Comment la justice négociée est devenue prisée des cols blancs
Ces procédures sont devenues un outil incontournable de la réponse pénale à la corruption et à la fraude fiscale. Le dispositif reste très discuté : est-ce un instrument au service de l’efficacité judiciaire ou l’illustration d’une justice à deux vitesses ? Récit de ses coulisses par ses acteurs.
Par Laura Motet
SEVERIN MILLET
Lundi 14 octobre, l’ex-ministre de la santé Agnès Firmin Le Bodo a été condamnée lors d’une audience de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) – sorte d’adaptation du « plaider-coupable » américain –, pour des cadeaux reçus des laboratoires Urgo lorsqu’elle était pharmacienne. L’entreprise avait déjà soldé les poursuites la visant en janvier 2023, grâce au même mécanisme. La justice négociée a, ainsi, le vent en poupe. Tout particulièrement lorsqu’il s’agit de juger des cols blancs ou des entreprises, qui apprécient la discrétion de ces procédures.
Quelques semaines plus tôt, une journée ordinaire, au tribunal judiciaire de Paris. Une petite salle accueille l’audience destinée à homologuer les CRPC du Parquet national financier (PNF). Des hommes en costume sur mesure défilent à la barre, dans un exercice de contrition accepté. « Pourquoi avez-vous eu recours à ce montage ? », demande la juge homologatrice à un prévenu renvoyé pour fraude fiscale. « Je suis d’accord avec tout », répond-il ex abrupto. « Je ne peux pas me contenter [de cela]. Pouvez-vous détailler les faits ? », réplique la présidente. Son rôle est d’importance : elle doit veiller à ce que le prévenu consente à l’accord qu’il a négocié avec le parquet pour mettre fin aux poursuites, mais aussi vérifier que la peine soit adaptée à la gravité des faits.
Créées en 2004 pour traiter les petits contentieux, comme les cambriolages ou les conduites en état d’ivresse, les CRPC sont devenues des outils courants pour solder des affaires aux enjeux financiers et politiques bien plus importants, comme la fraude fiscale ou les atteintes à la probité. Elles représentent désormais environ 20 % des condamnations issues des procédures du PNF. En 2016, la loi Sapin 2 a créé un second dispositif de justice négociée, les conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), qui s’adressent cette fois aux personnes morales soupçonnées d’atteinte à la probité.
Des défenseurs et des contempteurs
Cette justice négociée est vivante (le PNF a signé sa 21e CJIP le 18 septembre), s’adapte en permanence (une réforme de la CRPC est entrée en vigueur le 30 septembre) et est très lucrative (4 milliards d’euros d’amendes ont été prononcées pour l’ensemble des CJIP du PNF depuis 2016). Elle peine, en revanche, à faire l’unanimité.
Ses défenseurs y voient une manière de sanctionner rapidement des individus et des entreprises au cœur de procédures complexes et souvent internationales. A contrario, ses contempteurs, parmi lesquels certains magistrats et associations de lutte contre la corruption, s’inquiètent de voir s’instaurer une justice à deux vitesses, où les plus riches bénéficieraient d’une certaine clémence et d’audiences à la publicité réduite, palliatif à la faiblesse des moyens d’enquête et manière de résorber le stock toujours plus important de procédures.
Au commencement, il y a la commission de faits par nature dissimulés : un officiel qu’on corrompt, des revenus non déclarés placés à l’étranger, des fonds publics détournés à des fins personnelles… Plusieurs problématiques découlent de ces délits occultes : leur découverte par la justice est tardive ; certains actes d’enquête dépendent d’autorités étrangères peu coopératives. Prouver la matérialité de ces délits – et l’intention de les commettre – demande des actes d’enquête consommateurs en ressources, comme des écoutes téléphoniques ou des perquisitions, parfois rendues inutiles par le long délai passé entre la commission des faits et l’enquête.
