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Au Royaume-Uni, où des militants pacifistes sont condamnés à des années de prison ferme, une criminalisation sans précédent

Cinq activistes de l’ONG Just Stop Oil ont fait appel, les 29 et 30 janvier, après avoir été condamnés à plusieurs années de prison ferme pour avoir participé à une réunion Zoom. Cette législation répressive a été défendue par la gauche comme par la droite.

Par Cécile Ducourtieux (Londres, correspondante)

 

Un membre du mouvement Extinction Rebellion, arrêté après une action menée dans le centre de Londres, le 29 octobre 2024.

Un membre du mouvement Extinction Rebellion, arrêté après une action menée dans le centre de Londres, le 29 octobre 2024. JUSTIN TALLIS / AFP

 

La décision de justice est tombée le 18 juillet 2024, quelques jours après la victoire éclatante du Labour aux élections législatives britanniques, alors que les journalistes bouclaient leurs valises pour la pause estivale.

 

Cinq militants de l’ONG environnementale Just Stop Oil ont été condamnés à des peines de prison très lourdes pour avoir participé à une réunion Zoom afin de préparer une opération de blocage de l’autoroute M25 (faisant le tour du Grand Londres), en novembre 2022. Roger Hallam, 58 ans, cofondateur du mouvement Extinction Rebellion (XR), a été condamné à cinq ans de prison. Daniel Shaw, Louise Lancaster, Lucia Whittaker De Abreu et Cressida Gethin ont également été déclarés « coupables de conspiration en vue de causer un désordre public » et condamnés chacun à quatre ans de prison ferme.

Ces condamnations sont sans précédent au Royaume-Uni (et ailleurs en Europe) pour des manifestants non violents. « Aujourd’hui est un jour sombre pour les manifestations pacifiques en faveur du climat. Ces condamnations devraient choquer les consciences de tous les citoyens. Cela devrait aussi tous nous alerter sur l’état des droits civiques et des libertés au Royaume-Uni », avait déclaré le 18 juillet 2024, Michel Forst, le rapporteur spécial de l’ONU pour les défenseurs de l’environnement.

Les cinq sympathisants de Just Stop Oil emprisonnés se sont joints à dix autres activistes précédemment condamnés (à des peines allant jusqu’à deux ans de prison) pour faire appel de leur condamnation : l’audition de cet appel groupé a eu lieu les 29 et 30 janvier à Londres. Il représente un test important pour les militants en faveur du climat au Royaume-Uni, mais aussi ailleurs en Europe, où la tendance est également à une répression plus sévère des actions non violentes contre eux.

 

Criminalisation des actions non violentes

Deux lois (le Police, Crime, Sentencing and Courts Act et le Public Order Act), proposées et défendues par les gouvernements conservateurs de Boris Johnson puis de Rishi Sunak, adoptées à Westminster ont contribué à criminaliser les manifestations pacifistes. Ces textes donnent davantage de pouvoirs à la police pour intervenir et faire cesser des manifestations « perturbatrices » (parfois avant même qu’elles aient lieu). Ils introduisent aussi des peines plus lourdes pour les personnes impliquées dans l’organisation ou la participation à ces manifestations. Keir Starmer, quand il était chef de l’opposition travailliste, ne s’est pas opposé à ces durcissements et n’a rien fait, depuis qu’il est entré au 10 Downing Street, pour les dénoncer ou les abandonner.

« Nous sommes extrêmement déçus par l’attitude du gouvernement Labour, qui comme le gouvernement conservateur précédent, ne remplit pas son devoir de protection des citoyens face au changement climatique », réagissait Pia Bastide, l’une des porte-parole de Just Stop Oil, présente mercredi 29 janvier devant la Royal Courts of Justice (la Cour royale de justice), à Londres. « Ces lois utilisées pour nous poursuivre et nous mettre en prison ont été suggérées par des groupes de réflexion comme Policy Exchange, en partie financé par ExxonMobil [selon une enquête publiée par le site OpenDemocraty]. Et les autorités profitent de la vague notion de “perturbation” que ces lois introduisent pour nous emprisonner pendant des années », accuse encore la militante de 31 ans.

 

L’actrice Juliet Stevenson participait, elle aussi, au rassemblement en soutien aux activistes condamnés, devant l’entrée de la Cour royale de justice. « Comment est-il possible d’être condamné à de telles peines de prison ferme pour avoir participé à une réunion Zoom ? Je ne reconnais plus ce pays, où on expose les statues de Nelson Mandela et de la suffragette Millicent Fawcett sur Parliament Square [la place faisant face au palais de Westminster], mais où on emprisonne d’autres militants non violents pour le climat ? », dénonce au Monde l’actrice de Joue-la comme Beckham ou plus récemment, du thriller Reawakening.

 

Le grand public peu mobilisé

Les prisons britanniques sont pleines – tellement pleines qu’à deux reprises, à l’automne dernier, le gouvernement Labour a libéré des milliers de prisonniers avant la fin de leur peine, suscitant les critiques des partis d’opposition. Pourtant, il reste de la place pour les militants de Just Stop Oil, qui purgent leur peine sans traitement de faveur. Louise Lancaster, 58 ans, une enseignante mère de trois enfants condamnée à quatre ans ferme, a raconté ses premiers mois dans les prisons de femmes HMP Bronzefield puis HMP Send (Surrey), dans le Guardian. Elle y livre la promiscuité, les cris, le manque d’air frais et de nouvelles du monde.

 

Danny Friedman, l’un des avocats des condamnés, prenant la parole lors des auditions de l’appel, mercredi, a souligné qu’aucun des militants n’avait agit « par intérêt personnel », mais « dans l’intérêt du public, de la planète et des futures générations », par « esprit de sacrifice », a ajouté l’avocat. Si la presse de gauche relaie leur expérience et s’indigne de la répression judiciaire, le grand public s’est jusqu’à présent très peu mobilisé en faveur des militants. Jeudi 30 janvier, un petit millier de soutiens se sont réunis dans le quartier de Holborn, face à la Cour royale de justice. « On ne peut pas dire qu’on n’a pas peur de se faire arrêter, confie Pia Bastide, de Just Stop Oil. C’est un risque, il faut apprendre à vivre avec. Mais les techniques d’intimidation des autorités ne sont rien par rapport à notre détermination et à la conviction que nous avons de faire ce qu’il faut. »

 

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