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https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/02/25/la-bonne-fortune-de-dominique-de-villepin_6218445_4500055.html

Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, l’ancien premier ministre a multiplié les interventions, se posant comme le tenant d’une ligne « gaullienne » de politique arabe de la France. Une position minoritaire au sein de la droite, mais qui réveille chez ses rares soutiens le fantasme d’un destin présidentiel.

Il attendait cela depuis longtemps sans oser vraiment y croire. Azdine Ouis, 44 ans, militant associatif de Corbeil-Essonnes depuis plus de vingt ans, avait pris ses distances avec la vie politique française. Lui qui aime encore se dire gaulliste a toujours cru en la vertu des grands hommes. Et des grands hommes, il n’en voyait plus dans le paysage depuis des lustres. Alors, quand il entend, ce 12 octobre 2023, la voix de Dominique de Villepin sur les ondes de France Inter, cinq jours après le massacre perpétré par le Hamas causant la mort de mille deux cents personnes, il ressent immé­diatement un sentiment mêlé de fierté et de soulagement.

Ce jour-là, si l’ex-­premier ministre de Jacques Chirac (de mars 2004 à mai 2005) se dit « surpris par l’ampleur, l’horreur et la barbarie » de l’attaque du Hamas, il reconnaît ne pas avoir été surpris par « cette haine qui s’est exprimée », sortie tout droit de « cette prison à ciel ouvert » qu’est devenue la bande de Gaza. Il met en garde le gouvernement d’Israël, martelant que « le droit à la légitime défense n’est pas un droit à la vengeance indiscri­minée », au risque « que tout cela ne se termine dans un bain de sang ».

Le jour même, Manuel Bompard, le coordinateur de La France insou­mise, alors engluée dans une violente polémique depuis que Jean-Luc Mélenchon a refusé de qualifier de terroriste l’organisation islamiste, écrit sur X : « Il est très utile dans ces moments d’entendre la parole de Dominique de Villepin. » Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, y va aussi de son message de soutien. La droite et la majorité restent, elles, silencieuses, comme si Dominique de Villepin était devenu un ovni politique dont il fallait se tenir à distance. En tout cas publiquement.

Etre villepiniste, c’est accepter d’être seul

Azdine Ouis, lui, n’a pas oublié qu’il appartient à une étrange petite tribu politique tombée en désuétude : les villepinistes. Ce n’est ni un mouvement ni un club, à peine une amicale… Il sait qu’il ne faut pas attendre beaucoup de choses du grand homme : ni gratitude ni signe de reconnaissance. En 2011, ce conseiller municipal de Serge Dassault à la municipalité de Corbeil avait intégré la petite équipe réunie autour de l’ex-premier ministre pour lancer sa campagne présidentielle. Azdine Ouis devient le M. Associations et banlieue du candidat.

 

Il organise quelques déplacements, et puis tout s’arrête brutalement en janvier 2012, quand Dominique de Villepin, n’ayant pas récolté les indispensables cinq cents signatures, est contraint de jeter l’éponge et de laisser son ennemi historique, Nicolas Sarkozy, briguer un second mandat face à François Hollande. Depuis, Azdine Ouis sait qu’être villepiniste, c’est accepter d’être seul. Mais il veut écouter toutes ces voix amies qui le pressent depuis plusieurs jours de faire quelque chose. Alors, le 3 décembre, il décide de lancer, tout seul dans son coin, une pétition en ligne pour appeler à la candidature de Dominique de Villepin à la présidentielle de 2027.