Dans ces procédures subsiste un déséquilibre entre les moyens des prévenus et la justice – particulièrement lorsque ce sont des multinationales, regrettent plusieurs magistrats. Les prévenus peuvent multiplier les procédures dilatoires, pouvant repousser d’une dizaine d’années une éventuelle condamnation définitive.
« Négocier de manière pragmatique »
Autant de raisons qui, dans un contexte de manque de moyens, ont favorisé le développement de la justice négociée. La proposition vient généralement du parquet – sans qu’elle soit toujours acceptée. « Tous les dossiers ne se prêtent évidemment pas à une CRPC, à commencer par ceux où une relaxe est possible, explique l’avocat Sébastien Schapira. Dans ces dossiers fragiles pour l’accusation, le parquet sera par nature favorable à une CRPC et c’est à l’avocat d’aider son client en évaluant le risque d’aller à l’audience ou d’y renoncer et de s’engager dans la voie de la CRPC. »
Il peut être plus tentant de recourir à la justice négociée lorsqu’on n’est pas à l’origine du délit principal. Les personnes ayant hérité de fortunes non déclarées à l’étranger – et qui ont omis de les déclarer lors du décès de leurs parents – figurent en bonne place des CRPC. Elles ont souvent été identifiées par la justice à la suite de fuites de données bancaires.
Les nouveaux dirigeants d’entreprise qui découvrent des faits de corruption perpétrés par leurs prédécesseurs peuvent être également tentés de solder un risque pénal pour leur société. La CJIP n’est pas une condamnation : elle n’entraîne pas d’exclusion des marchés publics.
Certaines entreprises françaises peuvent aussi se rapprocher d’un parquet hexagonal pour éviter d’avoir à traiter avec l’un de ses homologues étrangers, nul ne pouvant être puni une seconde fois pour les mêmes faits. Une façon d’éviter que leurs secrets industriels ne se retrouvent, à la faveur d’une perquisition, dans les mains d’un pays étranger qui disposerait d’un champion national concurrent. Une façon aussi de bénéficier de différences d’approche. « Avec le PNF, il est possible d’échanger de manière informelle et dans la confiance, ce qui permet de négocier de manière pragmatique les CJIP,explique l’avocat Thomas Baudesson, l’un des négociateurs de CJIP conclues avec Airbus en 2020 et 2022 et candidat au bâtonnat. A l’inverse, les Britanniques ont une approche écrite beaucoup plus formelle des échanges, ce qui ne favorise pas la fluidité des négociations. »
Amendes minorées
L’ouverture des pourparlers ne garantit pas d’aboutir. « Cela reste une négociation sous pression, dont l’issue n’est jamais jouée d’avance », explique l’avocat Alexis Gublin. Des « discussions de marchands de tapis », résument d’autres avocats anonymement. Les échanges peuvent se tendre lors du choix du périmètre des faits pris en compte par la CJIP. Certaines entreprises peuvent s’autodénoncer en listant des « éléments de soupçon » issus d’une enquête interne, avant d’estimer que l’amende qui permettrait de tous les couvrir est trop élevée.
Ils peuvent également achopper sur la négociation de la peine. Pour les parquetiers interrogés, c’est la preuve qu’il ne s’agit pas d’une justice « au rabais ». Dans le cas des CJIP, les amendes peuvent être bien supérieures à celles habituellement prononcées devant le tribunal correctionnel : 2,1 milliards d’euros pour la partie française de la première CJIP Airbus, 1,2 milliard pour la CJIP McDonald’s, en 2022, pour éviter des poursuites en matière respectivement de « corruption » et de « fraude fiscale ». Mais ces amendes restent faibles au regard du chiffre d’affaires de ces multinationales.
