représentation, et non par la recherche utopique d’un mode de désignation parfait des représentants.

Vous évoquez la confiance. Comment la restaurer ?

Ce qu’on appelle la défiance vient principalement du décalage entre le langage du temps électoral, qui vise la séduction, exalte les possibles, et celui du temps gouvernemental, qui doit affronter les réalités et génère de la déception. L’enjeu est donc le suivant : comment faire pour que, dans le temps, la confiance perdure bien au-delà du moment de l’élection ? Dans l’histoire des démocraties, deux grandes réponses ont été apportées.

La première, c’est la réduction de la durée des mandats, autrement dit l’idée que plus un mandat est court, moindre est le risque de voir son titulaire s’affranchir des engagements sur lesquels il a été élu. Mais cette solution n’est pas sans poser de problèmes car, si un mandat court peut être un gage de fidélité, il peut aussi rendre difficile la réalisation de politiques qui doivent être mises en œuvre dans la durée.

La seconde réponse a résidé dans l’introduction de mécanismes de révocation. Cette procédure existe dans l’ouest des Etats-Unis avec le recall, qui permet aux citoyens de révoquer leurs élus en cours de mandat, si ceux-ci sont considérés comme défaillants. Sont concernés non seulement les élus politiques stricto sensu mais aussi, par exemple, les juges ou les shérifs. Ailleurs, comme en Amérique latine, cette procédure est également pratiquée – on l’a vu récemment au Brésil avec Dilma Rousseff.

La révocation précipitant une réélection, elle a donc un effet équivalent à une dissolution. Mais on ne peut pas en rester à ces visions procédurales. C’est aussi le parler vrai, le fait de rendre des comptes, la transparence qui produisent de la confiance.

S’agissant des décisions elles-mêmes, comment lutter contre le sentiment, de plus en plus partagé, de leur manque de légitimité démocratique ?

Il faut partir du fait que le pouvoir exécutif a pris de plus en plus d’importance. C’est lié au nouveau rapport entre la norme et la décision qui s’est instauré dans un monde en changement continuel. Cela pose donc la question de savoir ce qu’est une décision démocratique en termes nouveaux. Plusieurs réponses peuvent être apportées. Beaucoup se contentent de dire : il faut donner plus de pouvoir aux parlements. Selon moi, ce n’est pas le point fondamental. Que les parlements jouent pleinement leur rôle de contrôle et de délibération, c’est bien sûr souhaitable. Mais ce rôle est limité par le fait qu’ils sont structurés par le clivage majorité-opposition.

Il faut donc aller plus loin. Passer de ce que j’appelle « une démocratie d’autorisation » à « une démocratie d’exercice ». Mettre par exemple en place des instances de contrôle, d’évaluation et de surveillance des gouvernements par des autorités indépendantes ou des jurys citoyens constitués ad hoc. Il est vital de promouvoir ces outils pour créer un sentiment de démocratie permanente, de démocratie continue. L’autre façon de rendre les décisions plus démocratiques, c’est le recours à la démocratie directe. Notamment avec le référendum.

« Nous avons besoin d’une réflexion démocratique critique sur le référendum, tant il est présenté aujourd’hui comme une sorte de remède miracle »

Celui-ci semble à nouveau très en vogue. En France, plusieurs candidats à la présidentielle, notamment à droite, en font la promotion. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Nous avons besoin d’une réflexion démocratique critique sur le référendum, tant il est présenté aujourd’hui comme une sorte de remède miracle. Sur deux points essentiellement. D’abord, nous devons nous demander si, pour un référendum, la majorité simple est suffisante. Si l’on considère en effet que les questions soumises à référendum renvoient aux fondements du contrat social, on peut penser que ce n’est pas le cas. Lorsqu’on réunit l’Assemblée et le Sénat en Congrès, là aussi pour voter des textes majeurs, c’est la majorité des deux tiers qui est requise. Pourquoi en irait-il autrement en cas de référendum ?

L’autre question est celle des objets pertinents du référendum. Historiquement, cette procédure a d’abord été utilisée pour approuver les textes constitutionnels. Dans ce cas, cela ne pose pas de problème, car le texte soumis à référendum est un texte autosuffisant et transparent, les électeurs sachant exactement pourquoi ils votent.

