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Le décret autorisant à louer des logements de 1,80 mètre sous plafond de plus en plus contesté

Le Haut Comité pour le droit au logement demande la révision du décret du 29 juillet 2023 qui définit les règles de salubrité des logements, tandis que plusieurs associations ont déposé un recours en annulation devant le Conseil d’Etat.

Par Claire Ané

 

L’avis a été adopté à l’unanimité des membres du Haut Comité pour le droit au logement, et devait être envoyé vendredi 8 mars au ministre délégué au logement, Guillaume Kasbarian. Il appelle à réviser le décret du 29 juillet 2023 portant sur les « règles sanitaires d’hygiène et de salubrité des locaux d’habitation et assimilés ».

« Le Haut Comité a été alerté par plusieurs associations, indique René Dutrey, secrétaire général de cette instance gouvernementale créée en 1992 à la demande de l’abbé Pierre. Ce décret ne respecte pas l’objectif fixé, qui était d’harmoniser par le haut, ou a minima à droit constant, les critères de salubrité des logements, auparavant fixés dans chaque département par les préfets. Il marque au contraire une régression. »

Alors qu’aucun règlement sanitaire départemental n’autorisait à louer un logement d’une hauteur sous plafond inférieure à 2,2 mètres, le décret permet de déroger aux règles de hauteur et de surface si le volume habitable est supérieur à 20 m2, avec un plafond d’au moins 1,80 mètre de haut. Bien que la loi considère que tous les sous-sols sont impropres à l’habitation, le décret crée une exception dès lors qu’ils ne présentent pas un risque pour la santé des habitants. Le décret lève aussi l’obligation que les pièces principales (chambres, salon) aient une largeur minimale de deux mètres.

Abaissement des règles

Le Haut Comité reproche au décret d’autres abaissements des règles. La présence d’une salle d’eau dans le logement n’est pas requise, non plus qu’une distance maximale avec les toilettes. Une ventilation permanente des logements n’est pas non plus exigée, alors que « la majorité des procédures d’insalubrité (…) sont fondées sur des problèmes d’humidité liés à des défauts de ventilation continue ou permanente ». Il souligne aussi des dispositions « floues », ne permettant pas de savoir si une ouverture sur l’extérieur est demandée dans une seule pièce de vie, ou dans chacune d’elles.

 

« Le texte est assez mal écrit, et pose des conditions parfois subjectives », critique également Théophile Delly, salarié de l’Action pour l’insertion par le logement (Alpil), une association qui lutte contre le logement indigne pour le compte de la métropole de Lyon. Ainsi, parmi les critères rendant un sous-sol habitable, il faut que l’éclairement naturel au centre d’une pièce de vie « permette d’y lire par temps clair et en pleine journée sans recourir à un éclairage artificiel ».

 

Le Haut Comité formule des propositions alternatives pour chacun des reculs constatés. « Or, la plupart de ces propositions figuraient dans le projet de décret initial, soumis au Conseil national de l’habitat et au Haut Conseil de la santé publique fin 2021. Elles ont ensuite été supprimées », relève René Dutrey. « Sous prétexte de simplifier les normes et de développer l’offre de logements, le décret final affaiblit les exigences de salubrité et les possibilités de recours, au détriment de la santé physique et mentale des habitants », critique Camille Régis, déléguée générale de la Fédération des associations et des acteurs pour la promotion et l’insertion par le logement.

« Ce décret facilite la tâche des marchands de sommeil »

Celle-ci s’emploie, avec d’autres associations, à rencontrer les services de l’Etat concernés et à formuler des contre-propositions détaillées. De son côté, l’association Droit au logement (DAL) a déposé dès septembre 2023 un recours en annulation devant le Conseil d’Etat. La Fondation Abbé Pierre et le Secours catholique s’y sont associés, et ATD Quart Monde et le syndicat Solidaires s’apprêtent à le faire. « Ce décret facilite la tâche des marchands de sommeil, qui peuvent plus facilement diviser des pavillons en petits studios, louer des sous-sols et des logements-couloirs », dénonce le porte-parole du DAL, Jean-Baptiste Eyraud.

 

« Seuls les pouvoirs publics peuvent déclarer un logement insalubre, avec la possibilité d’obliger le propriétaire à faire des travaux et parfois à reloger le locataire. En assouplissant les règles, l’Etat se désinvestit de son rôle de protection des plus fragiles », regrette l’avocat de l’association, Paul Mathonnet. A l’Alpil lyonnaise, Ludovic de Solère confirme : « Nous avons déjà identifié quinze logements d’un réseau de marchands de sommeil qui, avec le nouveau texte, ne pourraient plus être déclarés insalubres en raison de leur taille insuffisante. »

Le ministre du logement n’a pas respecté le délai fixé pour répondre aux arguments déposés par les requérants devant le Conseil d’Etat. Il a désormais jusqu’au 15 mars pour le faire. Mais il a eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet, fin février au Sénat, lors de l’examen du projet de loi sur les copropriétés dégradées, qui renforce les sanctions contre les marchands de sommeil. Des députés et sénateurs de gauche ont tenté de faire voter des amendements prévoyant que la surface habitable ne peut être inférieure à 9 m2, avec au moins 2,2 mètres de hauteur sous plafond. Guillaume Kasbarian a fait valoir que « dans le contexte d’effondrement total de l’offre locative que nous connaissons, nous ne pouvons pas prendre le risque de réduire celle-ci encore davantage ».

Claire Ané