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Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, le lent crépuscule d’Emmanuel Macron

Par Claire Gatinois et Solenn de Royer Publié le 01 décembre 2024 à 05h30, modifié le 02 décembre 2024 à 12h52

RécitVoyant son influence décliner après sa décision de dissoudre le 9 juin, qui l’a conduit à nommer un premier ministre fragile et qu’il ne contrôle pas, le chef de l’Etat a perdu le fil de son second mandat.

Il connaît ses chansons par cœur. Dans les couloirs de l’Elysée, il n’est pas rare de l’entendre chauffer sa voix avant un discours en entonnant « Toi, Vladimir Ilitch, t’as raison, tu rigoles… » Ce mardi 15 octobre, le voici face à son idole, ému comme un enfant. Emmanuel Macron remet à Michel Sardou les insignes de grand officier de l’ordre national du Mérite. Dans le salon des Ambassadeurs, un petit cercle d’intimes se presse autour du chanteur de 77 ans, qui vient de clore sa tournée d’adieu. Huit invités, dont le couple présidentiel, l’acteur Jean-Paul Rouve et le conseiller mémoire du président, l’ancien journaliste d’Antenne 2 Bruno Roger-Petit, qui lui a consacré un documentaire en 1998.

 

« Ce que vous exprimez, ce ne sont pas vos pensées personnelles, ce sont celles d’un éternel Français », lance Emmanuel Macron à l’artiste qui chante depuis les années 1970 « le temps béni des colonies » ou « j’ai envie de violer les femmes, de les forcer à m’admirer ».

 

Encore une fois, le président a choisi d’ignorer l’indignation des militantes féministes, qui reprochent à l’interprète de véhiculer des clichés racistes et sexistes. Mais dans le petit boys’ club de l’Elysée, Michel Sardou, présenté comme un « personnage houellebecquien », est vénéré. Le président poursuit, comme s’il parlait de lui : « Vous empoignez la France dans sa totalité, avec ses contradictions, vous accompagnez nos vies dans leur complexité. Vous déjouez toutes les étiquettes, toutes les affiliations droite-gauche, vous qui prêtez votre voix à la majorité silencieuse. »

Un chanteur populaire qui tire sa révérence et un président démonétisé qui voit la fin approcher : quelle affiche singulière, six mois après la dissolution ratée de l’Assemblée nationale. Mais ce soir-là, dans le palais à demi vide, on savoure ce moment d’insouciance, loin du brouhaha de la crise politique qui tourmente le pays. Emmanuel Macron se délecte des anecdotes distillées par « Michel » qui, un verre à la main, raconte son premier Olympia. Se souvient-il, en cet instant, que son ami, l’ex-député Renaissance Patrick Vignal, emporté par la dissolution, l’avait décrit cet été comme « un artiste passé de mode » ? « C’était con, ta phrase. Fais démentir », l’avait aussitôt réprimandé le président.

La plaie de la dissolution

Depuis la désastreuse dissolution, qui lui a fait perdre une centaine de députés, Emmanuel Macron ne supporte plus les critiques auxquelles il a déjà tant répondu. Et s’étonne encore d’être incompris. « De qui parles-tu ? », presse-t-il quand un ami lui fait remonter les reproches d’un élu de son parti. « Ça m’intéresse, les noms, car j’ai déjà traité une quarantaine de députés et je pense avoir retourné tout le monde en douceur », écrit-il à son interlocuteur, persuadé qu’avoir convié à déjeuner les députés par petits groupes, comme il le fait depuis l’été, suffit à les reconquérir.

Emmanuel Macron préfère se bercer de mots. « La dissolution de 1997 était bien pire », le rassure Nicolas Sarkozy, qui ne perd pas une occasion d’égratigner Jacques Chirac. « Cela redonne une chance aux ambitieux » du « bloc central »,appuie l’ancien sénateur (Les Républicains, LR) Pierre Charon. Après une période de froid, l’ex-élu de Paris, membre de la petite cellule ayant travaillé en secret à la dissolution, est revenu en cour. Le président n’a écarté aucun de ces conseillers présentés comme des « apprentis sorciers », et tant décriés chez les siens, qui les tiennent pour responsables du chaos.

