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L’architecte Riken Yamamoto remporte le prix Pritzker 2024

Agé de 78 ans, le Japonais est l’auteur, principalement en Asie, d’une œuvre prolifique, peu spectaculaire, où s’imbriquent intérieur et extérieur, espace public et espace privé.

Par Isabelle Regnier

L’architecte japonais Riken Yamamoto.

L’architecte japonais Riken Yamamoto. TOM WELSH

 

Si l’annonce du prix Pritzker, récompense suprême dans le domaine de l’architecture, que l’on compare volontiers au Nobel, est toujours une surprise, il arrive qu’on l’ait un peu anticipée. Des listes de noms circulent, dont certains reviennent chaque année, qui finissent parfois par être tirés du chapeau… Celui de Riken Yamamoto n’en faisait pas partie.

Le lauréat de l’année 2024, annoncé mardi 5 mars, se range dans la catégorie de ceux que l’on n’a pas vus venir. Japonais, comme huit de ses prédécesseurs, ce fils d’un ingénieur et d’une pharmacienne est né à Pékin en avril 1945. Il est l’auteur d’une œuvre prolifique et variée mais peu spectaculaire, sous-tendue par la question de l’hospitalité. Il a construit, principalement en Asie (en Chine, au Japon, en Corée du Sud), des cliniques, des universités, des équipements aéroportuaires, des casernes de pompiers, mais aussi des maisons individuelles et de nombreux projets de logements collectifs, privés comme sociaux.

 

La qualité visuelle de ses bâtiments, il le revendique, est soumise à une exigence supérieure, une démarche d’inspiration anthropologique, qui nourrit une approche critique de l’espace, une propension à le démembrer, à l’étirer dans tous les sens, et un désir, dans le domaine du logement en particulier, de reconfigurer les typologies.

Le complexe Jian Wai Soho, à Pékin (2004), en Chine.

Le complexe Jian Wai Soho, à Pékin (2004), en Chine. RIKEN YAMAMOTO & FIELD SHOP

 

Une étude sur les mutations démographiques du Japon, qui montrait que le nombre moyen de personnes par foyer est passé de quatre à deux entre 1960 et 2011, tandis que le taux de vieillissement bondissait de 10 % à 23 %, l’aura ainsi conduit à disqualifier ce principe jadis conçu comme intangible d’« une maison pour une famille », et à imaginer pour l’habitat une organisation toute différente : des agrégats de petites unités connectées les unes aux autres par des passerelles, des socles ou des jardins, autant d’espaces semi-publics où divers services (laverie, salle de gym…) sont proposés aux habitants.

Echo à l’architecture vernaculaire

Le projet Pangyo Housing (2010), à Seongnam, en est la déclinaison sud-coréenne, qui relie entre eux neuf agrégats de petites maisons verticales, de trois niveaux chacune. Celui du milieu, en verre transparent, ouvre sur un système de passerelles qui serpentent entre les blocs, où les terrasses privatives se fondent harmonieusement dans un espace public végétalisé…

 

« J’aime bien considérer la maison par rapport à l’ensemble, comme si elle existait dans un village. Je trouve ça très important qu’il y ait des relations », confiait l’architecte, en 1999, au journaliste François Chaslin, dont l’émission « Métropolitains », sur France Culture, faisait écho à l’exposition que l’Institut français d’architecture, à Paris, lui consacrait cette année-là.

 

Intrinsèquement liée à l’urbanisme, l’architecture de Riken Yamamoto est pétrie du souvenir des villages de Tunisie et du Maroc, mais aussi d’Inde, du Népal, de Turquie, d’Espagne, du Pérou, qu’il a découverts au cours d’une série de voyages entrepris au début des années 1970, juste avant d’ouvrir son agence à Yokohama (Japon).

L’Université préfectorale de Saitama (1999), au Japon.

 L’Université préfectorale de Saitama (1999), au Japon. RIKEN YAMAMOTO & FIELD SHOP

 

Les grandes structures en béton de l’Université préfectorale de Saitama (1999), du Shinonome Canal Court Codan (Tokyo, 2003), du gigantesque complexe Jian Wai Soho (Pékin, 2004), du Fussa City Hall (Tokyo, 2008) ont beau être très éloignées de ces architectures vernaculaires, elles leur font écho dans la manière qu’elles ont d’imbriquer intérieur et extérieur, espace public et espace privé, que l’on retrouve aussi bien dans ces beaux cubes en verre qu’on lui doit également, qui rayonnent comme des lucioles à la nuit tombée (la caserne de pompiers de Nishi, à Hiroshima, 2000, l’Université du futur de Hakodate, 2000, Musée d’art de Yokosuka, 2006…).

La caserne de pompiers de Nishi, à Hiroshima (2000), au Japon.

 La caserne de pompiers de Nishi, à Hiroshima (2000), au Japon. TOMIO OHASHI

 

Ce souci du lien, de l’articulation entre des espaces aux statuts différents l’aura conduit, en outre, à s’approprier des éléments de l’architecture traditionnelle japonaise, comme l’oyane, grand toit débordant sur l’espace public, que l’on retrouve aussi bien dans sa propre maison, Gazebo (Yokohama, 1986), que dans des programmes de logements collectifs, comme le Hotakubo Housing (Kumamoto, 1991).

Cela ne l’empêche pas d’inventer des solutions de toutes pièces, qui donnent à certains de ses ouvrages un profil insolite. Le collège Iwadeyama (Osaki, 1996), par exemple, scié en deux par le grand voile de béton incurvé qui borde la cour, conçu pour protéger les élèves du vent très froid qui souffle dans la région, en hiver.

Fertiliser la vie

Fragmentation et connexion, cette dynamique est à l’œuvre partout chez Riken Yamamoto, y compris lorsqu’il s’aventure loin de sa zone d’influence, à Zurich (Suisse), par exemple, où il a conçu, en 2020, une extension pour l’aéroport (The Circle). Ce vaste complexe, qui réunit des bureaux, des commerces, des services, des restaurants, s’articule lui aussi en plusieurs volumes branchés les uns aux autres : une grande virgule qui fait écran à l’aéroport et un archipel de petits plots lovés dans sa courbe, directement connectés à une colline paysagère.

The Circle, l’extension de l’aéroport de Zurich (2020), en Suisse.

 The Circle, l’extension de l’aéroport de Zurich (2020), en Suisse. SIMON VOGT/FLUGHAFEN ZÜRICH AG

Le film de présentation du projet traduit bien le rapport de l’architecte à sa pratique, qui prend la forme d’une petite fiction narrant l’histoire de Mr. et Mrs. Smith, qui se seraient rencontrés sur place et auraient fini par y célébrer leurs noces. La lumière qui s’engouffre partout, la transparence, le rapport à l’extérieur, la multiplicité des circulations, des passerelles, des terrasses, le foisonnement d’activités proposées et possibles, tout concourt ici, dans l’esprit de l’architecte du moins, à fertiliser la vie.

 

En honorant Riken Yamamoto, le jury du Pritzker met en lumière la capacité de l’architecture à répondre aux défis imposés par les changements de société, à rendre la vie meilleure, y compris quand les conditions économiques et sociologiques semblent souffler dans le sens contraire. Ce prix est aussi une adresse aux maîtres d’ouvrage, un appel à la responsabilité qui leur incombe vis-à-vis du bien commun, que la logique financière, devenue toute-puissante dans le secteur de la construction, tend aujourd’hui à escamoter sans vergogne.

Isabelle Regnier