Mais, dans bien d’autres cas, les référendums portent sur des sujets dont la gestion effective échappe à la question posée. Le Brexit est, de ce point de vue, un cas d’école. Les conséquences de la décision n’étaient pas contenues dans la question posée. Ce référendum, par la manière dont la campagne s’est déroulée et par la façon dont la question a été formulée, invite à repenser cette procédure et sa sphère de validité au-delà d’une référence simplificatrice à la « voix du peuple ».

Que pensez-vous de la façon dont le gouvernement a élaboré puis fait adopter le projet de loi travail ? ­Estimez-vous, comme d’autres, qu’on trouve là l’illustration des carences de notre démocratie ?

Très certainement, car trois phénomènes se sont cumulés à l’occasion de ce projet de loi : ignorance de la démocratie sociale, mépris de la démocratie d’opinion et mésusage de la démocratie politique. Ignorance de la démocratie sociale, car la première mouture du texte a été élaborée en dehors de la négociation avec les syndicats.

C’est là une erreur considérable qui révèle deux choses. D’abord, une certaine idée que la gauche au pouvoir se fait d’elle-même, une tendance à considérer que puisqu’elle a été élue, elle sait ce qui est bon pour le peuple. Ensuite, cela en dit long sur la faiblesse des actuels conseillers sociaux de Matignon et de l’Elysée, dont la méconnaissance du monde syndical apparaît stupéfiante quand on compare avec certains de leurs prédécesseurs – que l’on pense à Raymond Soubie, Bernard Brunhes ou Jacques Delors.

Le mépris de la démocratie d’opinion, lui aussi, est très clair. Sur un sujet comme celui-là, le gouvernement aurait eu tout intérêt à organiser préalablement un grand débat public (ce qui ne veut pas dire entrer dans une démocratie des sondages). Or, là, rien n’a été fait.

Enfin, le mésusage de la démocratie politique. Pour moi, le problème n’est pas le 49.3 en soi. Au risque de choquer certains, je pense que c’est une procédure qui a une légitimité démocratique, en ceci qu’elle met une opposition dans l’obligation de prouver qu’elle est capable de constituer une majorité alternative de gouvernement. Mais si le 49.3 a posé problème, dans ce cas, c’est parce qu’il a été utilisé au terme d’une séquence où les autres formes de la démocratie ont été bafouées. Si la démocratie sociale et la démocratie du public avaient été respectées, le 49.3 aurait été acceptable.

Si l’Europe est aujourd’hui si décriée, c’est en grande partie parce qu’on lui reproche de manquer de légitimité démocratique. Comment la restaurer ?

Le problème du déficit démocratique européen est un excellent cas d’espèce pour comprendre dans quelle direction on doit faire progresser nos démocraties. En Europe comme ailleurs, la réponse ne peut pas être que procédurale. Ce n’est pas en élisant le président de la Commission au suffrage universel, ou en renforçant les pouvoirs du Parlement européen, qu’on résoudra le problème.

L’Europe, on la démocratisera en la rendant sensible dans chaque pays, en organisant la transparence de la boîte noire des instances bruxelloises, en rapprochant les institutions européennes des citoyens, par exemple en obligeant les commissaires à venir rendre compte de leur travail dans les différents pays. Là encore, à l’échelle européenne comme sur le plan national, il faut bien comprendre que l’on ne régénérera pas la démocratie simplement par de nouvelles procédures électorales et parlementaires.

Ce qui fait la qualité du lien représentatif, en démocratie, ce n’est pas seulement le mode de désignation des représentants, c’est aussi la façon dont ils mènent au quotidien leur action, sous l’œil vigilant du public.

Lire aussi :   La démocratie autrement 1|6. Le budget participatif

Propos recueillis par Thomas Wieder

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Le 20/07/2016 à 17:51, Pierre Ratcliffe a écrit :

Bonjour Michel As tu cet article? Merci http://mobile.lemonde.fr/festival/article/2016/07/14/pierre-rosanvallon-creer-un-sentiment-de-democratie-permanente-de-democratie-continue_4969444_4415198.html?xtref=https://www.google.fr/