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La librairie Les Volcans, sauvée par le modèle coopératif

À Clermont-Ferrand, la success story de la librairie Les Volcans, sauvée par le modèle coopératif

En 2014, douze salariés de la librairie clermontoise sauvaient leur entreprise de la liquidation en se lançant dans l’aventure, alors promise à l’échec par les experts, d’une gestion coopérative. Dix ans plus tard, l’établissement est l’une des plus grosses librairies indépendantes de France et un pôle culturel indispensable à sa ville.

 

Par Nicolas Cheviron, Mediapart

20 avril 2024 à 12h22

 

20240415imgclermontferrandlasuccessstorydelalibrairielesvolcanssauveeparlemodelecooperatif.jpgAvec 1 700 m² de surface commerciale, 46 salariés et plus de huit millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023, la Scop Les Volcans est la plus grande librairie indépendante d'Auvergne-Rhône-Alpes. © Photo Nicolas Cheviron pour Mediapart

 

Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).– « Nous nous sommes fait confiance. » En une phrase, Martine Lebeau révèle le secret de la réussite d’une entreprise que banquiers et autres experts jugeaient promise à un échec cuisant. En effet, comment de simples chef·fes de rayon et des caissiers et caissières auraient-ils pu gérer avec succès une librairie de plus de trente salarié·es, là où des managers confirmés n’avaient pu éviter la liquidation ? Et pourtant, ils et elles l’ont fait.

Début 2014, douze employé·es de la librairie clermontoise Les Volcans sont parvenu·es à convaincre en quelques mois les financiers et les juges du tribunal de commerce de leur confier les rênes de l’établissement, sous la forme d’une société coopérative et participative (Scop). Contre vents et marées, ils ont tenu bon et célèbrent aujourd’hui un double anniversaire : celui des cinquante ans de l’institution et celui des dix ans de sa renaissance.

 

Martine n’avait pas tout à fait 18 ans quand elle a été embauchée en septembre 1980 par le fondateur des Volcans, Robert Genest, pour gérer les manuels scolaires de cette nouvelle librairie installée dans un immeuble moderne, au cœur de la métropole auvergnate. À la tête de son rayon, elle a traversé les décennies et les multiples changements de propriétaire survenus après une première vente, en 1989, à l’éditeur Bordas.

 

Les difficultés apparaissent en 2005, lorsque Les Volcans tombent dans l’escarcelle du groupe Bertelsmann. Le géant allemand des médias, propriétaire du club de livres France Loisirs, rachète alors les librairies indépendantes à la pelle – il en possédera jusqu’à cinquante-sept, réunies au sein du réseau Chapitre. Mais ses méthodes ne fonctionnent pas. « Ils voulaient que les librairies fonctionnent comme France Loisirs, avec un catalogue très restreint et un réapprovisionnement automatique par une centrale d’achat centralisée », commente Martine Lebeau.

 

Bertelsmann finit par revendre son réseau de librairies au groupe Najafi Investments. Aux Volcans, on s’étonne d’abord de l’intérêt d’un fonds de placement sino-américain pour le secteur peu rentable des livres. Mais on finit par comprendre. « Ce qui les intéressait, c’était de vendre le siège social de Chapitre, à Paris, pas de vendre des livres », résume Philippe Pelade, embauché en 2005 comme responsable de rayon.

 

Le soutien de la population clermontoise

En décembre 2013, le réseau Chapitre est placé en liquidation judiciaire et vendu à la découpe. Trente-quatre librairies trouvent preneur. Pas Les Volcans, qui ferment leurs portes en février 2014, laissant 33 employé·es sur le carreau.

 

Pourtant, une partie des salarié·es ne veut pas en rester là. « Nous connaissions notre outil de travail, notre métier, la fidélité de notre clientèle. Nous savions que si l’entreprise était gérée correctement, ça marcherait », affirme Philippe Pelade. Quand un syndicaliste organise une rencontre avec un spécialiste du modèle coopératif, la moitié de l’effectif se déclare prête à tenter l’aventure d’une reprise de l’enseigne.

 

Mais le temps presse pour déposer un dossier auprès du tribunal de commerce et le groupe doit faire face à la méfiance des financeurs. « Une délégation de trois salariés s’est rendue à la chambre de commerce. Là-bas, on leur a tellement cassé le moral qu’à leur retour, ils ont tout bonnement jeté l’éponge », indique Martine Lebeau.

