Yaïr Golan, le héros du 7 octobre qui défie Benyamin Nétanyahou
Par Lucas MinisiniPortraitLongtemps qualifié de traître par la droite israélienne pour avoir critiqué la politique du gouvernement, l’ex-numéro deux de Tsahal est aujourd’hui célébré à travers le pays pour sa bravoure lors de l’attaque du Hamas. Ce sioniste de gauche entend transformer sa nouvelle popularité en intention de vote, avec le lancement du mouvement Hitorerut.
Tous les vendredis, Yaïr Golan passe la journée près de la bande de Gaza. Avec plusieurs dizaines de volontaires, l’ancien militaire quitte les environs de Tel-Aviv à l’aube, pour se rendre dans les mochavs (communautés agricoles coopératives) du sud d’Israël : le petit groupe vient aider les agriculteurs pour la récolte des fruits et légumes.
Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, la main-d’œuvre manque : les travailleurs palestiniens, employés massivement dans ces exploitations, ne sont plus autorisés à se rendre sur le territoire israélien, malgré leur permis de travail. « Beaucoup d’habitants ont perdu leur maison, leurs proches et leur confiance dans l’Etat, nous raconte Yaïr Golan, le regard sévère, en novembre 2023. Il faut bien que quelqu’un les écoute et aujourd’hui personne ne s’en occupe. »
L’ex-député du microparti de gauche Meretz vise ainsi Benyamin Nétanyahou, le chef du gouvernement, qu’il accuse de ne pas être « honnête » avec la population. « Bibi » n’est plus en mesure de diriger le pays, après seize années cumulées à la tête du gouvernement, assure le sexagénaire. « Mais j’ai un plan qui pourrait aider. »
« Nous n’allons pas détruire le Hamas, c’est impossible »
Ces derniers mois, l’ancien élu de la Knesset a créé et pris la tête de Hitorerut, le « réveil » ou la « lumière », en hébreu, un « mouvement civique » qu’il imagine comme une alternative crédible au pouvoir du Likoud, le parti de Benyamin Nétanyahou. « Nous travaillons pour faire émerger la future génération de leaders israéliens », détaille Ofer Harmati, l’un des membres fondateurs de ce groupe restreint d’une dizaine de militants rassemblés dans des locaux prêtés par une multinationale de jeux en ligne, au seizième étage d’une tour de Tel-Aviv.
Yaïr Golan, qui commence souvent ses phrases par « si j’étais premier ministre », détonne dans la classe politique israélienne, avec sa volonté d’apaisement et l’absence de rhétorique vengeresse contre le peuple palestinien. « Les objectifs actuels du conflit ne sont pas réalistes, insiste-t-il. Nous n’allons pas détruire le Hamas, c’est impossible. » A la place, l’ancien chef d’état-major adjoint de Tsahal propose de soutenir le retour au pouvoir de l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza, en parallèle d’un rapprochement politique avec l’Egypte et la Jordanie, pour trouver une issue durable au conflit.
Sioniste de gauche, Yaïr Golan défend une solution à deux Etats indépendants, plutôt qu’un Etat binational, où coexisteraient Israéliens et Palestiniens. Le lancement officiel de Hitorerut devrait avoir lieu dans les semaines à venir. D’abord prévue pour la mi-novembre, l’annonce avait été repoussée, à la suite de la meurtrière attaque terroriste du Hamas. Il fallait établir une nouvelle stratégie, explique Ofer Harmati. D’autant plus que, en l’espace de vingt-quatre heures, le leader du mouvement avait totalement changé d’envergure. « Ce jour-là, Yaïr Golan est devenu un héros », raconte le militant.
Dès les premières alertes à la roquette, tôt, ce matin du 7 octobre, le général de l’armée israélienne à la retraite, toujours réserviste, enfile un vieil uniforme avant de récupérer un fusil dans son ancienne caserne de Ramla, au sud-est de Tel-Aviv. Au volant de sa Toyota Yaris, ce père de cinq enfants prend seul la route en direction de la bande de Gaza pour se rapprocher de la zone où le festival Tribe of Nova a été attaqué.
