Journal d’épidémie : Covid, et voilà que revient le mythe du «virus de l’hiver»
Christian Lehmann
Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique d’une société touchée par les crises sanitaires et du service public. Aujourd’hui, il déplore la sous-détection et l’invisibilisation persistante du Sars-Cov-2 par les autorités.
«L’hiver approche, et avec lui, le retour des infections respiratoires comme la grippe, la bronchiolite ou le Covid-19. Mais il existe des gestes simples et applicables par tous à réaliser au quotidien pour s’en protéger et protéger ses proches» tweete Grégory Emery, directeur général de la santé depuis septembre 2023 à la suite de Christian Rabaud , resté quelques mois seulement à ce poste après avoir succédé à Jérôme Salomon , qui pilota les quatre premières années de la période Covid sans être inopinément inquiété pour avoir été un des principaux responsables de la pénurie de masques. Nous sommes donc à la fin 2024, Sars-Cov-2 circule sur la planète en continu, de variants en variants, depuis cinq ans, et le storytelling du «virus de l’hiver» est toujours répété par ceux dont la fonction serait de nous informer. Car comme le pointe Nicolas Berrod, du Parisien, «plus de 1 000 clusters de Covid ont été recensés en établissements médico-sociaux depuis la fin de l’été, dont une grande majorité en Ehpad» , alors que sur cette même période n’apparaissait quasiment aucun cluster de grippe ou de virus respiratoire syncitial (principal vecteur des bronchiolites).
Comment s’étonner de la lassitude de la population, du désintérêt pour la stratégie vaccinale, de la disparition des masques en lieu clos et dans les transports, quand les informations données du bout des lèvres engendrent systématiquement la confusion ? De même que la pénurie organisée de masques avait amené les pouvoirs publics à mentir sur leur utilité en population et à rejeter pendant de longs mois cruciaux la réalité d’une transmission aéroportée, de même le déni actuel d’une pandémie persistante, dont les variants et les vagues s’enchaînent tout au long de l’année, sert-il le narratif d’un gouvernement lassé du quoi qu’il en coûte. Parce que les vaccins Covid n’ont été à nouveau disponibles qu’à la mi-octobre, il est impératif de prétendre que l’épidémie est hivernale. Alors que là où elle est encore suivie et pistée, essentiellement donc dans les établissements médico-sociaux, la réalité épidémique ne peut être cachée : Sars-Cov-2 circule toute l’année. Il faut bien comprendre qu’on ne trouve que ce qu’on cherche, et que rien, ou presque, n’est fait pour traquer le Covid hors de ces établissements, en dehors de la détection du virus dans les eaux usées, seul marqueur fiable de sa circulation.
Nombre de médecins ont cessé de prescrire les tests PCR
A l’hôpital récemment, en service de réanimation auprès d’un proche atteint d’une grave maladie respiratoire auto-immune, j’ai pu constater que seuls les membres de la famille et son entourage portaient systématiquement un masque. Les personnes conscientes des risques du Covid, soit parce qu’elles se savent vulnérables, soit parce qu’elles subissent les séquelles d’un Covid long, sont systématiquement confrontées au déni de la part d’une majorité de professionnels de santé, quand elles ne subissent pas un discours négationniste ou antivax de la part de certains soignants réintégrés. En ville, que ce soit en cabinet, à SOS Médecins ou en téléconsultation, il faut bien saisir que, dans la grande majorité des cas, le diagnostic évoqué devant une infection fébrile d’allure virale sera «grippe», ou «syndrome grippal», et que seuls certains médecins réussiront à convaincre leurs patients de réaliser une PCR en laboratoire d’analyses pour affiner le diagnostic étiologique.
Rappelons que depuis plus d’un an, les modifications du code génétique du virus, de variant en variant, ont grandement limité l’utilité des autotests antigéniques, ou des tests antigéniques rapides réalisés en pharmacie. Actuellement, le taux de faux négatifs de ces tests dépasse les 60 %, ce qui signifie que si on effectue un test antigénique à trois personnes covidées, seule l’une de ces trois personnes sera dépistée positive. Le test par PCR (avec un mode de prélèvement par écouvillonnage nasal identique) réalisé en laboratoires d’analyse permettait en début d’épidémie d’obtenir un résultat en quelques heures, mais sa raréfaction, ainsi que sa moindre prise en charge auprès des laboratoires par la Sécurité sociale, a largement rallongé les délais d’obtention du résultat, qui peuvent dépasser quarante-huit heures. Devant cet état de fait, nombre de médecins ont cessé de les prescrire, invisibilisant un peu plus la pandémie, pour le plus grand bénéfice d’un gouvernement qui fait mine régulièrement de s’étonner de l’augmentation des arrêts de travail courts dans une population laissée sans défense face à un virus respiratoire potentiellement mortel.
On organise la sous-déclaration et l’invisibilisation de la pandémie
La définition d’un cas de Covid est une définition étiologique, c’est-à-dire que le diagnostic ne peut être posé avec certitude qu’avec la mise en évidence du virus chez le patient. A défaut, ni un cas de Covid, ni l’hospitalisation qu’il pourrait provoquer, ni un éventuel décès, ne peut être recensé. Selon le théorème encore aujourd’hui porté par le docteur Gérald Kierzek sur les plateaux : «Pas de test, pas de Covid.» Ainsi, plus l’écart se creuse entre le taux de dépistage dans la population et la prévalence réelle des infections à Sars-Cov-2, plus les indicateurs épidémiologiques de mortalité baissent-ils, ainsi que le recensement des Covid longs. «Comment voulez-vous suspecter une forme chronique quand vous n’avez jamais documenté sa phase aiguë ?» demande le médecin biologiste Claude-Alexandre Gustave. Il note par ailleurs une incongruité majeure : le Covid fait désormais partie des maladies à déclaration obligatoire… mais sans politique de dépistage cohérente, on organise la sous-déclaration et l’invisibilisation de la pandémie. Et pourtant, malgré ces lacunes, sur les seuls cas recensés, le Covid a tué 5 671 personnes en 2023, contre 1 682 pour la grippe. Et tandis que s’accumulent les preuves des conséquences multiviscérales du Covid : troubles vasculaires, troubles neurologiques et cognitifs, troubles de l’immunité, diabète, tout est fait pour en minimiser l’existence. Chaque infection Covid peut laisser des séquelles sur notre organisme, et une conduite responsable serait d’en minimiser le nombre au cours de notre existence. On en est très, très loin.