Bruno Roger-Petit, dit « BRP », qui encourageait « le chef » à se montrer « gaullien » en rappelant « le peuple » aux urnes, occupe toujours son petit bureau désordonné à côté de celui de Brigitte Macron, dans l’« aile madame » du palais. « C’est dur d’être mariée à l’un et l’amie de l’autre… », se désole parfois la première dame, qui déteste quand les deux hommes sont fâchés. Le temps a passé, cicatrisé les plaies. Il est désormais permis de plaisanter. Un témoin rapporte que l’avocat et chroniqueur Charles Consigny, reçu à déjeuner par Brigitte Macron en octobre, surpris par les empilements de livres et de papiers dans le bureau de « BRP », s’est exclamé, en plaisantant : « C’est ici qu’est née l’idée de la dissolution ? Tout s’explique ! » Tout le monde a ri.

 

L’ex-stratège du palais, Clément Leonarduzzi – rebaptisé « Clément Leonardisso » (comme « dissolution ») par des élus macronistes – sera, lui, décoré par Emmanuel Macron le 6 décembre, à l’Elysée, soit la veille de la réouverture de Notre-Dame, qui aura lieu devant une centaine de chefs d’Etat et que le vice-président de Publicis France prépare activement. La reconstruction à l’identique de la cathédrale, cinq ans après avoir été ravagée par les flammes, doit apparaître comme le grand œuvre de son ancien patron, et servir à sa réhabilitation. Un « moment inoubliable qui trouvera un écho mondial »,promet le consultant.

« Je les laisse faire »

A l’Elysée, le président s’est replié sur son petit cercle de communicants : le stratège Jonathan Guémas, son collaborateur, Jonas Bayard, et l’indéboulonnable Roger-Petit. Ces fidèles « mousquetaires » entretiennent le récit d’une dissolution« inévitable » ayant permis d’échapper à la motion de censure qui se préparait sur le budget à l’automne, et à la déculottée électorale – bien pire que celle du 7 juillet – qui aurait suivi.

« On a évité le massacre », veulent-ils croire, persuadés qu’une « clarification » a bien eu lieu : le Rassemblement national (RN) a montré qu’il n’était pas prêt pour le pouvoir. « Cette opération peut apparaître comme une foirade générale si elle n’est pas lue au prisme du temps long », argumente l’un de ces stratèges, qui évoque des « heures inédites, historiques ». Ceux qui prétendent le contraire appartiendraient à une « caste bourgeoise », réticente à voir le « peuple s’exprimer ». Un art consommé de la « post-rationalisation », s’amuse un familier de l’Elysée.

 

Depuis la dissolution, une douzaine de conseillers ont quitté l’atmosphère devenue étouffante du palais. Le secrétaire général lui-même prépare sa sortie. Hier puissante tour de contrôle, Alexis Kohler a perdu le fil de ce second mandat. « C’est quoi ce dîner ? », interroge-t-il, un soir d’octobre, contrarié de découvrir des pans entiers de l’emploi du temps du président gardés secrets. Mais le départ vers le secteur bancaire, maintes fois évoqué, est sans cesse repoussé. « Je ne peux pas le laisser », confesse-t-il en septembre devant un visiteur, jetant un regard inquiet vers le salon doré où travaille le président.

Alors qu’il décidait de tout depuis sept ans, Emmanuel Macron s’affiche en retrait. Après le conseil des ministres, il s’éclipse, peu désireux de s’attarder avec les membres de ce gouvernement qui n’est plus le sien, et dont il se méfie. Il se cache à peine de tout ignorer des ministres, y compris ceux de son propre camp. « Tu le connais, toi, Armand ? », glisse-t-il au député des Français de l’étranger Roland Lescure, juste après la nomination d’Antoine Armand à Bercy. Les conseillers partagés avec Matignon ont été débranchés. L’activité s’est ralentie. « La lumière s’est déplacée », concède un membre du cabinet du président, qui ironise : « Nous sommes dans le sublime de l’effacement, comme dirait Stendhal. »

Emmanuel Macron feint l’indifférence. « Qu’est-ce qu’on fait ? », l’interroge, affolé, le sénateur (Renaissance) de Côte-d’Or François Patriat, en marge de la remise de décoration de l’ex-première ministre Elisabeth Borne, le 25 novembre, alors que la censure du gouvernement par les forces conjointes de la gauche et de l’extrême droite paraît imminente. « Ne me demande pas, François, je les laisse faire », répond le président, mains dans les poches.

