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« Les reculs environnementaux de l’Europe sont les premiers marqueurs de sa trumpisation »

Les normes environnementales et sanitaires sont présentées comme une entrave aux performances de l’économie de l’UE, mais elles sont aussi l’instrument de sa puissance à l’international, estime dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».

 

« Nous ne combattons pas les combustibles fossiles, mais uniquement les émissions [de gaz à effet de serre] qui en sont issues. » L’auteur de cette déclaration aux relents de rhétorique orwellienne n’est pas Chris Wright, l’ancien magnat du gaz de schiste devenu secrétaire à l’énergie des Etats-Unis, ou un quelconque climatosceptique de l’administration Trump : c’est Ursula von der Leyen. La présidente de la Commission européenne s’exprimait ainsi au cours de la conférence de presse clôturant la réunion du G20, le 21 novembre à Johannesburg (Afrique du Sud), à un moment qui ne doit rien au hasard. Le même jour, à Belem (Brésil), les délégations des Etats parties à la Convention des Nations unies sur le climat tentaient de s’accorder sur un texte commun à l’issue de la COP30.

Cette déclaration n’est pas un mot maladroit. Elle est, au contraire, symptomatique du mouvement d’alignement en cours de l’Union européenne (UE) sur l’Amérique de Donald Trump. Cet alignement prend la forme, ces derniers mois, d’une série de reculs réglementaires et de renoncements sur l’environnement, la santé ou encore la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Autant de marqueurs de la singularité du Vieux Continent qui s’effacent ou sont remis en cause à un rythme étourdissant.

Détricotage du volet agricole du pacte vert, report du règlement sur la déforestation importée, révision à la baisse du projet d’interdiction universelle des « polluants éternels », réduction à néant de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, large dérégulation des « nouveaux OGM » sans remise en question de leur brevetabilité, etc., à quoi s’ajoute le feu roulant des paquets législatifs « omnibus » destinés à « simplifier » la réglementation de l’UE sur la chimie, l’environnement, l’automobile, l’alimentation, etc.

 

Celui sur l’alimentation est parmi les prochains sur la liste. Le commissaire européen à la santé, le Hongrois Oliver Varhelyi, souhaite y inscrire la possibilité d’autoriser les pesticides sans limite de temps, de déroger à l’obligation de tenir compte de la littérature scientifique dans les réévaluations nationales des produits ou d’allonger de trois années supplémentaires les « délais de grâce » dont bénéficient les utilisateurs des substances les plus dangereuses après leur interdiction. Quel que puisse être l’objectif des paquets « omnibus », on voit mal comment avoir la possibilité d’ignorer la science dans les évaluations sanitaires ou environnementales de produits réglementés pourrait bénéficier aux citoyens européens.

Donald Trump et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, après l’annonce d’un accord commercial entre les Etats-Unis et l’Union européenne, à Turnberry (Ecosse), le 27 juillet 2025.

Donald Trump et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, après l’annonce d’un accord commercial entre les Etats-Unis et l’Union européenne, à Turnberry (Ecosse), le 27 juillet 2025. EVELYN HOCKSTEIN / REUTERS

 

Fin 2024, une enquête de plusieurs médias internationaux coordonnée par Lighthouse Reports, en collaboration avec Le Monde, avait montré que la première administration Trump avait secrètement eu recours à des sociétés de relations publiques pour torpiller le volet agricole du pacte vert. Washington ne s’embarrasse plus de discrétion, ni de politesse. La nouvelle administration publie le courrier comminatoire qu’elle adresse aux dirigeants européens pour demander, sans autre forme de procès, l’abrogation de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises : que leurs chaînes de valeur reposent sur le travail d’enfants ou d’esclaves ou sur la destruction de l’environnement et du climat ne doit leur poser aucun problème.

 

Le 8 décembre, la Commission, le Conseil et le Parlement européens obtempèrent. Le subtil équilibre des pouvoirs, caractéristique des institutions européennes, qui semblait garant d’une voie médiane et raisonnable, semble rompu. Tout se met à pencher vers M. Trump.

Eléments de langage

Quelques mois plus tôt, fin juillet, la Commission européenne s’engageait auprès de Washington à importer pour 750 milliards de dollars (638 milliards d’euros) de combustibles nucléaires, de pétrole et surtout de gaz naturel américains au cours des trois prochaines années. Soit quelque 250 milliards de dollars par an, un montant colossal qui suscite la perplexité des observateurs : comment concilier un tel engagement avec la tendance baissière de la demande européenne de gaz naturel (celle-ci a chuté de 20 % entre 2021 et 2024), ajoutée à la promesse de décarboner l’économie européenne ?

C’est à cette aune qu’il faut comprendre la déclaration de Mme von der Leyen au G20 de Johannesburg. L’Europe ne lutte pas contre les combustibles fossiles, puisqu’elle a promis d’absorber la surproduction américaine de gaz : elle lutte – c’est plus subtil – contre leur combustion. Les reculs environnementaux de l’Europe sont les premiers marqueurs de sa trumpisation.

A bien des égards, les éléments de langage brandis à l’appui de ces reculs – lutter pour la « compétitivité » de l’Europe, sa « souveraineté », défaire la « complexité » de la réglementation, etc. – ne sont guère qu’un écran de fumée qui dissimule la vassalisation de l’Union. Ses normes environnementales et sanitaires sont toujours présentées comme des entraves à la liberté d’entreprendre et aux performances de son économie, mais elles sont aussi l’instrument de sa puissance à l’international.

En conditionnant l’accès à son immense marché intérieur à une série de standards protecteurs de la santé et de l’environnement, l’Europe pèse sur la structure des chaînes de valeur dans le monde entier et impose sa volonté bien au-delà de ses frontières. La voilà qui renonce à une part de ce pouvoir, que la juriste américaine Anu Bradford (université Columbia) avait baptisé, en 2012, l’« effet Bruxelles ». Toutes proportions gardées, c’est l’esprit de Munich qui souffle ces jours-ci sur Bruxelles. Comme dans les années 1930, il fait accroire que, face à un pouvoir brutal et agressif, autoritaire et peu soucieux du droit, seule la complaisance peut acheter la tranquillité.