Il a écrit un texte qui fait office de profession de foi : « Soucieux de représenter la nation française dans sa pleine et entière diversité, et de défendre en toutes circonstances les idéaux de la République et de la démocratie, Dominique de Villepin a su se situer, au cours de ses dernières interventions, au-dessus des clivages partisans. Il a su de même symboliser l’esprit de continuité incarné et affirmé par le général de Gaulle. » Quelques jours plus tard, il découvre qu’un compte « Dominique de Villepin, président » est apparu sur Instagram. Et si cette fois était la bonne ? Et si la crise israélienne avait d’un seul coup réveillé dans le pays une envie de Villepin ? Quelques jours plus tard, une fois sa pétition en ligne, Azdine Ouis écrit à l’homme providentiel pour lui signifier qu’il peut compter sur lui. Et que, s’il souhaite lever une armée, il en sera.

Cette pompe qui agace ou galvanise

Après le 12 octobre, il y a eu le 27 octobre sur BFM-TV, puis le 7 novembre sur Franceinfo, le 14 novembre sur CNews… A chaque fois ou presque, les mêmes mots. A chaque fois, la même mise en garde contre un embrasement général, le même appel à chercher une solution politique. Le tout, dans ce style si singulier, que l’on reconnaît entre mille, ce débit tumultueux, cette pompe aux rugissements grandiloquents qui agace ou galvanise. C’est selon. Alors que le patron des Républicains (LR), Eric Ciotti, théorise non pas un « conflit territorial » mais une « guerre de civilisation » entre, d’un côté, les démocraties occidentales et, de l’autre, l’islamisme et le terrorisme, Dominique de Villepin, 70 ans, enfile le costume de gardien de la tradition gaulliste d’une « politique arabe française ».

Dans les couloirs du Quai d’Orsay, ses mots résonnent avec un écho de cathédrale. C’est peu dire que la diplomatie française est en froid avec le président Emmanuel Macron, notamment depuis son projet de réforme de ce corps, lancé à la hussarde au printemps 2022 et qui a provoqué un mouvement de grève historique, soutenu par un certain… Dominique de Villepin. Juste après le 7 octobre, une boucle ANMO (Afrique du Nord et Moyen-Orient) se crée sur WhatsApp, réunissant une petite centaine de fonctionnaires, y compris des ambassadeurs.

Dominique de Villepin sur BFM-TV, le 27 octobre 2023. Dominique de Villepin sur BFM-TV, le 27 octobre 2023. BFMTV

« Plusieurs personnes ont posté les interventions de Villepin avec des commentaires du genre : “Enfin, quelqu’un qui dit les choses”, raconte un diplomate français, familier du Moyen-Orient et qui souhaite rester anonyme. Dans le contexte actuel, avec la diplomatie au doigt mouillé de Macron, avec les plateaux de télé remplis d’experts à la noix, on était plutôt contents d’entendre ce qu’il a dit. Il n’est pas spécialement pro-Palestiniens, il est chiraquien, il est pro-paix. » Comprendre : il porte la ligne historique du Quai d’Orsay.

« Stéphane Séjourné à côté, il n’y a pas photo »

L’initiative diplomatique totalement improvisée d’Emmanuel Macron lors de son passage en Israël, le 24 octobre, appelant à une coalition internationale contre le Hamas n’a fait que renforcer la popularité de l’auteur du fameux discours de 2003 aux Nations unies contre une intervention en Irak. Spécialiste des relations internationales, chiraquien historique, Pierre Lellouche ne peut être taxé de « Villepin-dolâtre », les deux hommes ayant longtemps été en rivalité. « Evi­demment, quand vous mettez un Stéphane Séjourné [l’actuel ministre des affaires étrangères] à côté d’un Villepin, il n’y a pas photo, reconnaît-il. Alors, si vous êtes un professionnel de la diplomatie, c’est normal que vous rêviez d’autre chose et que vous pensiez à Villepin. Il bénéficie du grand vide actuel et du bilan catastrophique de Macron en matière de politique internationale. »

