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Austérité : le gouvernement en veut toujours plus

Services publics, collectivités locales, modèle social… le gouvernement annonce chaque semaine de nouvelles coupes budgétaires afin, espère-t-il, de réduire le déficit public. Grande perdante : l’économie française.

Mathias Thépot

Mediapart, 11 avril 2024 à 19h22

 

 

On se croirait dans un vaudeville. Paniqué par des résultats économiques moins bons que prévu, mais qu’il était le seul à ne pas avoir anticipés, l’exécutif cherche désespérément de nouvelles façons de couper dans les dépenses publiques pour rééquilibrer les comptes de la nation.

 

Dans un calcul politique qui lui est propre en vue de l’échéance présidentielle de 2027, le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire endosse volontiers le costume de père la rigueur très droitier. « Quand on gagne moins, on dépense moins », lançait-il pour justifier les efforts drastiques qu’il comptait demander à l’État. 

 

Selon Le Figaro, les velléités rigoristes du locataire de Bercy auraient été en partie tancées par son chef, le président de la République Emmanuel Macron : « Bruno, ça fait quand même sept ans que tu es là… », lui aurait-il reproché, sous-entendant que c’était aussi un peu de la faute de Bruno Le Maire si les comptes publics dérapaient. 

 

Mais le ministre, droit dans ses bottes, n’en démord pas et a poussé auprès des député·es de la majorité pour que soit proposée dans les prochains mois une loi de finances rectificative pour 2024, afin d’avoir les mains libres pour couper à la hache dans les comptes de l’administration.

On aurait alors assisté à un mauvais remake de ce que l’on subit déjà à chaque discussion budgétaire automnale, période durant laquelle le gouvernement dégaine une quinzaine de 49-3 pour faire adopter son budget de l’année suivante, au mépris de la démocratie représentative.

 

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Bruno Le Maire et Gabriel Attal à Paris le 12 mars 2024. © Photo Ludovic Marin / AFP

 

Mais Emmanuel Macron a, là encore, calmé les ardeurs du locataire de Bercy : « Ce n’est pas la foire à la saucisse », aurait justifié le chef de l’État.

 

On pourrait rire de cette mauvaise scène de théâtre de boulevard si elle ne cachait pas les lourdes coupes dans les services publics et le modèle social qui sont en train d’être actées par le gouvernement, et dont l’économie française pâtira forcément.  

 

Des coupes méthodiques 

Voyez plutôt : lorsqu’il a prétendument découvert le pot aux roses à la mi-février, soit concrètement une situation économique dégradée à cause de l’inflation qui grève la consommation, d’une part, et la hausse des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne qui pèse sur l’investissement, d’autre part, le gouvernement a révisé ses prévisions de croissance pour 2024 de 1,4 % à 1 % du PIB. Or, qui dit moins de croissance veut dire moins de recettes fiscales car l’économie se porte moins bien. Et donc des déficits publics qui se creusent. 

 

Dès lors, au sens de l’exécutif, il n’y a qu’une solution pour rééquilibrer les comptes : baisser les dépenses. Les ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, délégué aux comptes publics, ont annoncé un plan d’austérité de 10 milliards d’euros le 19 février.

 

Plan qui consistait à annuler des crédits du budget 2024 que l’exécutif avait fait adopter de force, via l’article 49-3, quelques semaines auparavant. Comprenne qui voudra… Dans ces 10 premiers milliards d’euros de coupes, l’écologie payait un lourd tribut, ainsi que la recherche (voir le détail dans cet article).

 

Mais ce n’était que le début. Mardi 26 mars, nouveau coup dur pour nos dirigeants apprentis sorciers des finances publiques : l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a annoncé que le déficit public s’élevait en fait à 5,5 % du PIB en 2023, alors que Bercy avançait jusqu’ici le chiffre de 4,9 %. La faute à une croissance et à un niveau de recettes insuffisants. Patatras pour la trajectoire budgétaire promise par le gouvernement à la Commission européenne, soit une baisse progressive du déficit public jusqu’à moins de 3 % en 2027.

 

Réflexe pavlovien de l’exécutif : couper dans le modèle social. Dans la foulée de la publication de l’Insee, Gabriel Attal s’est invité au JT de 20 heures de TF1 pour annoncer un nouveau coup de rabot dans l’assurance-chômage. Comme si les chômeurs n’avaient pas assez souffert de ce gouvernement qui, par plusieurs réformes, leur a déjà baissé leurs indemnités journalières et réduit leur durée d’indemnisation.

