Aux Etats-Unis, la restriction du droit à l’IVG provoque une hausse de la mortalité infantile
Deux études publiées en juin analysent les conséquences de la loi limitant le droit à l’avortement au Texas. Elles montrent une hausse de la mortalité des nourrissons et une baisse de la contraception.
T’lana La’Faith Davis est morte le jour de sa naissance. Sa mère savait dès la grossesse que le bébé ne serait pas viable, mais un avortement tardif était impossible dans l’Etat. A Anguilla (Mississippi), le 13 juillet 2022. KASIA STREK / PANOS PICTURES POUR « LE MONDE »
Les mesures antiavortement sont-elles en faveur de la vie, comme le soutiennent leurs promoteurs ? Deux ans après la décision de la Cour suprême des Etats-Unis de renvoyer à chaque Etat la décision d’autoriser, ou non, l’avortement sur son territoire, deux études publiées en juin dans la revue Journal of the American Medical Association montrent les conséquences mortifères que peuvent avoir les restrictions d’accès à l’interruption de grossesse.
Pour étudier ces effets, le Texas a servi de cas d’école pour quatre chercheuses américaines de l’université Johns Hopkins (Baltimore) et de l’université d’Etat du Michigan. Dès le 1er septembre 2021, le « Lone Star State » a en effet interdit tout avortement après la détection d’une activité cardiaque de l’embryon, qui survient en général après six semaines de grossesse. A l’exception d’« urgences médicales » non définies dans ce texte connu sous le nom de « SB8 ».
Il ressort que les décès de nourrissons dans l’Etat ont augmenté de près de 13 % après cette décision, alors que, dans le reste du pays, la mortalité infantile a augmenté de moins de 2 % au cours de la même période. En 2022, 2 240 nourrissons de moins de 1 an sont décédés au Texas, dont plus de la moitié dans la période néonatale, c’est-à-dire avant vingt-huit jours de vie. En 2021, il y avait eu 1 985 décès de nourrissons, une différence jugée statistiquement significative.
Progression des anomalies congénitales
« Cette étude vient confirmer les résultats d’autres recherches, mais il s’agit de la première étude vraiment concluante et rigoureuse scientifiquement sur le sujet », commente Magali Barbieri, démographe de l’Institut national d’études démographiques et chercheuse associée à l’université de Californie, à Berkeley, qui n’a pas participé à l’étude.
Parmi les causes identifiées de cette hausse de la mortalité infantile, l’une s’impose : les anomalies congénitales chez les enfants texans ont augmenté de 22,9 % entre 2021 et 2022, alors qu’elles ont diminué de 3,1 % dans le reste du pays. On appelle maladies congénitales des défauts structurels ou fonctionnels présents dès la naissance et pouvant être le résultat de facteurs génétiques, infectieux, nutritionnels ou environnementaux – aux causes souvent indéterminées. Aux Etats-Unis, il s’agit de la principale cause de mort infantile, responsable d’un décès sur cinq. Alors que la détection d’une maladie congénitale aurait sûrement poussé des femmes à interrompre leur grossesse, ces données montrent, selon les autrices, que la loi texane a « contraint » un grand nombre d’entre elles à la poursuivre.
Parmi les autres causes, l’étude montre également une hausse des blessures involontaires (+ 20,7 %) et une augmentation des complications maternelles pendant la grossesse (+ 18,2 %), mais Alison Gemmill, première autrice de l’article, explique ne pas s’être attardée sur ces résultats, « car les chiffres sont assez faibles, ce qui signifie que les augmentations observées entre 2021 et 2022 pourraient être dues au hasard ».
« Cela dit, on peut très bien s’attendre à ce que l’augmentation des complications maternelles pendant la grossesse soit réelle, souligne la démographe et épidémiologiste périnatale à l’école de santé publique Bloomberg de l’université Johns Hopkins. En effet, en vertu du SB8, les personnes dont la santé serait compromise par la poursuite d’une grossesse ne disposent plus que d’options limitées en matière de soins de grossesse. En outre, la loi a eu un effet dissuasif sur les professionnels de la santé, qui hésitent davantage à fournir les soins nécessaires par crainte de répercussions juridiques. »
Concernant les blessures involontaires, il s’agit principalement des suffocations accidentelles, qui interviennent la plupart du temps dans le lit du bébé, quand une couverture, un tour de lit ou autre objet l’empêche de respirer. Leur hausse « pourrait être due à une augmentation des naissances non désirées ou à des naissances trop rapprochées, puisque l’intention de grossesse et la brièveté de l’intervalle entre les grossesses sont toutes deux associées à des facteurs de risque d’issue défavorable pour le nourrisson », précise Alison Gemmill.
« Faire des exceptions aux interdictions d’avortement dans certains cas est insuffisant parce que la grossesse est intrinsèquement dangereuse et que la loi est incapable d’analyser toutes les façons dont une grossesse peut mal tourner », avance la chercheuse, plaidant pour que les législateurs fassent passer la santé des personnes enceintes et des enfants avant les agendas politiques. D’autant plus que les risques de décès dans le cadre d’une grossesse sont beaucoup plus élevés que les risques de décès après un avortement. « Pousser les femmes à poursuivre leur grossesse joue très fortement sur la mortalité maternelle », souligne Magali Barbieri.
« Une grande confusion »
Une deuxième étude, publiée le 26 juin, illustre en outre la confusion qu’ont pu faire émerger les mesures antiavortement. Se basant sur 143 millions d’ordonnances apportées dans les pharmacies américaines entre 2021 et 2023, des chercheurs montrent que la décision de la Cour suprême a été associée à une baisse des contraceptifs oraux, à la fois pilules quotidiennes et pilules du lendemain, dans les Etats adoptant les politiques les plus restrictives. C’est en particulier vrai pour la pilule du lendemain, à base de lévonorgestrel, qui retarde l’ovulation et perturbe la nidation d’un éventuel œuf, à prendre au maximum dans les trois jours après un rapport sexuel non protégé.
D’après les auteurs, ce phénomène est à mettre en lien avec la fermeture des centres de planning familial, puisque, rappellent-ils, « environ 11 % des femmes américaines en âge de procréer dépendent [de ces cliniques] pour leur contraception et un tiers de ces centres fournissent des prescriptions ».
Par ailleurs, explique Magali Barbieri, l’argument principal en faveur des mesures antiavortement aux Etats-Unis consiste à affirmer que l’être humain commence à exister au moment de la fécondation. « Donc toutes les méthodes contraceptives qui suppriment un œuf fécondé sont considérées comme abortives, souligne la chercheuse. Il y a une grande confusion chez beaucoup de femmes qui pensent que les contraceptifs oraux et la pilule du lendemain sont interdits par cette décision de la Cour suprême, alors que ce n’est pas le cas. » Les Etats-Unis ont l’un des taux de mortalité infantile les plus élevés des pays à haut revenu, avec 5,4 morts pour 1 000 naissances vivantes, contre 4 pour 1 000 en France.