Ecrivaine libanaise, grande voix du monde arabe, Dominique Eddé a brièvement échangé par mail avec l’intéressé, à la suite de ses interventions dans les médias. « Sur la question d’Israël et de la Palestine, Dominique de Villepin est de ceux qui sauvent l’honneur de la classe politique française. Sa conception de la politique étrangère est à l’opposé de l’enfermement et du raidissement des esprits à l’heure qu’il est. Après l’horreur du 7 octobre, dont il a pris toute la mesure, il a compris qu’une guerre menée par ce gouvernement israélien-là serait une guerre de vengeance, qu’elle finirait en carnage. »

Elle a rencontré Dominique de Villepin à la fin des années 2000, lors d’un dîner qui réunissait autour de lui une dizaine de figures de la scène littéraire arabe, dont le poète syrien Adonis. « Il sait que le conflit israélo-palestinien est avant tout une question de mémoires, de récits et de souffrances ancrées dans des temps et des lieux différents. L’Europe a besoin d’intelligences comme la sienne, capable de penser les contradictions aussi bien que les traits d’union, sans se laisser impressionner par les préjugés. »

« Une maladresse invraisemblable et injustifiée »

Seul contre tous a toujours été sa position préférée. Né à Rabat, au Maroc, en 1953, élevé au Venezuela, obligé de suivre les différentes mutations d’un père alors cadre dirigeant à Saint-Gobain, Dominique de Villepin a construit puis cultivé une singularité qu’il aimerait flamboyante. Une sorte de Don Quichotte en lutte contre les moulins de la pensée unique du monde occidental. On ne lui connaît pas de Sancho Pança, sauf peut-être sa fidèle secrétaire, Nadine Izard, qui ne l’a jamais quitté.

Dominique Galouzeau de Villepin, l’homme qui dit porter la parole des peuples du Sud, est un diplomate à particule vivant dans un splendide 380 mètres carrés avenue Foch. Ne lui demandez pas s’il y a là matière à contradiction, il ne comprendrait pas. « Depuis toujours, il a une sensibilité très forte à l’égard des réfugiés, des humiliés qui se sentent méprisés par l’Occident. Il a compris avant tout le monde que cela peut nourrir un ressentiment mortifère qui alimente le terrorisme international, analyse Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, qui le connaît depuis plus de trente ans pour avoir été son conseiller au Quai d’Orsay en 2003, puis à Matignon (en tant que conseiller puis directeur de cabinet) de mai 2005 à mai 2007. Ce n’est pas une voix du Sud, c’est une voix occidentale qui parle encore au Sud. »

Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, pendant son célèbre discours aux Nations unies contre l’intervention en Irak, le 14 février 2003. Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, pendant son célèbre discours aux Nations unies contre l’intervention en Irak, le 14 février 2003. TIMOTHY A. CLARY / AFP

Rien ne semblait pouvoir interrompre sa croisade médiatico-­politique. Si ce n’est un accident. Ce jeudi 23 novembre, il est face au présentateur Yann Barthès sur le plateau de l’émission « Quotidien », nouvelle étape de sa tournée. Il est amené à commenter un reportage sur des célébrités de Hollywood critiquées pour avoir soutenu les Palestiniens : « On voit à quel point la domination financière sur les médias et sur le monde de l’art, de la musique pèse lourd. Parce qu’ils ne peuvent pas dire ce qu’ils pensent, parce que tous les contrats s’arrêtent immédiatement », lâche l’ancien ­premier ministre.

L’embrasement est immédiat. Les accusations d’antisémitisme pleuvent. Jacques Attali écrit sur X : « L’antisémitisme, si longtemps masqué, se déchaîne, en croyant ­intimider… » Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Yonathan Arfi, embraye : « Consciemment ou non, ses mots relèvent d’une rhétorique insidieusement antisémite ­désignant sans le dire les juifs comme le parti de la finance internationale et les marionnettistes des médias et des artistes. » Dominique de Villepin n’a pas d’autre choix que de s’inviter trois jours plus tard sur le plateau de LCI pour tenter d’éteindre l’incendie. « Je ne le soupçonne pas du tout d’être antisémite, assure l’ancien ministre François Goulard, qui a fait partie de son équipe de campagne de 2012. Mais cette sortie relève au minimum d’une maladresse invraisemblable et injustifiée. Il aurait pu au moins faire amende honorable. » Mais la contrition n’a jamais été son exercice favori.