 

S’il surjoue la décontraction, il s’agace en privé des choix budgétaires du chef du gouvernement, lui reprochant de renier sa sacro-sainte politique de l’offre, ses « macronomics ». Ses propres conseillers se plaignent de recevoir des instructions contradictoires : le matin, ils sont sommés de « ne toucher à rien », et de « laisser Barnier gouverner » ; le soir, le président se félicite d’avoir des hommes à lui au gouvernement pour « peser ».

Barnier, ce « char Leclerc »

Mais une page s’est tournée. Le premier ministre, vieux routard de la droite, a dressé une muraille entre l’Elysée et Matignon. « L’Elysée n’est pas dans notre carte mentale », confirme un conseiller ministériel LR. Et, en dépit de la bonne entente entre le secrétaire général de la présidence, Alexis Kohler, et le directeur de cabinet à Matignon, Jérôme Fournel, les malentendus ne sont pas toujours dissipés entre Emmanuel Macron et Michel Barnier. « Bon, on ne s’est pas compris… », soupire parfois ce dernier en rentrant d’un rendez-vous avec le président, qu’il a dû écouter patiemment relativiser le trou abyssal des finances publiques et le mettre en garde contre les hausses d’impôts.

Peu à peu, Macron a compris qu’il s’était mépris sur l’élu savoyard, tombant à son tour dans le piège de ceux l’ayant sous-estimé. « Il n’a posé aucune condition, contrairement à Bernard Cazeneuve, il a dit oui à tout », se félicitait un conseiller de l’Elysée, juste après la nomination de Barnier. Mais sous ses dehors avenants et policés, le premier ministre peut se montrer susceptible et rigide, soucieux de ses prérogatives. « Vous pensiez avoir affaire à un gentleman courtois et malléable, vous avez hérité d’un char Leclerc qui vous roule dessus… », s’amuse un proche du chef du gouvernement auprès des équipes de la présidence.

 

Emmanuel Macron est contrarié de voir que l’ex-négociateur du Brexit, doté de puissants réseaux à l’étranger, s’immisce sur la scène internationale, ce « domaine réservé » que Michel Barnier a tenté de rebaptiser « domaine partagé » devant des députés.

« Tu es sûr qu’il faut que tu ailles à Bruxelles ? », glisse-t-il à son premier ministre, espérant le dissuader de se rendre au siège de la Commission européenne le 13 novembre pour signifier l’opposition de la France au traité de libre-échange avec le Mercosur. « Au niveau européen, Michel Barnier est un élément de stabilité », fait valoir le ministre de l’enseignement supérieur, Patrick Hetzel, proche du locataire de Matignon.

« Ce n’est plus le même »

C’est en se consacrant à la géopolitique qu’Emmanuel Macron espère retrouver un peu d’oxygène. Le 5 novembre, jour de l’élection américaine, son ancien ministre de l’industrie, Roland Lescure, en plateau à New York, est l’un des premiers à l’informer du triomphe de Donald Trump, dans la nuit. « Victoire sans appel », écrit-il au président, qui répond aussitôt : « Oui, et on doit en faire une opportunité. »

Deux jours plus tard, au sommet de la Communauté politique européenne à Budapest, Emmanuel Macron appelle au« sursaut » de l’Europe. Fin novembre, lors du G20 de Rio, au Brésil, il fait valoir auprès de ses pairs son statut de « vétéran » : rares peuvent, comme lui, afficher une telle longévité.

