JustPaste.it

« Révolution du bon sens » ou tournant identitaire : les premiers marqueurs de la présidence Donald Trump

Analyse

Piotr Smolar

Washington, correspondant

La grâce accordée par le nouveau président américain aux émeutiers du Capitole, y compris aux plus violents d’entre eux, ainsi que la remise en cause des politiques antidiscrimination illustrent un bouleversement étatique, moral et sociétal.

 

Henry « Enrique » Tarrio, ex-chef de file des Proud Boys, groupe d’extrême droite impliqué dans l’attaque du Capitole en  2021, après sa libération, à Miami, en Floride, le 22  janvier 2025.

Henry « Enrique » Tarrio, ex-chef de file des Proud Boys, groupe d’extrême droite impliqué dans l’attaque du Capitole en  2021, après sa libération, à Miami, en Floride, le 22  janvier 2025. GIORGIO VIERA / REUTERS

Il l’avait annoncé, une majorité d’électeurs l’a voulu : dès les premiers jours de son mandat, Donald Trump conduit un bouleversement étatique, moral et sociétal aux Etats-Unis. Dans son discours inaugural, lundi 20 janvier, il a promis une « révolution du bon sens ». Des termes antinomiques qui dessinent une réaction conservatrice à certaines évolutions récentes de la société américaine, notamment la reconnaissance et la promotion de la diversité sexuelle et raciale. Cette réaction s’accompagne d’une novlangue populiste observée dans d’autres pays, qui remplace les faits par la répétition de slogans.

 

Rien ne l’illustre davantage que la grâce présidentielle accordée aux 1 500 émeutiers – « les otages » – du 6 janvier 2021 au Capitole, à quelques exceptions près. L’intention de Donald Trump ne faisait guère de doute. Depuis quatre ans, grâce à des relais médiatiques puissants, il avait promu l’idée que les coupables de cette insurrection étaient des victimes. Mais la décision de gracier aussi les auteurs de violences contre les 140 policiers blessés représente le marqueur le plus fort de ce début de mandat. Selon le site Axios, elle aurait été prise « à la dernière minute », saluée par cette phrase du président, rapportée par un conseiller : « Et puis merde. Relâchez-les tous. »

 

Cette décision, critiquée par 58 % des Américains selon un sondage Reuters, a provoqué le trouble chez de nombreux élus républicains au Congrès. Le principal syndicat de policiers – Fraternal Order of Police – s’est ému de cette grâce générale, profitant notamment à 174 personnes condamnées pour avoir agressé les forces de l’ordre avec des objets dangereux voire létaux. Les experts en violences extrémistes s’alarment d’une invitation à la récidive ou au passage à l’acte pour des individus ou des groupes armés se sentant protégés par la bienveillance de la Maison Blanche. « L’Etat de droit est mort », a commenté Michael Fanone, officier de police de Washington ayant défendu le Capitole, sur CNN mercredi.

 

Donald Trump a été interrogé sur la libération des chefs des milices extrémistes armées, les Oath Keepers et les Proud Boys : Stewart Rhodes et Enrique Tarrio. Il a estimé que leurs peines étaient « ridicules et excessives ». Il s’agit « de gens qui en réalité aiment [les Etats-Unis] », a-t-il ajouté, à propos de ces condamnés pour « conspiration séditieuse ». Mercredi, Stewart Rhodes, condamné à dix-huit ans de prison, était vu dans l’une des cafétérias du Capitole.

Une enquête fédérale piétinée

Les élus républicains choisissent pour la plupart de détourner l’attention sur Joe Biden. Juste avant de quitter la Maison Blanche, ce dernier a accordé une grâce présidentielle très controversée à des membres de sa propre famille. Mais ce souci clanique malvenu n’a rien à voir avec la réhabilitation d’émeutiers ayant attenté à la démocratie américaine, essayé d’interrompre la certification de l’élection présidentielle et agressé, pour certains, des policiers. Une enquête fédérale de plusieurs années est ainsi piétinée et ses responsables, menacés de poursuites. « Nous croyons dans la rédemption, nous croyons en une seconde chance », a prétendu, de son côté, Mike Johnson, le speaker républicain de la Chambre des représentants, au sujet des graciés.

« C’est un grand, grand navire, et nous le faisons virer aussi vite qu’un grand navire peut virer », a expliqué le président au sujet du pays, lors de l’un des bals fêtant son entrée à la Maison Blanche. Outre l’immigration, promesse centrale de campagne, l’équipe Trump s’est focalisée, dans les décrets présidentiels, sur un abandon des évolutions progressistes prisées par une partie de la société américaine, que l’administration Biden avait encouragées. Pour l’heure, un brouillard épais s’installe, ne permettant pas de distinguer ces messages politiques tranchés de leur traduction concrète.

