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Carnage lors d’une distribution d’aide à Gaza : la responsabilité d’Israël est pointée

Israël, qui assiège et affame la population de Gaza en entravant l’aide humanitaire, parle d’un mouvement de foule pour expliquer la centaine de morts jeudi à Gaza-ville. Mais les tirs de soldats israéliens sont avérés. Les condamnations internationales se multiplient.

Rachida El Azzouzi

1 mars 2024 à 19h54

 

Des centaines de personnes ont été tuées et blessées jeudi 29 février alors qu’elles se précipitaient vers des camions d’aide humanitaire, rue Al-Rashid, dans la ville de Gaza, la principale ville du nord de l’enclave palestinienne, assiégée et menacée de famine. 

Dans ce territoire massivement bombardé depuis le 7 octobre 2023, aucun convoi n’a pu être acheminé depuis le 23 janvier, selon l’Organisation des nations unies (ONU), qui dénonce les entraves des autorités israéliennes, ne laissant entrer qu’au compte-goutte l’aide humanitaire. 

Le convoi, d’une trentaine de véhicules selon l’armée israélienne, est entré dans la ville par la route côtière, vers quatre heures du matin, jeudi 29 février. Alertées par la rumeur d’une arrivée de nourriture, des milliers de personnes s’étaient massées, en pleine nuit, au niveau du rond-point de Naplouse.

Le Hamas, qui contrôle le ministère de la santé, annonce plus d’une centaine de morts et plus de 760 blessés. Surtout, il accuse l’État hébreu d’avoir tiré sur la population et perpétré « un massacre ». Tout comme l’Autorité palestinienne, qui condamne, depuis la Cisjordanie occupée, « un massacre odieux commis par les forces d’occupation ». 

Les autorités israéliennes rejettent toute responsabilité, reconnaissant seulement des tirs « limités » sur la foule, au motif qu’une partie de celle-ci se serait trop approchée des positions de ses soldats. Selon elles, les personnes ont été piétinées par la foule lors de bousculades ou écrasées par les chauffeurs des camions qui leur auraient roulé dessus. 

 

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Hôpital Al-Shifa de Gaza. Des palestiniens à côté du corps d’un proche mort lors d’une distribution alimentaire à Gaza le 29 février 2024. © Photo AFP

Pour appuyer sa version, l’État hébreu a fourni des fragments d’images de drones, mais qui n’accréditent pas sa thèse. Ces images, triées sur le volet, de courte durée et de mauvaise qualité, suffisent, en revanche, à attester de l’ampleur du chaos dans le territoire palestinien, provoqué par le blocus total imposé par Israël depuis près de cinq mois et la rareté de l’aide humanitaire. 

Selon l’ONU, un quart de la population est au bord de la famine et la quasi-totalité des 2,2 millions d’habitant·es dépendent d’une aide humanitaire.

« Des blessures par balles »

Dans les images déshumanisantes au possible des drones de l’armée israélienne, on voit des centaines de silhouettes, poussées par la faim, se précipiter sur les camions d’aide et tenter d’attraper les sacs de nourriture jetés à l’arrière. Sur d’autres encore, on voit deux chars israéliens stationnés près de la route, au moins une douzaine de corps gisant à proximité, ainsi que des personnes rampant et se baissant pour se mettre à l’abri.

Plusieurs services de santé de la ville ont livré le même témoignage et affirmé avoir reçu un grand nombre de blessé·es par balles. À l’instar du directeur par intérim de l’hôpital Al-Awda, l’un des hôpitaux de Gaza, qui a reçu 176 blessé·es. Cité par le journal Le Monde, le médecin affirme ne pas avoir constaté de blessures symptomatiques d’une bousculade mais seulement « des blessures par balle, sur toutes les zones du corps, les mains, les jambes, l’abdomen ou la poitrine ». 

Dans une vidéo éclairante, le quotidien américain The New York Times a juxtaposé les images fournies par l’armée israélienne et celles diffusées par la chaîne qatarie Al Jazeera. Ces dernières offrent un autre point de vue et viennent corroborer les nombreux témoins, cités notamment par l’AFP, qui affirment avoir vu les soldats israéliens tirer sur les civils. 

Filmée depuis une rue latérale, la vidéo d’Al Jazeera donne à entendre des salves de tirs alors que la foule se disperse et cherche à se mettre à l’abri. Elle montre aussi l’usage de munitions traçantes, des projectiles qui s’enflamment pour éclairer leur trajectoire et aider les soldats à affiner leur cible. La source du tir n’est pas capturée dans les images, mais la trajectoire montre qu’ils viennent de la direction où sont positionnés les véhicules militaires israéliens, à seulement 800 mètres, note le New York Times.