 

Une semaine plus tard, le président français, qui œuvrait avec Washington à une trêve au Proche-Orient, arrache un succès diplomatique avec l’annonce d’un fragile cessez-le-feu au Liban, entré en vigueur le 27 novembre, entre le Hezbollah et les autorités israéliennes. Le président américain, Joe Biden, allant jusqu’à saluer son homologue pour ce fructueux « partenariat ».

De quoi le rasséréner, lui dont la courbe de popularité n’a jamais été aussi basse. A la rentrée, ses amis l’ont trouvé marqué, émacié. A l’exaltation post-dissolution a succédé une période de flottement. Et si ce président si sûr de lui commençait à douter ? « Vous êtes jeune, vous êtes en bonne santé. Vous êtes président de la République… il y a pire », tâche de le consoler François Bayrou, qui pardonne tout à son allié.

Il semble s’égayer le temps d’une journée, comme ce 13 novembre, lorsqu’il disserte sur l’Europe depuis le Collège de France, l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi, à ses côtés. « Le voir heureux me rend heureuse », s’épanche sa mère, Françoise Noguès. Mais, dans les coulisses du pouvoir, beaucoup le trouvent ailleurs, à côté. « Je le sens à sa voix, ce n’est plus le même », s’inquiète, fin novembre, auprès d’un élu l’ex-garde des sceaux Eric Dupond-Moretti, après avoir échangé avec le président au téléphone.

 

C’est un « guerrier », veut croire l’ex-député Patrick Vignal, persuadé qu’Emmanuel Macron retrouvera son panache. « Laisse les emmerdes au gouvernement », lui suggère-t-il par texto à la fin de l’été, l’incitant à se lancer dans un tour de France, comme après les « gilets jaunes » ou la mobilisation sur les retraites. « Banco, lui répond le président, ragaillardi. Un truc de mouvement permanent. » Et puis, plus rien. Depuis la mi-septembre, il laisse d’innombrables SMS sans réponse. Comme si la machine présidentielle, en surchauffe depuis sept ans, avait subitement calé. « C’est René Coty sous la IVe République », avance, cruel, le député (LR) d’Eure-et-Loir Olivier Marleix, qui le compare à un « astre mort ».

« Emmanuel est un enfant »

Puisque le pouvoir s’enfuit, se raccrocher à ses attributs. Le 28 octobre, invité par le roi du Maroc pour une visite d’Etat fastueuse, le président emmène à Rabat une délégation pléthorique (130 personnes). Le profil de certains invités fait grincer des dents. « L’écume », balaye le président, qui renvoie dans le camp des aigris ceux qui lui reprochent de jouir de son « bon plaisir ». A Rabat, Macron goûte au délice d’un bain de foule, heureux de se trouver plus en forme que le souverain marocain, raconte l’un des membres de la délégation.

Un mois plus tard, il affiche la même aisance sous le soleil de Rio de Janeiro, en marge du G20, alternant footing sur la baie de Copacabana et escapades touristiques avec « Brigitte », goûtant, partout, les marques d’attention des passants. « I love Rio », répète-t-il.

Interpellé par l’un d’eux sur Haïti, le président français, en bras de chemise, répond que les Haïtiens sont « complètement cons » d’avoir limogé leur premier ministre (Garry Conille) qui était « super » et qu’ils ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes si le chaos règne. A mesure qu’il argumente, il s’enflamme, comme si c’était encore de lui, cornérisé par le vote des Français, dont il parlait.

 

Les fenêtres de l’Elysée sont éclairées, tard dans la nuit. A quoi pense Emmanuel Macron, lors de ses insomnies ? A tous ceux qu’il a « fait bouffer », comme il dit, pendant sept ans et qui lui tournent le dos ? A l’extérieur du palais, les langues se délient. Les petits travers de la cour sont décortiqués, moqués. Comme cette manie qu’il a de se faire servir en premier. Ou ces nouvelles chaises gaufrées « RF » (pour « République française ») commandées pour le conseil des ministres, que ces derniers ont découvert, médusés : ton sur ton pour les membres du gouvernement, en lettres d’or pour le président de la République qui, en arrivant à l’Elysée, philosophait sur la « figure du roi » et disait « mon peuple » pour parler des Français.