« Il est à la fois dingue et génial »

Quand Dominique de Villepin entre ce mercredi 7 février après-midi dans une brasserie parisienne du 7ᵉ arrondissement, il débarque directement de la cérémonie d’hommage aux victimes françaises du Hamas, à l’hôtel des Invalides. Il essaie de plier son mètre quatre-vingt-dix sous la table de bistrot et commande un verre d’eau. Il a trouvé la cérémonie « très belle ». Et le discours d’Emmanuel Macron « fort ». « C’était important de rappeler l’indispensable lutte contre l’antisémitisme », commente-t-il.

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A ce moment-là, il ne sait pas que la centaine de badauds parqués derrière les barrières disposées autour de l’hôtel des Invalides l’a abondamment sifflé quand sa silhouette est apparue sur les écrans de retransmission. Des « Dehors Villepin ! » ou « Vendu au Qatar ! » ont même retenti. Il n’en a rien perçu, mais parle comme s’il avait tout entendu. « Dans le système médiatique actuel, la polarisation des prises de position fait que l’on est dans le procès d’intention immédiat. Il y a un vrai risque de ne plus être capable de prononcer certains mots. On n’est pas nombreux dans le paysage politico-médiatique à pouvoir encore le faire. »

Il est convaincu que l’équilibre mondial ne tient plus qu’à un fil : « On risque de laisser les choses entre les mains du hasard… » En l’occurrence, le résultat de l’élection présidentielle américaine en novembre. Il pense que le temps est compté, autant sur le front ukrainien qu’en Israël, et se sent l’obligation de monter au front. « Je suis parfois emporté par ma passion quand je vois la répétition des mêmes erreurs », reconnaît-il.

Pour le député LR du Lot, Aurélien Pradié, voilà ce qui explique la vibe actuelle pour l’ex-premier ministre : « Il est à la fois dingue et génial. Il dégage une forme de panache qui fait tellement défaut à la politique d’aujourd’hui. » Malgré leurs trente-trois années d’écart, les deux hommes ont pris l’habitude de déjeuner ensemble deux à trois fois par an, depuis qu’ils se sont rencontrés, en 2017. Ils partagent un même constat : la grande médiocrité du personnel politique en général, et de la Macronie en particulier.

Mais d’où sort-il tout cet argent ?

La silhouette aristocratique de Dominique de Villepin a pourtant toujours été précédée d’un halo ­sulfureux. Il a échappé à beaucoup d’affaires, fréquenté plusieurs intermédiaires au pedigree peu recommandable : mis en examen dans la rocambolesque affaire Clearstream (et relaxé en 2011) ; accusé en 2011 par l’avocat Robert Bourgi d’avoir reçu, avec Jacques Chirac, des mallettes de liquide en provenance de dictateurs africains ; placé en garde à vue dans une affaire de surfactu­ration au sein de l’entreprise Relais & Châteaux, dont le patron, Régis Bulot, a longtemps été un intime.

Dominique de Villepin n’a pourtant jamais été condamné par la justice. La preuve de sa probité, disent ses amis. La démonstration de son habileté, répondent ses ennemis. « Dominique est persuadé que le cul et l’argent gouvernent le monde, alors il fait tout pour se protéger, confie un ami de quarante ans. Je n’ai jamais rencontré de personnalité aussi compartimentée… Avec lui, on parle de tout mais jamais de ses affaires et encore moins de son argent. »

Dominique de Villepin avec son ex-épouse, Marie-Laure, lors de l’inauguration du Musée d’art islamique de Doha, au Qatar, en 2008. Dominique de Villepin avec son ex-épouse, Marie-Laure, lors de l’inauguration du Musée d’art islamique de Doha, au Qatar, en 2008. BERNARD WIS/PARIS MATCH/SCOOP

