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Loana, qui a raconté son viol, sacrifiée sur l’autel de « TPMP »

Chronique

Hélène Bekmezian

« Ecran total ». Tournée en ridicule dans l’émission de Cyril Hanouna du 5 février, visiblement perdue, Loana Petrucciani n’a reçu aucune parole de soutien en plateau. Mais la chaîne C8 s’est réjouie des bonnes audiences.

 

Loana et Cyril Hanouna, sur le plateau de « Touche pas à mon poste » (C8), le 5 février 2024.

Loana et Cyril Hanouna, sur le plateau de « Touche pas à mon poste » (C8), le 5 février 2024. CAPTURE D’ÉCRAN C8

 

C’est une séquence difficile à regarder. Une femme, en détresse évidente, vient raconter son viol sur le plateau de « Touche pas à mon poste » (« TPMP », sur C8), lundi 5 février. Elle n’est pas anonyme, c’est Loana Petrucciani, connue surtout par son seul prénom depuis qu’elle a remporté le « Loft », en 2001, devenant ainsi la première vedette française de télé-réalité, le temps d’une success story éclair. Son carrosse s’est vite transformé en citrouille et cela fait désormais longtemps que la bimbo cannoise ne fait plus parler d’elle que pour ses déboires financiers, sa toxicomanie ou ses tentatives de suicide – ce qui lui vaut souvent une invitation sur C8.

 

Ce lundi soir, le visage de l’ex-starlette, esquinté par la drogue autant que par les médicaments, ne laisse transparaître aucune émotion. Cyril Hanouna lui laisse à peine le temps d’exposer les faits puis enchaîne rapidement, sans aucune mise en garde ni précaution, pour annoncer qu’« on va voir les photos ». Sur le grand écran derrière lui apparaissent alors plusieurs clichés pris par Loana une semaine après l’agression, des images choquantes à peine floutées d’un corps tuméfié et quasiment nu… « C’est incroyable », commente l’animateur, comme s’il s’agissait de n’importe quel fait divers insolite glané dans la presse. On entend un chroniqueur laisser échapper un « putain »

 

A grand-peine, le visage toujours aussi impassible et tandis que les images restent affichées à l’écran, Loana raconte confusément les circonstances de son agression, le fait qu’elle connaissait vaguement l’homme en question, qu’elle l’a suivi chez lui sans se méfier. Au fur et à mesure de son témoignage, son élocution devient étrange, le discours incompréhensible. Ses yeux roulent, elle omet des mots, utilise les verbes à l’infinitif, s’excuse d’être « ridicule » : « Moi comme ça quand moi parler de ça », se désole-t-elle.

On pense à un état de stress post-traumatique, peut-être même est-elle en train de faire un AVC en direct. Sur le plateau, personne ne manifeste le moindre signe de soutien, la sidération prend la forme d’un silence distant. Pis, on entend même Cyril Hanouna qui glousse hors champ, tandis qu’une des chroniqueuses, Kelly Vedovelli, tourne la tête vers le public pour cacher son visage hilare derrière ses cheveux.

La moquerie l’emporte sur l’empathie

Qu’observe-t-on vraiment, à une heure de grande écoute, sur une chaîne qui se vante d’être la première de la TNT ? Un témoignage, toujours nécessaire, sur l’horreur des violences faite aux femmes ou l’instrumentalisation cynique d’une femme malade, sans discernement, pour faire de l’audience à ses dépens ? « C’est de la non-assistance à personne en danger », a dénoncé l’entrepreneuse et présentatrice de télévision Hapsatou Sy dans un message publié sur X (ex-Twitter), dans la soirée du 5 février, déplorant une « exploitation de la misère pour l’audience ».

 

L’on ne connaît que trop bien la logique de ce programme et sa recherche permanente du spectacle sensationnaliste et souvent dégradant. Ici, le voyeurisme l’emporte sur la compassion, la moquerie sur l’empathie. Au XIXe siècle, « TPMP » aurait pu prendre la forme d’une de ces caravanes de foire, où l’on livrait de prétendus « monstres » au regard d’une foule de curieux. Sauf que les dimensions sont différentes : même si les audiences sont sur le déclin, ce sont toujours au moins un million de personnes qui regardent quotidiennement l’émission, et la chaîne s’est de nouveau félicitée, dans un tweet publié mardi 6 février au matin, d’avoir été « très puissant[e] sur les jeunes ».

 

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui commence à avoir l’habitude, a été saisie par des téléspectateurs et va instruire le dossier. Ça ne sera pas la première fois, et probablement pas la dernière : entre les insultes de Cyril Hanouna contre le député « insoumis » Louis Boyard, ses commentaires sur le meurtre de la jeune Lolaou encore la venue d’invités colportant des thèses complotistes insensées ou se faisant passer, à tort, pour des policiers, « TPMP » collectionne les amendes et les mises en garde sans en tirer de conséquences.

 

Après la diffusion, la seule réaction concrète de C8 a été de s’empresser de supprimer sur ses réseaux sociaux toutes les vidéos de cette séquence, qui ne sont pas non plus disponibles sur le replay de l’émission. Trop tard, de toute façon, les extraits ont déjà été engloutis par l’ogre X, publiés, republiés, commentés… On pourrait les y laisser, ne pas accorder d’attention à ce cirque, mais ignorer ce recoin sombre du paysage audiovisuel ne l’empêchera pas plus d’exister. Comme ils l’ont déjà montré avec l’appel au boycott à la suite des prises de position de Cyril Hanouna sur le conflit entre Israël et le Hamas, seuls les téléspectateurs ont en main le destin de l’émission.