 

Et ce n’est pas fini : le 10 avril, Bercy a annoncé que le déficit public pour 2024 ne s’établirait plus à 4,4 % du PIB, comme prévu initialement, mais à 5,1 %. La situation pourrait même être pire si 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires n’étaient pas trouvés rapidement.

 

L’exécutif compte couper encore 5 milliards d’euros dans le budget de l’État, et demander un effort de 2,5 milliards d’euros aux collectivités locales, qui pèsent pourtant 60 % de l’investissement public, et dont les cures d’austérité que l’État leur a fait subir ont souvent été synonymes de récession pour l’économie du pays. 

 

Pour le reste, des sources à Bercy confiaient dans une langue très technocratique qu’il était aussi prévu de « taxer de manière très ciblée des rentes » correspondant à « des situations d’anomalie de profits liées à des effets exogènes ». Comprendre : le gouvernement pourrait (enfin) envisager de taxer (un peu) les grandes entreprises qui se sont gavées de profits ces dernières années sur le dos des crises économiques et sanitaires. Alléluia !

 

2025, une saignée aux impacts désastreux 

Mais ne nous emballons pas. Car Bercy dit réfléchir à deux leviers : d’abord appliquer une taxe sur les superprofits des énergéticiens, via un dispositif complexe appelé « contribution sur les rentes inframarginales » (Crim).

 

Or, le gouvernement a jusqu’ici lamentablement échoué à appliquer cette taxe, comme l’explique cet article de Martine Orange. Elle aurait dû rapporter 12,3 milliards d’euros à l’État français en 2023, mais ce dernier n’a réussi à capter que « quelques centaines de millions d’euros à peine », concède-t-on au ministère de l’économie.

 

Autre piste évoquée : taxer les rachats d’actions. Mandatée par le premier ministre Gabriel Attal, une « task force » de quelques député·es de la majorité présidentielle étudie la question. Parmi eux, le MoDem Jean-Paul Mattei, qui avait déjà proposé, en vain, d’instaurer une telle taxe lors des discussions sur le projet de loi de finances 2024. 

En effet, justifiait-il dans un amendement, « les rachats d’actions, opérations par lesquelles les entreprises rachètent leurs propres actions sur le marché, ont considérablement augmenté ces dernières années en France ». Au sein du CAC 40, notamment, ceux-ci ont atteint 30 milliards d’euros en 2023.

 

Or, « ces opérations servent dans les faits en grande partie des objectifs de court terme : rémunérer les actionnaires en complément du versement de dividendes, soutenir le cours de la Bourse ou encore augmenter le bénéfice par action », disait le député.

 

C’est pourquoi il proposait de « mettre en place une taxe sur les programmes de rachats d’actions à un taux de 1 % de l’opération et qui serait acquittée par les entreprises dont le chiffre d’affaires excéderait 1 milliard d’euros ». Un rapide calcul nous permet cependant d’estimer les recettes globales d’une telle taxe à un montant compris entre 300 et 400 millions d’euros par an. Pas davantage.

 

Du reste, ce pourrait être un bon début en Macronie, où taxer les riches et les grandes entreprises est clairement contre nature. On ne saurait trop encourager le gouvernement à se familiariser avec le principe d’égalité fiscale, car il compte trouver 20 milliards d’euros d’économies supplémentaires pour 2025, afin de réduire le déficit public à 4,1 % du PIB.

 

Or, couper encore dans le modèle social et les services publics s’avérerait désastreux. Pour le comprendre, il n’y a qu’à lire la dernière publication datant du 10 avril de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui a chiffré en points de croissance le coût des « ajustements budgétaires » du gouvernement. 

 

Pour 2024, il chiffre l’impact de 10 milliards d’euros de coupes à 0,2 point de croissance. Ce qui conduit notamment l’observatoire à miser sur une croissance pour 2024 deux fois moins élevée que celle prévue par le gouvernement.

 

Et pour 2025, c’est pire : 20 milliards d’euros d’ajustement des dépenses pourraient avoir un impact sur la croissance de 0,6 point. Cité dans Les Échos, le président de l’OFCE, Xavier Ragot, estime ainsi qu’« il serait légitime de stabiliser nos finances publiques par une hausse de la fiscalité ». Mais qui, en Macronie, osera demander significativement plus aux plus aisés ?