Pour les CRPC, les amendes sont souvent minorées pour récompenser la coopération du prévenu. Si elles ne sont pas adaptées, le juge homologateur les retoque. En juin 2022, la peine négociée entre le PNF et l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis concernant le détournement, entre 2015 et 2017, de plus de 136 000 euros de frais de mandat lorsqu’il était député de Paris avait été refusée : six mois de prison, un an d’inéligibilité avec sursis et aucune amende. Pour le juge, cette peine était inadaptée au regard de la « gravité des faits (…) commis par un élu de la République ». L’ancien stratège socialiste avait donc été renvoyé devant le tribunal pour un procès « classique ». En septembre, il a été condamné à huit mois de prison avec sursis, cinq ans d’inéligibilité et 60 000 euros d’amende, dont 30 000 euros avec sursis. Il a fait appel.
La discussion porte aussi sur les à-côtés. Un élu ayant commis une atteinte à la probité qui refuserait une peine d’inéligibilité signe généralement la fin des discussions. Idem pour le refus d’un programme de mise en conformité, généralement supervisé par l’Agence française anticorruption, dans le cas des CJIP. Cette mise en conformité, dont le coût est supporté par l’entreprise, doit éviter la réitération des faits en améliorant les systèmes de prévention et de détection des comportements délictuels.
Chaque mot compte
Les négociations de CJIP durent des mois, notamment concernant le texte de la convention, qui sera publié en cas d’homologation. Pour l’entreprise, particulièrement si elle est cotée en Bourse, chaque mot compte. Une reconnaissance des faits univoque risquerait de faire plier le cours de son action. Une fois l’accord trouvé, certains parquetiers sondent parfois le juge homologateur de manière informelle. L’occasion de rectifier le tir en amont.
Les victimes identifiées sont ensuite notifiées qu’un accord a été trouvé, afin qu’elles transmettent un calcul de dommages et intérêts, qui viendra s’ajouter à l’indemnisation de leur préjudice. Dans le cas des CRPC, l’indemnisation de la victime est un préalable à toute discussion : le fisc, s’il s’agit de fraude fiscale, ou encore le Parlement, s’il s’agit d’un détournement de frais de mandat par un député ou un sénateur. Dans le cas des CJIP, ce n’est pas une obligation, mais un facteur susceptible de minorer l’amende.
Les parties civiles n’ont cependant pas la possibilité d’empêcher la signature de tels accords – un problème majeur pour les associations de lutte contre la corruption Anticor et Sherpa. Au-delà de l’indemnisation des victimes se pose la question de la moindre publicité des audiences d’homologation. Leur ordre du jour n’est connu qu’à l’ouverture de l’audience, rendant plus difficile la venue de possibles victimes non identifiées et de médias. « Alors qu’elle est introduite sous un prétexte d’efficacité, [la CJIP] risque tout simplement de ne pas être dissuasive. En l’absence de contradiction et de débat public, l’intervention de la justice perd sa valeur d’exemplarité », écrivaient, en 2018, ces deux associations dans une tribune au Monde.
Une réforme le 30 septembre
Dans un rapport publié en juin, l’association Transparency International France, favorable à la justice négociée dans les affaires de corruption internationale, regrette aussi que soient « [écartées] (…) du club très fermé des victimes de la corruption les populations les plus pauvres, qui voient (…) leurs ressources spoliées, [conséquence directe] de la corruption de leurs dirigeants ».
L’audience d’homologation ne signe pas la fin de l’histoire. Après la validation d’une CJIP, le PNF apprécie au cas par cas les suites concernant ceux qui dirigeaient l’entreprise lorsque les faits ont été commis. « L’aléa prédomine concernant le sort des personnes physiques, car il est impossible d’obtenir la garantie écrite de la part du parquet de l’absence de poursuites », regrette l’avocat Antoine Maisonneuve. Ces suites dépendent généralement du contenu de l’enquête interne – qui ne cite souvent que des éléments de soupçons – et des moyens d’enquête de la police et de la justice. Car, pour obtenir une condamnation dans une procédure classique, le parquet devra apporter des preuves ou, au moins, un solide faisceau d’indices concordants.
