Ils sont amis et se marient : « Ça faisait un moment que je réfléchissais à décentrer l’amour romantique de ma vie »
Par Cécile Massin
Publié le 31 juillet 2025 à 06h00, modifié le 31 juillet 2025 à 09h54

La voix tremblante, Lise, 29 ans, remonte avec précision le fil de sa cérémonie de mariage avec Elfée. Des semaines de préparation, de la rédaction des vœux au choix de l’incontournable pièce montée. « Quand on s’est dit oui et qu’on s’est échangé nos bagues, tout le monde était très ému, raconte la jeune femme belge. Nos proches ont fait de très beaux discours, c’était vraiment un moment magnifique. » Un mariage somme toute classique, à un détail près : les deux inséparables, qui se sont rencontrées enfants, ne sont pas en couple mais amies. « Avec Elfée, on a toujours été fusionnelles, débute Lise. Avec ce mariage, on voulait célébrer le lien si fort qui nous unit. »
Pour éviter d’être poursuivies pour faux, les deux femmes ont fait le choix de ne pas s’unir en mairie, mais dans la maison familiale de Lise, en présence de près d’une centaine de proches. Contrairement à un mariage civil, leur « amiriage », comme elles l’ont rebaptisé, reste donc purement symbolique. « Mais ce n’est pas grave, insiste Lise. Le principal, c’est d’avoir célébré la force de notre amitié qui dure depuis tant d’années, contrairement aux relations amoureuses qui vont et qui viennent. »
Des propos qui résonnent avec ceux de Lucie et Delphine (prénoms changés), 26 ans chacune, qui se sont elles aussi dit oui lors d’une cérémonie, célébrée en grande pompe, dans une maison familiale du sud-est de la France, avec un copain drag-queen pour maître de cérémonie. « Ça faisait un moment que je réfléchissais à décentrer l’amour romantique de ma vie, rembobine Lucie, qui vit à Paris où elle évolue dans le milieu queer. Notre mariage, c’était une manière festive de se réapproprier les codes hétéronormés du mariage pour célébrer l’amitié, une forme d’amour trop souvent reléguée au second plan. » Et de renchérir : « Il y a plein d’étapes qui permettent d’officialiser les relations amoureuses et se dire qu’on s’aime, à commencer par le mariage. Pour les relations amicales, il n’y a rien. On voulait y remédier. »
Surtout les femmes et les personnes queer
Difficiles à quantifier car non officiels, ces mariages symboliques entre amis participent d’un mouvement qui consiste à « questionner la hiérarchie des relations qu’on nous apprend depuis tout petit, avec le couple tout en haut et les amitiés au second plan, précise Alice Raybaud, autrice de Nos puissantes amitiés (également journaliste au Monde). D’ailleurs, ces mariages entre amis concernent essentiellement les femmes ou personnes queer. Pour elles, c’est une façon d’affirmer qu’elles peuvent être complètes dans leur vie sans homme, qu’elles ne sont pas seules pour autant. »
Les mariages entre amies ont cependant peu de chances de franchir les marges. Déjà, la démarche est « très peu connue », souligne François Miquet-Marty, coauteur de l’enquête « Les nouvelles amitiés » pour la Fondation Jean Jaurès. Surtout, « on reste dans une société construite autour du couple, où on est regardé comme un ovni quand on sort des sentiers battus », souligne Alice Raybaud. Lise en atteste : « Quand j’ai annoncé mon mariage avec Elfée à mes parents, ils m’ont demandé si ça voulait dire que je renonçais à l’amour, soupire-t-elle, ce qui n’est pas du tout le cas… »
Quand l’une des deux personnes est en couple, il faut aussi, parfois, rassurer la ou le conjoint, témoigne Lucie. « Au début, c’était un peu bizarre pour le copain de Delphine. Il faut dire qu’il a moins l’habitude d’avoir des gens autour de lui qui mettent autant d’importance dans leurs relations amicales… Mais il s’en est accommodé. » Les deux jeunes femmes espèrent que leur démarche participe à faire comprendre, doucement mais sûrement, que « les amitiés ne sont pas une salle d’attente avant le grand amour », dit Lise. « Ça peut déjà être une forme de grand amour. »