Un ancien collaborateur se souvient aussi de sa surprise quand Emmanuel Macron a soudain laissé en plan son cabinet, à la fin d’une réunion, pour se changer dans ses appartements privés. Il est revenu vêtu d’un tee-shirt moulant, bleu à manches longues, et un pull orange jeté sur les épaules – « déguisé en Superman », soupire cet ex-conseiller –, pour poser devant sa photographe, Soazig de La Moissonnière.

 

« Emmanuel est un enfant », avait un jour glissé François Hollande au Monde, « il joue ». Un « apprenti acteur » qui « a toujours confondu la société avec les planches », renchérit l’essayiste Alain Minc. Dans son dernier livre, Somme toute(Grasset, 224 pages, 19,50 euros), le conseiller des puissants, dont l’ex-banquier d’affaires fut l’un des protégés, n’a pas de mots assez durs contre la dissolution (« le pire traumatisme politique que la Ve République aura connu en cinquante ans ») et son instigateur, un « enfant roi » au « narcissisme poussé jusqu’à un niveau pathologique » ayant une propension au « déni de réalité ». « Toi, tu es un égocentrique, lui, c’est un narcisse, a-t-il un jour glissé à Nicolas Sarkozy au sujet d’“Emmanuel”. L’égocentrique a besoin des autres. Narcisse est seul. »

« Malédiction des dieux »

Au soir de la dissolution, qui risquait d’ouvrir au RN la voie du pouvoir, d’anciens conseillers de l’Elysée ont pensé avec émotion à l’ex-ministre de l’intérieur Gérard Collomb, mort en 2023. En quittant la Place Beauvau, en 2018, le Lyonnais avait mis en garde son ami président contre l’hubris, cette « malédiction des dieux » qui touche ceux qui deviennent « trop sûrs d’eux ». « Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre », avait averti l’ancien professeur de grec, dont tout le monde, alors, s’était moqué.

La solitude du président, sa verticalité, ses changements de pied et son manque de sincérité présumée sont critiqués par ceux qu’il a évincés ou sont tombés au champ électoral, le 7 juillet. Son ancien ministre Jean-Michel Blanquer, qui fut l’un des plus empressés à louer l’intelligence et la disruption de ce jeune président tant admiré, reproche à cet « ange déchu » d’avoir « emporté avec lui le pays dans le vide où il avait choisi de se précipiter ». « Il voulait disrupter la vie politique, il l’a mise par terre », analyse en privé l’ex-secrétaire général de la CFDT Laurent Berger, qui a refusé Matignon. Lors de leur tête-à-tête estival, le président insiste : « Fais-moi une note avec quelques points sur lesquels avancer.

– Je ne suis pas ton collaborateur, tranche l’ancien syndicaliste.

– Tu as toujours été dur… », regrette le président, qui n’a jamais considéré les corps intermédiaires.

Laurent Berger n’est pas seul à se détourner. Les patrons, qui appréciaient sa politique probusiness, ne lui pardonnent pas d’avoir été aussi anxiogène et créé pareille instabilité. Les macronistes historiques ne reconnaissent plus l’homme de la réforme et du dépassement qui les avait entraînés, regrettant que sa personnalité ait tant influé sur sa gouvernance, au risque d’occulter son bilan.

Incomprise, la dissolution a fait glisser l’exégèse du macronisme du terrain politique au registre psychologique. « Quand un homme incontestablement intelligent commet un acte d’une absolue bêtise, c’est dans la psychologie qu’il faut chercher une explication », observe Alain Minc. C’est ce qu’a tenté d’analyser dans un livre (La Pensée perverse au pouvoir, éd. Anamosa, 288 pages, 20 euros) le sociologue Marc Joly, surpris de voir fleurir les commentaires sur la supposée « folie » du président, au lendemain de sa décision décriée.