La question de la profondeur de l’enquête en amont des procédures de justice négociée se pose aussi en cas de refus d’homologation. Dans ce cas-là, les prévenus sont censés être renvoyés devant un tribunal – étape à laquelle ils cessent de coopérer. Une réforme entrée en vigueur le 30 septembre vise à répondre à cette situation. Désormais, après un refus d’homologation de la CRPC, le parquet pourra proposer au prévenu une nouvelle peine prenant en compte les remarques du juge lors de l’audience.
Certains acteurs de la justice négociée y voient la conséquence du refus d’homologation de la CRPC de Vincent Bolloré, lors de la même audience où la CJIP de son entreprise avait été validée, en février 2021, pour des faits de corruption au Togo. Le milliardaire breton pourrait être prochainement renvoyé devant un tribunal. C’est, en tout cas, ce qu’a requis le Parquet national financier, le 3 juin.
Reconnu coupable d’avoir, entre 2015 et 2017, utilisé à des fins personnelles plus de 100 000 euros issus de son enveloppe de frais de mandat, l’ancien député de Paris est condamné à huit mois de prison avec sursis et 60 000 euros d’amende, dont 30 000 euros avec sursis. Il annonce faire appel.
Par Laura Motet
Publié le 04 septembre 2024Longtemps, le poste de premier secrétaire du Parti socialiste (PS) a échappé à Jean-Christophe Cambadélis. La faute à deux condamnations – pour un emploi de complaisance chez un gestionnaire de foyers de travailleurs immigrés en 2000, puis pour un emploi fictif à la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF) en 2006 –, qualifiées d’« histoire très ancienne » par des proches auprès du Monde en 2012, alors qu’il retentait sa chance.
Mercredi 4 septembre, l’ancien stratège socialiste a, cette fois, été reconnu coupable par la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris de « détournement de frais de mandat » pour des faits commis entre 2015 et 2017, lorsqu’il était député de Paris.
La justice a établi qu’il avait, entre 2015 et 2017, employé à des fins personnelles plus de 136 000 euros issus de son enveloppe de frais de mandat de député, parmi lesquels plus de 30 000 euros de loyers de son domicile, plus de 25 000 euros de cotisations au PS, plus de 10 000 euros de déplacements d’agrément – dont un voyage avec son épouse en Corse et un voyage en famille à Prague –, ou encore plus de 18 000 euros de paiements de dommages et intérêts dus après l’une de ses précédentes condamnations.
Le préjudice avait toutefois été ramené à 114 057 euros, l’élu ayant versé de lui-même pendant cette même période plus de 22 000 euros de son compte personnel vers le compte consacré à ses frais de mandat.
« Refus de devoir réduire son train de vie »
« Une multitude d’opérations inscrites dans la durée, (…) dans le but d’assurer son train de vie », avait estimé le procureur financier Hedy Djilali lors de l’audience tenue fin juin, précisant que le Parquet national financier (PNF) ne s’était intéressé qu’aux dépenses effectuées après le 5 mars 2015, date à laquelle les règles d’utilisation des frais de mandat avaient été détaillées dans une « lettre d’information » adressée aux députés par la présidence de l’Assemblée nationale.
Conformément aux réquisitions du PNF, l’ancien élu de 73 ans a été condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis, cinq ans d’inéligibilité et une amende de 60 000 euros, dont 30 000 euros avec sursis. Il devra également poursuivre le remboursement des sommes litigieuses, soit encore 27 000 euros.
« M. Cambadélis a (…) transgressé la loi (…) dans une volonté assumée d’enrichissement ou en tout cas de refus de devoir réduire son train de vie », a expliqué la présidente de la 32e chambre, Bénédicte de Perthuis. Deux autres éléments ont pesé : le statut de député de M. Cambadélis, tant ces types de faits « participent de la défiance que les citoyens peuvent nourrir à l’égard de la politique », mais aussi l’absence de remords exprimés par l’ancien élu.
Son avocat, Me Jean-Etienne Giamarchi, a fait savoir que M. Cambadélis fera appel, car il « n’a pas bénéficié d’un procès équitable ».
