Faut-il « empêcher la reconstruction des bidonvilles » à Mayotte ? La promesse de François Bayrou fait débat
Le premier ministre a répondu à une demande de longue date des élus mahorais. Il reste à trouver des solutions de remplacement à ces maisons de tôle, qui représentaient près de 40 % des habitations du département avant le passage du cyclone Chido.
Par Claire Ané
Vue sur le bidonville de Kawéni (Mayotte), le 19 décembre 2024. MORGAN FACHE / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
« Décision courageuse », « vœu pieux », ou « mise en danger » ? Les annonces faites les 30 et 31 décembre par François Bayrou visant à « interdire et [à] empêcher la reconstruction des bidonvilles » à Mayotte reçoivent un accueil contrasté. Et suscitent beaucoup de questions quant à leur faisabilité et à leurs conséquences : ces maisons de tôle, appelées « bangas », représentaient en effet près de 40 % des habitations du département avant d’être mises à terre par le cyclone Chido, le 14 décembre.
Les principaux élus de l’archipel demandaient de longue date l’interdiction de ces quartiers : « des constructions illégales », « des habitats indignes », qui, « outre leur insalubrité criante, constituaient souvent des zones de non-droit servant de repaire aux délinquants et [aux] malfrats », justifie par écrit Ben Issa Ousseni, président (Les Républicains, LR) du conseil départemental.
L’élu explique aussi son refus des bidonvilles par le fait que leurs occupants « ont déjà payé un lourd tribut » lors de la tempête – le bilan provisoire du ministère de l’intérieur ne fait état que de 39 morts, de 124 blessés graves et de 4 232 blessés légers. « On ne veut plus de bidonvilles, parce que l’on ne veut plus avoir autant de morts sur la conscience : je remercie le premier ministre d’avoir eu le courage d’interdire leur reconstruction », insiste Ambdilwahedou Soumaïla, maire (LR) de Mamoudzou, le chef-lieu du département.
L’annonce est cependant jugée trop tardive par certains, et inopérante par d’autres. « Les bidonvilles se reconstruisent, et on laisse faire (…) », a critiqué, le 25 décembre sur BFM-TV, le sénateur (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) Saïd Omar Oili, estimant que « cela veut dire que, finalement, on ne veut pas du tout régler la question migratoire, qui pose de nombreux problèmes ».
Même déception du côté de Sylviane Amavi, l’une des voix du Collectif des citoyens de Mayotte 2018 : « On nous annonce une loi, mais, le temps qu’elle soit votée, les gens auront reconstruit encore plus de bangas, en continuant d’enterrer à la va-vite les corps qu’ils trouvent sous les tôles, ce qui va engendrer des épidémies. Pourquoi n’a-t-on toujours pas envoyé d’équipes cynophiles pour retrouver les victimes, déblayer et prévoir la suite ? »
Des reproches auxquels François Bayrou a tenté de couper court : « On va évidemment intervenir » face aux reconstructions d’ores et déjà effectuées, a-t-il promis, avant d’ajouter qu’« il faut trouver des centres d’accueil. Ça ne se fait pas en claquant des doigts ».
« Construire à Mayotte coûte très cher »
Chez les acteurs du logement, les déclarations de François Bayrou, qui n’ont pas été accompagnées d’autres propositions, suscitent l’incompréhension. « Bien sûr qu’il est inacceptable de laisser des gens vivre dans ces conditions. Mais interdire les bidonvilles apparaît comme un vœu pieux, un effet d’annonce politique. Construire à Mayotte coûte très cher, et il s’agirait de reloger jusqu’à 150 000 personnes qui ont très peu d’argent », réagit le cofondateur de la fondation Architectes de l’urgence, Patrick Coulombel.
« On voit mal comment l’Etat, qui peine déjà à répondre aux besoins, pourrait envoyer les forces de l’ordre empêcher la reconstruction des bidonvilles, complète le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, Manuel Domergue. Les annonces du premier ministre sont néanmoins dangereuses : des citoyens pourraient se sentir autorisés à les appliquer, créant un risque d’affrontement avec les personnes qui tentent de se récréer un toit. »
Dans le quartier Cétam à Labattoir (Mayotte), le 23 décembre 2024. MORGAN FACHE / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Pour la chercheuse de l’université de Rouen-Normandie Mégane Aussedat, « en cette saison des pluies, interdire de construire un abri à des personnes qui n’ont pas d’autre choix, compte tenu du manque de logements en dur et de leur cherté, c’est les mettre en danger ». La situation des immigrés à Mayotte, même en situation régulière, est compliquée par le fait qu’ils ont très rarement accès aux aides sociales, conditionnées dans le département à l’obtention d’un titre de séjour de dix ans. Et par le refus de déterritorialiser leurs titres de séjour : « Ils ne peuvent donc pas se rendre dans l’Hexagone ou à La Réunion, ce qui permettrait pourtant de réduire le besoin de relogement sur place », explique la doctorante.
La loi d’urgence, qui devrait être présentée au conseil des ministres, mercredi 8 janvier, prévoira-t-elle de faciliter les destructions de bidonvilles ? La loi ELAN de 2018, portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, permet déjà aux préfets de Mayotte et de la Guyane de lancer de telles opérations de « décasages ». Le référent local de la Ligue des droits de l’homme, Daniel Gros, a dénombré 36 quartiers de bidonvilles détruits depuis dans le département, qui auraient mis à la rue de 12 000 à 15 000 personnes, auxquelles auraient été proposés, quasi exclusivement, des hébergements d’urgence lointains et temporaires.
Les élus mahorais insistent sur la nécessité d’expulser
« Finalement, cela a dégradé l’habitat de tout le monde : ces personnes ont dû être accueillies par leurs proches, ou trouver par elles-mêmes, et cette hausse de la demande a fait augmenter les loyers », argumente-t-il. La loi sur la rénovation de l’habitat dégradé, promulguée en avril, a, pour sa part, étendu la possibilité pour un propriétaire guyanais ou mahorais de demander l’intervention des forces de l’ordre si un habitat informel est érigé sur son terrain : ce délai de flagrance a été porté à 96 heures, au lieu de 48 heures.
Quelles solutions seront proposées pour héberger ou reloger les ex-habitants des bidonvilles ? Les élus mahorais insistent sur la nécessité d’expulser ceux qui sont en situation irrégulière – environ un adulte sur deux serait concerné, sans considérer ceux qui, parents d’un enfant français, ne seront pas expulsables, selon des enquêtes récentes.
A l’instar d’architectes spécialistes de l’habitat précaire, M. Domergue prône, au nom de la Fondation Abbé Pierre, « un changement d’approche : acceptons de stabiliser les gens là où ils ont pu s’installer tout en réduisant les risques, par la création de chemins, le raccordement à l’eau et à l’électricité ».