Vent d’inquiétude pour les « nouveaux » polluants de l’air
Les scientifiques s’inquiètent de la présence dans l'air de toxiques mal mesurés et aux effets méconnus : pesticides, perturbateurs endocriniens ou carbone suie, qui peuvent interagir entre eux et nuire à notre santé.
La question de la qualité de l’air s’est invitée aux Jeux olympiques et paralympiques. Le 16 juillet, à dix jours de l’ouverture des olympiades, l’association Respire a publié une carte visualisant la pollution régnant à proximité des terrains de sport de la métropole parisienne. But de l’association : montrer que la quasi-totalité des aires sportives métropolitaines dépassent les seuils de recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Aussi pédagogique soit-elle, la carte de Respire ne s’intéresse qu’aux polluants classiques : dioxyde d’azote (NO2) et particules fines : PM10, d’un diamètre inférieur à 10 microgrammes par m3 d’air (µm/m3), et PM2,5, de 2,5 µm/m3 de diamètre.
Normal ! La règlementation impose la surveillance des particules fines, du NO2, du dioxyde de soufre (SO2), de certains métaux lourds (comme le plomb), de l’ozone (O3), du monoxyde de carbone (CO), des hydrocarbures aromatiques polycycliques (le benzopyrène, par exemple).
Mais ces particules et molécules ne sont pas les seules à nous nuire. Les scientifiques en ont répertorié des centaines d’autres (557 exactement, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’Anses). Sans compter les cocktails de toxiques qui se forment au gré des émissions et des mouvements d’air.
Plus de pesticides dans l’air de Paris que dans celui de la campagne
Les spécialistes de santé publique s’inquiètent des effets possibles de polluants dont on connaît peu les risques encourus à les inhaler : pesticides, particules ultrafines (PUF), carbone suie et autres perturbateurs endocriniens.
La question des pesticides n’est pas neuve. La biologiste américaine Rachel Carson s’est fait mondialement connaître, en 1962, en publiant le Printemps silencieux (Houghton Mifflin, 1962), un ouvrage relatant les effets délétères sur la faune des épandages aériens d’insecticides. Les recherches se sont multipliées depuis.
Il a pourtant fallu attendre 2018 pour que la France mène sa première campagne de mesure de la présence de pesticides dans l’air (CNEP), rappelle Fabrizio Botta, de l’Anses. Ses résultats sont inquiétants. Les associations de mesure de la qualité de l’air (AASQA) ont trouvé 70 des 75 produits recherchés. Airparif a détecté plus de pesticides dans l’air de l’Ile-de-France que dans celui de la campagne.
Il a fallu attendre 2018 pour que la France mène sa première campagne de mesure de la présence de pesticides dans l’air
En 2020, l’Anses a décortiqué les données. Ses conclusions ne rassurent en rien. L’agence de Maisons-Alfort souligne que les valeurs toxicologiques de référence de la plupart des produits détectés « ont été construites à partir d’études par voie orale ». Or la toxicité d’une substance peut varier d’une voie d’exposition à l’autre.
Dit autrement : on ne sait pas si respirer ces toxiques est dangereux. L’Anses préconise toutefois de mener une « évaluation approfondie » de 32 « substances d’intérêt ». Toutes sont cancérigènes, reprotoxiques, voire perturbent le système endocrinien. Certains, comme les fongicides tébuconazole et epoxiconazole, portent les trois casquettes.
Des risques même à faible dose
Plus de peur que de mal ? Pierre-Michel Périnaud n’en est pas convaincu. Président de l’association Alertes des médecins sur les pesticides (AMLP), le généraliste limougeaud s’agace du fait que des pesticides puissent aussi être des perturbateurs endocriniens, en violation de la législation communautaire.
La raison en est simple : il a fallu attendre 2018 pour que l’Autorité européenne de sécurité des aliments dispose de critères d’évaluation des perturbateurs endocriniens. Ce qui explique que de nombreuses molécules, comme la cyperméthrine dont les effets nocifs sur le système endrocrinien sont documentés, sont toujours sur le marché. Et dans nos bronches.