L’alerte avait été lancée par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en 2018. Au terme du contrôle des déclarations de patrimoine des parlementaires, l’institution avait signalé à la justice quinze d’entre eux dont elle suspectait un mésusage des indemnités.
M. Cambadélis avait reconnu les faits en juin 2022, lors d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, version française du plaider-coupable américain. Mais la peine négociée entre le PNF et l’ancien élu (six mois de prison et un an d’inéligibilité avec sursis) avait été refusée par le magistrat homologateur, la jugeant inadaptée au regard de la « gravité des faits (…) commis par un élu de la République ».
Au procès de Jean-Christophe Cambadélis pour détournement de frais de mandat : « Je prenais le chéquier qui traînait sur mon bureau »
L’ancien député de Paris était jugé pour avoir, entre 2015 et 2017, employé à des fins personnelles les fonds destinés à couvrir les frais afférents à son mandat.
Par Laura Motet
Publié le 25 juin 2024Lundi 24 juin, au tribunal judiciaire de Paris, s’est joué le procès d’un homme pressé, coutumier des us du monde d’avant. « Entre 18 000 rendez-vous de 8 heures à 23 heures, je prenais le chéquier qui traînait sur mon bureau et je faisais un chèque », explique aux juges l’ancien député de Paris et ancien premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis.
L’ancien élu de 72 ans a été renvoyé pour « détournement de frais de mandat » au terme d’une enquête ouverte en 2018 par le Parquet national financier (PNF) à la suite d’un signalement de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il lui est reproché d’avoir effectué entre 2015 et 2017 – soit la fin de son mandat – plus de 136 000 euros de dépenses litigieuses. Le préjudice a été ramené à 114 057 euros, l’élu ayant versé de lui-même pendant cette même période plus de 22 000 euros depuis son compte personnel vers le compte dédié à son indemnité représentative de frais de mandat (IRFM).
Au commencement de cette affaire, il y a une lettre. Celle du 5 mars 2015, envoyée par le bureau de l’Assemblée nationale à l’ensemble des élus, précisant les usages de l’IRFM. Jusqu’ici, les contours de cette indemnité étaient clairs – une avance destinée à couvrir des frais directement liés au mandat – mais peu détaillés dans les textes.
« Complément de revenu »
La lettre vient confirmer l’illégalité de certaines pratiques, du règlement de cotisations à un parti sur l’IRFM à l’achat d’un bien immobilier, comme une permanence, sur ces mêmes fonds – l’élu en gardant la propriété après son mandat. Elle vient aussi rappeler que cette enveloppe n’est pas destinée à des usages personnels – contrairement aux us de l’époque, explique Jean-Christophe Cambadélis à la barre.
« En 1997, l’IRFM a été augmenté par le président [de l’Assemblée nationale Philippe] Séguin parce qu’on ne pouvait pas augmenter le revenu des députés [pour des raisons d’image]. Donc [l’IRFM] était considéré comme un complément de revenu », précise-t-il. Les élus disposaient ainsi de leur indemnité d’« environ 4 800 euros » net, auxquels s’ajoutait une enveloppe d’IRFM d’un montant analogue. Quand, en 2015, la lettre du bureau est parvenue aux députés, à la suite de l’affaire Cahuzac, « on n’en [a pas retenu] grand-chose. On a [eu] l’impression que c’[était] de l’affichage. (…) [car] les comptes de l’IRFM n’étaient pas rendus publics ».
Le PNF, lui, a pris au sérieux cette lettre. Il reproche à l’ancien député d’avoir effectué avec son IRFM 21 500 euros de virements vers le compte personnel de son épouse actuelle et vers le sien, ainsi que d’avoir payé, entre autres, 44 151 euros de frais liés à son domicile (dont 31 953 au titre de la totalité de ses loyers en 2016), 25 906 euros de cotisations au parti socialiste, 5 000 euros de financement de sa campagne des législatives de 2017, 10 544 euros de déplacements d’agrément – dont un voyage avec son épouse en Corse et un voyage en famille à Prague –, 2 778 euros pour deux déménagements, dont un depuis la Grèce ou encore 18 250 euros de paiements de dommages et intérêts à la suite d’une précédente condamnation. Soit « une multitude d’opérations inscrites dans la durée, (…) dans le but d’assurer son train de vie », estime le procureur Hedy Djilali.