 

Selon Le Monde, le convoi a été « affrété » par les autorités israéliennes « sans aucun dialogue avec les agences des Nations unies (...) ni avec l’administration civile ». Ce que confirme dans un entretien à Mediapart Philippe Lazzarini, le commissaire général de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens : « Il n’y a eu aucune implication d’aucune agence des Nations unies : ni l’UNRWA ni le Programme alimentaire mondial. Et nous n’avons pas connaissance qu’une autre organisation humanitaire ait été impliquée. Nous ne savons pas précisément à cette heure quelle est la nature de ce convoi, qui l’a organisé, et à quelle fin ».

 

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Image extraite d'une vidéo issue d’un drone et diffusée par l'armée israélienne montrant la foule lors de la distribution alimentaire à Gaza le 29 février 2024. © Photo AFP/ document armée israélienne

Voilà des semaines que l’ONU alerte sur les risques de famine à Gaza, tout particulièrement dans le nord. Philippe Lazzarini dénonce une « situation de pénurie totale, artificiellement créée » par Israël et appelle l’état hébreu à ouvrir d'urgence les accès pour que les convois d’aide humanitaire puissent passer « en abondance ».

Isabelle Defourny, présidente de Médecins sans frontières (MSF) France, lance le même appel dans Le Figaro : « Pour que les distributions se passent bien, il faut avant tout que la population soit rassurée, qu’elle sache quand vont arriver les camions, avec l’assurance que d’autres vont suivre et qu’il y en aura assez pour tout le monde. Le territoire est en proie à un vrai désordre civil. Les bombardements sont incessants, le personnel humanitaire est lui-même dans l’incapacité d’agir, il n’y a plus de police. C’est ce chaos-là qui nous fait dire qu’il n’y a pas les conditions minimales pour qu’une aide humanitaire soit distribuée. Il faut un cessez-le-feu. Il faut annoncer et augmenter la quantité d’aide à Gaza. Il faut rassurer la population ».

Depuis la tuerie, survenue le jour où le Hamas a annoncé que plus de 30 000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, ont été tuées depuis le début de la guerre à Gaza, les condamnations internationales se multiplient, à l’image de celle du président français, qui a dit sa « profonde indignation » et exigé vendredi 1er mars « vérité », « justice » ainsi que « respect du droit international ». « Des civils ont été pris pour cible par l’armée israélienne », a condamné Emmanuel Macron. Stéphane Séjourné, le ministre français des affaires étrangères, a appelé à une enquête indépendante.

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a dénoncé un « nouveau carnage » et des morts « totalement inacceptables ». « Priver les gens de l’aide humanitaire constitue une violation grave » du droit humanitaire international, a-t-il souligné.

Jeudi, le président américain, Joe Biden, qui fait face à une colère grandissante contre le soutien des États-Unis à Israël, a répondu : « Nous vérifions ça en ce moment. Il y a deux versions contradictoires de ce qui s’est produit. Je n’ai pas encore de réponse. » 

Le porte-parole du département d’État, Matthew Miller, a ensuite assuré à la presse que les États-Unis, qui ont bloqué la semaine dernière, pour la troisième fois, une résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, feraient « pression pour obtenir des réponses » auprès du gouvernement israélien qui affirme mener une enquête. 

La tragédie du 29 février, qui a conduit le Conseil de sécurité à se réunir en urgence et à huis clos jeudi soir, fragilise encore l’espoir d’une trêve avant le début du ramadan, mois de jeûne sacré pour les musulmans qui commence le 10 ou le 11 mars.

Depuis des semaines, Qatar, États-Unis, Égypte ainsi que d’autres pays s’activent afin d’obtenir un accord prévoyant une trêve de six semaines associée à la libération d’otages et de prisonniers palestiniens détenus par Israël, ainsi que l’entrée à Gaza d’une importante quantité d’aide humanitaire.

Plusieurs pays arabes du Golfe ont exprimé leur condamnation, comme le Qatar, intermédiaire entre Israël et le Hamas, qui a fustigé « le massacre odieux commis par l’occupation israélienne contre des civils sans défense » : « La poursuite des crimes de l’occupation, dans le cadre de sa guerre brutale contre la bande de Gaza, prouve jour après jour la nécessité d’une action internationale urgente pour mettre fin immédiatement à cette agression sans précédent dans l’histoire récente ».