« Il a le sentiment d’avoir été remplacé »

Face à ces procès, le président est seul ou presque. A ses côtés, Brigitte Macron donne le change, affichant une inaltérable gaieté : « Les Français ne le méritent pas », glisse-t-elle à l’actrice Arielle Dombasle, qui accompagne le couple présidentiel au Maroc. « On compte nos amis, ils ne sont pas légion », confie-t-elle cet été à l’animateur Stéphane Bern. Puis : « On tient. » Nicolas Sarkozy leur conseille de « réfléchir à l’après » : « Pensez à une maison où vous vous installerez en quittant la Lanterne et l’Elysée… »

Mais c’est plutôt du côté de François Mitterrand qu’Emmanuel Macron cherche l’inspiration, se demandant comment le vieux monarque s’y prenait pour gouverner les âmes. A l’issue de ses deux septennats, le président socialiste avait fait mine de soutenir Lionel Jospin, candidat à sa succession, tout en le sabotant, en sous-main. Comme lui, Emmanuel Macron, qui ne pourra pas se représenter à la prochaine présidentielle, semble incapable d’imaginer sa suite. « Lui parler de 2027, c’est lui parler de la mort », admet un proche.

 

Comme si, au fond, cette « obsolescence programmée » depuis 2022 – dixit l’ex-député (MoDem) des Hauts-de-Seine Jean-Louis Bourlanges – avait enrayé ce second mandat, d’emblée. Lui qui, dans sa promesse de 2017, refusait toute assignation à résidence et appelait à maîtriser son destin – ce qu’il a toujours fait pour lui-même – voit celui-ci, soudain, lui échapper. « Le président aime le combat. Et là, il n’a pas de combat. Il a le sentiment d’avoir été remplacé », constate le député (Renaissance) des Yvelines Karl Olive, alors que Gabriel Attal, 35 ans, s’apprête à reprendre les rênes du parti présidentiel.

La nomination du jeune « Gabriel » à Matignon, en janvier, est d’ailleurs le seul regret qu’il confesse. « Je pense qu’il faut tout rebâtir car là, les ego et ambitions pèsent plus que tout, écrit-il fin juin à son complice Patrick Vignal. Et je vais être honnête, poursuit le président, même Gabriel nous a mis dans la merde en étant si égotique. » « Tu l’as mis au chômage sans préavis ! », a ri Patrick Vignal.

Hanté par ce bilan qu’il redoute de voir effacé, occulté par la dette abyssale et la décomposition politique, Emmanuel Macron évoque devant quelques amis l’idée d’écrire un livre, un « credo » qui revisiterait son ouvrage programmatique, Révolution (XO éditions), publié en 2016. « Michel Barnier sera ton Medvedev », lui glisse un écrivain familier de l’Elysée, dans une allusion à l’éphémère président russe qui a permis à Vladimir Poutine de revenir au pouvoir après deux mandats successifs. « Ah, tu crois », répond l’intéressé, pensif. « En 2027, vous aurez 49 ans, 49 + 5 = 54 ans ! », pousse Pierre Charon, toujours heureux de faire rire le président, pensant l’inciter à se projeter vers la présidentielle de 2032, au moment même où les oppositions réclament son départ anticipé.

Pour l’heure, Emmanuel Macron n’a dévoilé qu’un seul projet : l’entrée au Panthéon du résistant Marc Bloch, dont il a loué, le 23 novembre depuis Strasbourg, la « lucidité cinglante ». En 1940, l’historien avait su analyser les ressorts de l’effondrement de la nation, faisant « le récit de cette étrange défaite, celle de notre volonté française émoussée par le conservatisme, endormie par le conformisme, amollie par la bureaucratie, délaissée par une partie de ses élites »,rappelle Emmanuel Macron, croyant trouver dans le passé des leçons pour le présent. Celui qui s’était fait élire en se présentant comme un réformateur transgressif, désireux de dépasser les blocages de la Ve République, et termine paralysé comme un dirigeant de la IVe République, ne semble pas voir à quel point cette « étrange défaite » résonne avec la sienne.