Récupération du « rêve » de MLK à couper le souffle

Dans son discours inaugural, Donald Trump a promis de « forger une société qui sera indifférente à la couleur de peau et basée sur le mérite », s’engageant même à réaliser le « rêve » de Martin Luther King (MLK). Une récupération osée : par décret, le président a en effet tiré un trait sur un texte fondateur signé par son lointain prédécesseur, Lyndon Johnson, en 1965, interdisant la discrimination sur la base de la religion, de la couleur de peau, des origines ou du sexe. Donald Trump attaque ici les dispositifs de discrimination positive. Il s’inscrit dans la continuité de la décision de la Cour suprême, en juin 2023, bannissant son usage à l’entrée des universités.

Le nouveau décret dénonce « les préférences dangereuses, dégradantes et immorales, basées sur la race et le sexe », qu’ont adopté « le gouvernement fédéral, les grands groupes, les institutions financières, l’industrie médicale, les grandes compagnies aériennes civiles, les agences chargées de l’application de la loi et les institutions de l’éducation supérieure ». Selon le décret, « l’unité nationale » serait menacée, de même que les « valeurs américaines traditionnelles ». Soit la méritocratie, mot-valise prisé des républicains. Le message politique est limpide, mais la mise en musique réglementaire et concrète, dans le privé comme dans le public, demeure suspendue notamment à maintes contestations judiciaires, déjà lancées.

Vague anti- « woke »

L’administration Trump 2 veut imposer sur-le-champ dans le secteur public la suppression de tous les programmes DEI (diversité, équité, inclusion), dans un mouvement parallèle à celui suivi par certains grands groupes privés. La vague anti- « woke » prétend ainsi rétablir un équilibre dans la société. Le Bureau de gestion du personnel a informé tous les employés de ces programmes qu’ils étaient placés en congés, à compter de mercredi soir. Les administrations concernées sont priées de préparer des plans de réduction des effectifs, autrement dit des licenciements.

 

Le Wisconsin Institute for Law & Liberty (WILL), organisation conservatrice ayant plaidé en faveur de ces mesures, s’est félicité d’avoir été entendu. L’un de ses juristes, Dan Lennington, a salué un « changement sismique », permettant de « mettre fin à des décennies de racisme en Amérique financé par l’argent du contribuable ». Le WILL a estimé à « au moins 124 milliards de dollars » (119 milliards d’euros) les économies budgétaires possibles, chiffre invérifiable.

Autre marqueur identitaire très attendu : un décret présidentiel dispose que « la politique des Etats-Unis consiste à reconnaître deux sexes, masculin et féminin ». S’en prenant à « l’identité de genre », qui serait « déconnectée de la réalité biologique », le texte impose à toutes les administrations d’utiliser le mot « sexe » plutôt que « genre » dans les formulaires officiels. En 2022, l’administration Biden avait franchi un pas très critiqué à droite, en offrant la possibilité d’inscrire un « X » neutre à la rubrique du genre, dans les passeports.

 

La réaction est aujourd’hui puissante. L’importance symbolique et identitaire accordée par les démocrates à ce sujet n’avait jamais été comprise, et encore moins admise, par une partie de l’Amérique, bien au-delà de la base des fidèles trumpistes, à l’instar du choix des pronoms. L’un des clips de campagne les plus ravageurs du milliardaire se concluait par ce slogan : « Kamala [Harris] est pour eux/elles. Le président Trump est pour vous. »

Le cœur de ce trumpisme emprunte aussi au registre sémantique de la libération, lorsque Donald Trump parle de l’exploitation des ressources énergétiques du sol américain, sans un mot pour l’écologie. Mêmes ressorts dans la célébration d’une levée de la censure sur les réseaux sociaux, priorité du monde MAGA (Make America Great Again), défendant une liberté d’expression absolue.

 

Le procureur général des Etats-Unis – qui sera sans doute Pam Bondi, après confirmation au Sénat – est ainsi invité à enquêter sur les quatre années passées, pour identifier les violations de ce droit constitutionnel des citoyens américains. La ministre de la justice pourra compter sur un nouvel allié à Washington. Donald Trump a choisi Ed Martin, avocat de plusieurs émeutiers du 6 janvier 2021, comme procureur par intérim du district de Columbia (DC). Ed Martin était présent au Capitole le jour de l’assaut. Il avait écrit sur Twitter : « Comme un mardi gras à DC aujourd’hui : amour, foi et joie. »

 

Lire aussi
Lire plus tard
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Donald Trump, un pouvoir sans partage, mais deux vice-présidents
Lire plus tard
Lire plus tard