Par téléphone, sa sœur, qui a des amis sur place, l’informe qu’un groupe de jeunes se trouve au milieu des champs, vaguement cachés par quelques buissons. Le militaire parvient à les retrouver avant de les emmener en lieu sûr, loin des combats, quand il est contacté par un journaliste du quotidien de gauche Haaretz dont le fils est au festival. Yaïr Golan reprend alors la route. En tout, il effectue trois allers-retours, à chaque fois de plus en plus proche des combats.
Prises de position contre la colonisation
Dans le récit de ces heures tragiques, qu’il partagera en détail avec les médias israéliens les jours suivants, un détail le hante : « J’étais obligé de conduire lentement, car des dizaines de corps étaient étendus sur la chaussée et dans les champs. » A la suite de cette opération de sauvetage, le courage de Yaïr Golan est célébré à travers le pays. Dans ce qu’il considère comme un « juste retour à la normale », tous les partis politiques lui rendent hommage : « Ça faisait longtemps que je n’avais pas été soutenu et félicité comme ça », sourit légèrement l’homme politique.
Durant sa longue carrière militaire et politique, Yaïr Golan n’a pas toujours fait l’unanimité. Entré dans l’armée israélienne en 1980, deux ans avant l’intervention de l’Etat hébreu au Liban, le jeune parachutiste grimpe les échelons. Devenu un commandant respecté, il se taille une réputation d’indépendance avec des prises de position qui lui valent des réprimandes régulières de sa hiérarchie.
En 2006, le général, qui dirige alors les forces armées israéliennes en Cisjordanie, conclut, sans en informer ses chefs, des accords avec des colons juifs à Hébron pour qu’ils évacuent certaines zones de la ville. Au début des années 2010, au moment où Bachar Al-Assad bombarde sa propre population, Yaïr Golan ordonne d’accueillir des blessés dans un hôpital israélien installé à la frontière syrienne, sans se préoccuper des débats politiques en cours.
A l’époque, selon Haaretz, Benyamin Nétanyahou aurait été impressionné par l’attitude et les compétences du militaire, au point d’envisager sa nomination au poste de chef d’état-major. Mais, devenu numéro deux de Tsahal, ses chances de promotion disparaissent en 2016, quand il critique le « manque de tolérance » dans le pays et compare l’Etat hébreu à « l’Allemagne des années 1930 » dans un discours donné à l’occasion de la journée dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah. En retour, il est considéré comme un « traître » par une partie de la classe politique. Il soupire : « Trente-huit ans passés dans l’armée et je serais un traître ? Je me suis battu pour ces gens qui me critiquent constamment. »
Après le champ de bataille, le général poursuit le combat en politique. Un temps proche d’Ehoud Barak (premier ministre travailliste de 1999 à 2001), Yaïr Golan choisit de rejoindre le parti Meretz, qui défend une vision laïque et socialiste du sionisme. En 2020, il est élu à la Knesset, puis devient ministre délégué à l’économie et à l’industrie dans le gouvernement de coalition de Naftali Bennett et Yaïr Lapid.
Comme dans l’armée, l’ancien militaire revendique sa liberté de ton et se fâche avec une bonne partie de la classe politique israélienne. Début 2022, il qualifie les habitants de Homesh – une colonie illégale du nord de la Cisjordanie, évacuée en 2005 sur ordre du premier ministre, Ariel Sharon, de nouveau occupée ces dernières années – de « sous-hommes méprisables ». Il insiste, en les accusant de commettre un « pogrom » contre Burqa, le village palestinien voisin, où les colons ont agressé des habitants et détruit des pierres tombales.
Dans les manifestations contre la réforme de la justice
Après les élections législatives de novembre 2022, où Meretz remporte trop peu de voix pour avoir le moindre élu à la Knesset, l’homme politique sans mandat ne quitte pas le devant de la scène : début 2023, pendant les manifestations massives contre la réforme de la justice voulue par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, l’ancien général se fait remarquer en proposant de « paralyser l’économie » avec des grèves dans tous les secteurs d’activité et dénonce le « gang destructeur » du premier ministre.
Depuis le début du conflit contre le Hamas, Yaïr Golan continue de prendre régulièrement la parole contre Benyamin Nétanyahou : le 23 décembre, à Tel-Aviv, lors d’une manifestation organisée par les familles d’otages, il affirme que le chef du gouvernement souhaite une « guerre sans fin ». Avant d’appeler à de nouvelles élections immédiates, sous les applaudissements de la foule.
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