Ses proches qui ont eu le privilège d’être invités dans son splendide appartement en sont tous ressortis avec des étoiles dans les yeux et une question en tête : mais d’où sort-il tout cet argent ? L’endroit est une véritable caverne d’Ali Baba où sont exposés des sculptures et des masques africains, quelques toiles de maîtres et de grands noms de l’art contemporain, comme le Chinois Zao Wou-Ki, dont il a été un ami proche, ou l’Allemand Anselm Kiefer. Déjà, en 2013, la mise aux enchères d’une partie de sa collection de livres anciens, qui lui a permis d’empocher un chèque de 2,9 millions d’euros, avait beaucoup surpris.

Les rumeurs perdurent

Faut-il aller chercher l’origine de cette fortune du côté du Moyen-Orient, et du Qatar en particulier, qui a longtemps eu pour habitude de gratifier les politiques français de cadeaux et missions honorifiques diverses ? Lors de son passage au ministère des affaires étrangères, de 2002 à 2004, Dominique de Villepin a noué une relation privilégiée avec le cheikh Hamad Al Thani, qui dirigeait alors le pays.

Bertrand Besancenot, ancien ambassadeur au Qatar et en Arabie saoudite, se souvient : « Le cheikh Hamad et sa femme Moza avaient un gros faible pour Villepin. Il a été invité à de nombreux événements familiaux. Le coup de foudre remonte évidemment au discours de 2003 contre la guerre en Irak. Hamad a vu dans Villepin un anticonformiste, comme lui, une grande gueule qui n’hésite pas à s’affirmer, quelqu’un qui ravive la tradition d’équilibre et d’indépendance de la diplomatie française sur le dossier moyen-oriental, et ça lui a plu. » En 2010, il reçoit, de la part de l’ambassadeur du Qatar en France, Mohamed Al-Kuwari, le prix Doha capitale culturelle arabe accompagné d’un chèque de 10 000 euros.

Dominique de Villepin avec l’émir du Qatar, le cheikh Hamad Al Thani, lors de l’inauguration du Musée arabe d’art moderne de Doha, en décembre 2010. Dominique de Villepin avec l’émir du Qatar, le cheikh Hamad Al Thani, lors de l’inauguration du Musée arabe d’art moderne de Doha, en décembre 2010. ABD RABBO AMMAR/ABACA

Depuis, pour le Tout-Paris médiatico-­politique, il est évident que Domi­nique de Villepin, devenu avocat en 2008, est en relation d’affaires avec Doha. Il aura beau le contester à plusieurs reprises, ces rumeurs perdurent. Elles redoublent depuis ses prises de position sur la crise israélienne. « C’est pour décrédibiliser mes propos », argue-t-il. A chaque fois, il soutient la même chose : il n’a jamais touché 1 euro du Qatar. « Les Qataris sont des gens très pragmatiques, ils nouent des relations avec les gens qui sont au pouvoir. Aujourd’hui, Villepin n’est pas quelqu’un qui compte à leurs yeux », affirme un porte-parole de l’émir Tamim Al Thani, qui a succédé à son père en 2013.

Une vie en classe affaires

Quand on lui rapporte ces dénégations, un ancien spécialiste français des renseignements intérieurs sourit et rappelle que Dominique de Villepin a déjà nié, il y a une dizaine d’années, travailler pour la richissime famille saoudienne Bugshan, avant que les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales ne découvrent qu’il avait bien effectué quelques prestations de conseil pour la modique somme de 4,2 millions d’euros entre 2008 et 2010.

Un intermédiaire français de très haut niveau confirme une règle d’or du métier : « Quand vous faites du business avec plein de zéros, vous la fermez… La discrétion fait partie de votre prestation. » Il ignore si Dominique de Villepin est effectivement en affaires avec le Qatar, mais il est convaincu que l’ex-premier ministre est ce qui se fait de mieux sur le petit marché des ex-politiques français reconvertis dans le business de l’influence. Celui des conférences grassement rémunérées, des jetons de présence au sein de conseils d’administration, des missions d’intermédiaire auprès de chefs d’Etat ou de grands patrons de multinationales.