Même à de faibles doses, les pesticides interagissent entre eux et peuvent endommager l’ADN, ce qui peut induire des cancers ou des maladies génétiques
Références scientifiques à l’appui, l’AMLP fait le lien entre aérosols de pesticides, leucémies et troubles du développement des enfants de riverains de vignobles. L’exposition à ces produits peut accroître les risques de troubles de la fertilité, de surpoids, de diabète et de cancers hormono-dépendants, souligne-t-elle. Ce n’est pas tout.
Dans un récent article publié par Nature, une équipe de l’université canadienne de Sherbrooke montre que, même à de faibles doses d’exposition (compatibles avec une inhalation), les pesticides interagissent entre eux et peuvent endommager l’ADN. Ce phénomène peut induire des cancers ou des maladies génétiques.
En 2022, la chimiste Diane Le Bayon, de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Sorbonne), a mis en évidence la forte contamination des particules fines PM2,5 présentes dans l’air francilien par des phtalates. Très présents dans les emballages alimentaires, les jouets, les revêtements de sol, les cosmétiques, les produits d’entretien et les peintures, les phtalates influent sur le système reproducteur masculin et sur la thyroïde.
Une exposition prénatale, souligne Santé publique France, pourrait avoir des conséquences sanitaires à l’âge adulte, « voire après plusieurs générations, par des mécanismes épigénétiques ». Inquiétant, si l’on se souvient que leur toute petite taille permet aux PM2,5, chargées de perturbateurs endocriniens, d’accéder aux bronches et de contaminer le système respiratoire.
Plus c’est fin, plus ça va loin
Plus les particules sont fines, plus leurs effets semblent délétères. Raison pour laquelle les scientifiques se passionnent désormais pour les PUF : les particules ultrafines. D’une taille comparable à celle du virus du Covid-19, elles pénètrent jusqu’aux alvéoles pulmonaires puis s’engouffrent dans le système sanguin : une voie royale pour atteindre foie, reins, cerveau et organes reproducteurs.
Cet accès à l’organisme se conjugue à leur nocivité. Dans un même « espace », on fait tenir une PM10 ou un million de PUF. « A masse équivalente, leur surface d’exposition est cent fois supérieure à celle d’une grosse particule », décrypte Philippe Quénel, professeur honoraire à l’école des Hautes études en santé publique. Qu’en est-il de leur pouvoir de nuisance ?
Une vingtaine d’études toxicologiques publiées depuis 17 ans1 montrent des « mécanismes pathophysiologiques cohérents avec la plausibilité d’effets sanitaires », poursuit le président d’Airparif. Il est urgent de poursuivre les recherches.
Sans rien négliger. À commencer par le carbone suie, fruit des combustions incomplètes de combustibles fossiles ou de bois. Très invasives, ces particules sont souvent chargées d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP, très toxiques) et de métaux lourds.
De quoi encourager les recherches ? Robert Barouki voit large. Reprenant un concept forgé par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), le biochimiste et toxicologue préconise d’étudier l’exposome, c’est-à-dire l’ensemble des expositions environnementales au cours de la vie.
« On ne sait pas si le rôle des gaz à effet de serre, de l’ozone sont additifs, synergiques, mais on sait que certains effets s’additionnent au niveau du poumon comme les allergies aux pollens ou aux moisissures », indique le directeur de l’unité Inserm Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs.
Et les politiques dans tout ça ? Le débat sur de nouvelles normes de qualité de l’air a beaucoup agité l’ancien Parlement européen. Il s’est soldé par la rédaction d’une nouvelle directive. Devant être adoptée cet automne, elle devrait abaisser les seuils d’exposition aux particules fines, au NO2, à l’ozone et au SO2. Elle prévoit aussi de renforcer la surveillance des polluants « émergents », à commencer par les PUF et le carbone suie. Un début modeste.