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Pour les experts européens, le glyphosate est sans danger

Le Monde | 13.11.2015 à 06h41 • Mis à jour le 13.11.2015 à 12h19 | Par Stéphane Foucart

 

Un agriculteur traite ses cultures dans le sud-ouest de la France, en avril.

Sauf surprise, le glyphosate devrait être de nouveau autorisé pour dix ans en Europe. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a rendu, jeudi 12 novembre, un avis favorable au maintien sur le marché de cette molécule herbicide, principe actif du célèbre désherbant Roundup. L’avis de l’EFSA servira de base à la décision de la Commission européenne d’accorder, ou non, une nouvelle autorisation décennale au produit. Il estime « improbable » que « le glyphosate soit génotoxique [toxique pour l’ADN] ou qu’il constitue une menace cancérogène pour l’homme ».

L’opinion de l’EFSA tranche avec l’avis, rendu en mars, du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Au contraire de l’EFSA, l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait en effet disposer « de preuves fortes de la génotoxicité du glyphosate » et classait la substance comme « cancérogène probable ».

L’avis de l’EFSA a été accueilli dans la colère par un grand nombre d’organisations non gouvernementales (ONG). « La loi européenne dispose qu’un lien “présumé” avec le cancer signifie qu’un pesticide ne peut pas être utilisé, sauf si l’exposition humaine est démontrablement “négligeable”, déclare Greenpeace dans un communiqué. Or, le glyphosate est tant utilisé que l’exposition humaine est inévitable. Il est retrouvé fréquemment dans l’air, l’eau, dans les jardins publics, sur les terres agricoles et dans la nourriture. »

Aux côtés d’ONG engagées contre l’agrochimie – Greenpeace, Pesticide Action Network, Générations futures, etc. –, la Ligue contre le cancer s’est aussi mobilisée. « C’est la première fois que nous nous mobilisons à travers une campagne publique pour obtenir le retrait d’un pesticide, explique-t-on à la Ligue. Nous regrettons vivement l’avis de l’EFSA. »

La substance la plus utilisée au monde

Le retrait pur et simple de la molécule semble peu probable. Le glyphosate est la substance active la plus utilisée au monde, en raison de l’adoption rapide des cultures transgéniques tolérantes au Roundup, qui facilite son usage. Au niveau mondial, sa production est passée de 600 000 tonnes en 2008 à 720 000 tonnes en 2012. En France, le glyphosate est aussi la molécule active la plus utilisée : environ 8 000 tonnes par an pour les usages professionnels.

Comment expliquer les divergences de vue entre l’EFSA et le CIRC ? « Notre évaluation a pris en compte un certain nombre d’études non évaluées par le CIRC, ce qui explique en partie pourquoi les deux évaluations ont abouti à des conclusions différentes », dit-on à l’agence européenne basée à Parme (Italie). Ce qui est formulé quelque peu différemment au siège lyonnais de l’agence de l’OMS. « Notre méthodologie consiste à ne tenir compte d’études que dans la mesure où elles sont publiques, publiées dans des revues scientifiques avec révision par les pairs [c’est-à-dire une expertise préalable à la publication], précise-t-on au CIRC. Alors que l’EFSA examine aussi des résultats d’études industrielles non publiées. » Vérité en deçà des Alpes, erreur au-delà.

Les divergences entre les deux expertises sont considérables, notamment sur la génotoxicité du glyphosate. Car, outre des études in vitro et sur l’animal, des travaux menés sur les humains sont également disponibles dans la littérature scientifique. « Il existe des études suggérant la génotoxicité de produits commerciaux à base de glyphosate sur des sujets humains, conduites après des opérations de pulvérisations aériennes, indique Christopher Portier, ancien directeur du National Center for Environmental Health des Centres de contrôle et de prévention des maladies d’Atlanta (Etats-Unis) et autorité mondiale dans le domaine de la cancérogénèse. Ces études n’ont pas été prises en compte par l’EFSA au motif que ce n’est pas du glyphosate pur qui a été utilisé, mais du glyphosate avec des co-formulants. D’un point de vue de santé publique, cela n’a aucun sens. »

« Faire cela n’est pas autorisé par les règles internationales »

Sur la cancérogénicité, la polémique n’est pas moins forte. « L’EFSA disposait de cinq études sur la souris, toutes montrant des excès de plusieurs types de tumeurs. Dans chaque expérience, ces excès sont statistiquement significatifs, mais l’EFSA ne les a pas considérés comme tels : les experts européens ont utilisé une base de données historique de groupes témoins pour comparer les excès de tumeurs obtenus, ajoute M. Portier, qui fait partie des scientifiques consultés par le CIRC. Faire cela n’est pas autorisé par les règles internationales de bonnes pratiques toxicologiques. » Une « base de données historique de groupes témoins » rassemble les données issues des groupes témoins de nombreuses expériences précédentes : elle donne la fréquence de certaines pathologies chez des animaux de laboratoire non exposés à des toxiques. Mais son utilisation doit être justifiée.

Interrogée, l’EFSA rétorque être restée « en ligne avec les règles internationales ». Cependant, le document-guide des bonnes pratiques toxicologiques édité par l’Organisation de coopération et le développement économiques et cité par l’EFSA donne raison au CIRC : « Il doit être souligné que le groupe témoin de l’expérience est toujours le plus important à considérer pour évaluer l’augmentation des taux de cancers. » Ce qui, en l’occurrence, n’a pas été le cas.

Ce n’est pas tout. « Non seulement la comparaison avec les données historiques de groupes témoins n’est pas autorisée quand le groupe témoin de l’expérience est suffisant, confirme-t-on au CIRC, mais la base de données historique de témoins utilisée par l’EFSA regroupe plusieurs souches de souris de laboratoire, ce qui rend invalide toute comparaison avec une souche unique. Nous sommes curieux de savoir comment l’EFSA va justifier cela. » La virulence des critiques rompt avec l’entre-soi du monde de l’expertise sanitaire. « Il m’est très difficile de comprendre comment des toxicologues peuvent endosser un tel avis, dont les auteurs avaient, semble-t-il, déjà la réponse avant que la question ne soit posée, fulmine M. Portier. C’est très perturbant. »