 

Arnoult Boissau, alors président de l’union régionale des Scop (URSCOP) d’Auvergne et qui a accompagné les efforts des salarié·es, se souvient avec effarement d’une réunion avec des banquiers dans les locaux sans chauffage ni électricité de la librairie, autour d’une table de négociations faite de planches et de tréteaux. « Pour eux, le projet n’était pas raisonnable, parce que le livre était mort et la tablette allait le remplacer, évoque-t-il. Et puis, “vous ne pensez pas que vous allez réussir là où des bons chefs d’entreprise ont échoué” ? »

 

La Scop emploie aujourd’hui 46 salariés et dégage un chiffre d’affaires supérieur à 8 millions d’euros.

Deux banques finiront pourtant par accorder des crédits à la future Scop Les Volcans, convaincues par l’engagement de ses douze associé·es à investir l’intégralité de leurs primes de licenciement dans le capital de leur coopérative – soit au total 300 000 euros sur 1,4 million nécessaire –, et aussi par le soutien manifesté de la population clermontoise. « Nous avions toute une ville derrière nous. Il y avait la cagnotte Ulule, qui nous a permis de récolter 48 000 euros, mais aussi plein de gens qui nous envoyaient leurs dons, qui venaient chez moi m’apporter un chèque, affirme Martine Lebeau. J’avais souvent les larmes aux yeux en lisant leurs mots. »

 

La librairie rouvre ainsi ses portes en août 2014, avec à sa tête deux cogérants – Martine Lebeau et l’ancien chef du rayon papeterie – et un total de 31 salarié·es, dont 19 nouvelles recrues. Chacun·e des douze associé·es s’installe au poste qu’il s’est choisi, à l’instar de Carole Gluszak, caissière devenue comptable de l’établissement. « C’était un pari fou pour moi comme pour les autres : je n’avais aucune base, je n’avais jamais étudié la comptabilité, s’étonne encore l’intéressée. Pendant plus d’un an et demi, j’ai travaillé six jours par semaine de 10 heures à 19 heures, sinon, je n’y arrivais pas. Je rêvais de factures toutes les nuits. »

 

Si la Scop a traversé des périodes de tension, justifiant l’intervention d’un coach pour apaiser les conflits entre associé·es, elle n’en a pas moins gagné son pari. Elle emploie aujourd’hui 46 salarié·es (dont 19 des 21 associé·es) et dégage un chiffre d’affaires supérieur à 8 millions d’euros, ce qui la place au 20e rang national des librairies indépendantes, et au premier, de loin, parmi celles gérées en coopératives.

 

Ses bénéfices lui permettent de payer ses salarié·es 3 % de plus que ne le prévoit la convention collective, tout en conservant une gestion prudente – 51 % des résultats nets annuels sont mis en réserve, 34 % distribués aux salarié·es et 14 % aux associé·es. Elle a en outre racheté en 2018 une petite librairie de Riom, au nord de Clermont-Ferrand.

 

Une plus grande indépendance des salariés

Le départ à la retraite de Martine Lebeau, en septembre 2022, et son remplacement par Philippe Pelade et Boris Surjon, ancien dirigeant d’une société coopérative d’intérêt collectif à but d’emploi, ont été l’occasion de faire entrer la librairie dans une nouvelle phase de son développement. « Quand on est dans la tempête, il y a un capitaine et tout le monde rame dans le même sens. Mais quand la mer est plus calme, l’intelligence collective est supérieure à la décision individuelle », explique Boris Surjon.

 

Cap donc sur l’approfondissement des principes coopératifs, avec des réunions bimestrielles des associé·es et des salarié·es, en alternance tous les mois. « En l’absence de consensus, nous ajournons les prises de décision », commente Philippe Pelade. L’« esprit Scop » passe aussi par une plus grande indépendance accordée à chaque salarié·e. « Quand je travaillais chez Cultura, on avait tous les jours des réunions pendant lesquelles on nous assignait des objectifs de vente pour chaque rayon, déclare Mayliss, embauchée fin 2020 comme responsable du rayon BD. Ici, il y a plus d’autonomie, moins de pression. »

 

L’autre axe de développement de la librairie, c’est une programmation culturelle multiforme, avec pas moins de 350 rendez-vous par an. « Nous essayons de nous ancrer dans un écosystème, de faire vivre la culture avec des partenariats – l’Opéra, l’orchestre d’Auvergne, les rencontres avec des auteurs, souligne Boris Surjon. Si on ne bouge pas, on est condamnés, entre la baisse du lectorat et les progrès de la dématérialisation. »