Lors de son audition par les enquêteurs, l’élu avait répondu point par point, en proposant d’apporter les preuves de ses dires. Les virements vers des comptes personnels ? Remboursés de lui-même. Le paiement de son loyer ? Il utilisait une pièce de son appartement comme permanence parlementaire, mais il avait demandé à l’Assemblée de ne pas l’indiquer sur son site car il s’agissait de son adresse personnelle. Les voyages ? D’agrément en partie, mais ponctués de rencontres avec d’autres socialistes européens. Plusieurs années plus tard, le procureur constate que les preuves promises n’ont pas été apportées au dossier.
« Divorce extrêmement pénalisant »
Face au tribunal, Jean-Christophe Cambadélis insiste davantage sur le « flou » autour des règles d’usages de l’IRFM, l’absence de « redressement fiscal » – l’élu a déclaré aux impôts le versement de ses cotisations partisanes avec son IRFM, non fiscalisée, et a obtenu en retour 20 000 euros de réduction d’impôts – et concède une certaine légèreté dans la gestion des affaires dûe à ses nombreuses occupations. « Je n’ai pas fait attention, les carnets de chèque [personnels et de l’IRFM] se ressemblaient », explique-t-il.
« Si personne ne tire la sonnette, vous continuez », s’exclame le procureur. « Oui, mais j’ai été un peu occupé, je parais au plus pressé », répond l’ancien élu, qui décrit, outre un emploi du temps contraint, une « situation difficile due à un divorce extrêmement pénalisant sur le plan financier ». Depuis 2006, l’élu verse une pension de 3 400 euros à son ex-femme. Ce montant découlait de la volonté de M. Cambadélis, la juge des affaires familiales ayant bien écrit dans son jugement que ses revenus étaient de 5 000 euros par mois.
« Je voulais partir avec élégance, je ne voulais pas laisser ma famille dans la difficulté, précise-t-il. (…) [Mais] pour payer ce que je dois payer, j’utilise l’IRFM. C’est le système dans lequel je me suis installé à ce moment-là ». Et d’insister : « Je ne me suis pas enrichi, j’ai utilisé des choses pour faire face à mes dépenses. » « Est-ce qu’il faut que je vous rappelle que celui qui ne s’appauvrit pas s’enrichit ? Vous auriez plus de dettes si vous n’aviez pas utilisé l’IRFM », rétorque le procureur.
Pour justifier sa demande de relaxe, l’avocat de M. Cambadélis, Me Jean-Etienne Giamarchi, s’attaque à la lettre de 2015, « une béquille » qui ne saurait constituer « une base légale » aux poursuites, et insiste sur la séparation des pouvoirs. Selon lui, seule l’Assemblée nationale pourrait sanctionner l’élu « pour le non-respect de ce règlement intérieur ». La chambre ne partage pas cette analyse : elle s’est portée partie civile. Elle ne réclame que le remboursement des dépenses litigieuses – il reste encore 27 000 euros à rembourser, l’ancien élu ayant commencé à verser les sommes après l’ouverture de l’enquête, ainsi que 1 000 euros pour ses frais.
Le procureur, lui, tient à sanctionner ce qu’il qualifie d’« atteinte à l’ordre public ». Outre le remboursement des dépenses litigieuses, il réclame huit mois d’emprisonnement avec sursis, cinq ans d’inéligibilité et une amende de 60 000 euros. A l’énoncé de la somme, Jean-Christophe Cambadélis lève les yeux au ciel. La décision est attendue le 4 septembre.