Dominique de Villepin sur Franceinfo, le 7 novembre 2023. Dominique de Villepin sur Franceinfo, le 7 novembre 2023. FRANCEINFO

« Villepin joue dans une division supérieure à celle d’un Jacques Attali, d’un Jean-Pierre Raffarin ou même d’un Nicolas Sarkozy. Il a un vrai talent pour les affaires, il est du niveau d’un DSK… », souligne notre intermédiaire. Domi­nique de Villepin était, par exemple, invité en octobre au Maroc, à Marrakech, auprès de chefs d’Etat africains, à une réunion du FMI, puis il s’est rendu le 13 décembre à une conférence de la Banque nationale d’Ethiopie.

Une vie en classe affaires. Il collectionne mandats et missions en tout genre. Il est ainsi, depuis 2020, au conseil d’administration d’une société d’investissement américaine, Sandbridge Capital. Il a aidé à la création, en 2021, d’un fonds hongkongais, Cedarlake Acquisition Corp. Il a été membre du conseil d’administration du petit fonds souverain arménien ANIF jusqu’en janvier, avant que le gouvernement arménien change la gouvernance. « Mais c’était il y a longtemps, tout ça », réagit-il. On insiste. « Ah bon, il faut que je vérifie, alors… » Il finit juste par affirmer avoir toujours refusé de « conseiller le moindre chef d’Etat étranger ».

« Je n’ai pas un seul compte à l’étranger »

Ainsi va Dominique de Villepin, solitaire et secret. Il n’est d’ailleurs pas totalement hostile à « ces légendes noires », comme il dit, qui circulent sur son compte. « Cela entretient les récits », note-t-il avec gourmandise. Pour se protéger, il a organisé ses affaires afin de ne pas avoir à rendre de comptes. Sa société Villepin International, aujourd’hui domiciliée à son adresse personnelle, avenue Foch, dans le 16arrondissement de Paris, ne publie plus ses comptes depuis longtemps, comme l’exige pourtant la loi.

Dominique de Villepin préfère payer chaque année la petite amende de 3 000 euros plutôt que de voir étalé dans la presse l’état de sa fortune. Rien que l’année de sa création, en 2008, Villepin International affichait 4,6 millions d’euros de chiffre d’affaires pour un bénéfice de 2,6 millions d’euros. En 2015, sept ans après avoir prêté serment, il décide de rendre sa robe d’avocat. « Cela l’obligeait à trop de transparence », explique un proche. « C’était pour être en adéquation avec mon métier de conseil », justifie-t-il.

Dominique de Villepin, avec son fils, Arthur, et le plasticien Anselm Kiefer, en 2007, au Grand Palais, à Paris. Dominique de Villepin, avec son fils, Arthur, et le plasticien Anselm Kiefer, en 2007, au Grand Palais, à Paris. BERTRAND RINDOFF PETROFF/GETTY IMAGES

En outre, pour rendre les choses encore plus opaques, une autre structure, Villepin Inter­national Limited, est domiciliée à Hongkong, petit paradis fiscal. Lui soutient qu’il n’a rien à voir avec cette coquille, qu’elle appartient à son fils Arthur, avec lequel il a créé, en 2020, une galerie d’art moderne sur Hollywood Road dans la mégapole qui expose notamment les peintures de sa fille Marie. « Je n’ai pas un seul compte à l’étranger », insiste-t-il. Quant à son activité de marchand d’art, il en conteste même l’intitulé : « Je n’ai aucune participation financière dans cette galerie. Je ne fais que donner des coups de main à mon fils en l’aidant à monter des expositions, à écrire des textes. »

Il voit beaucoup de monde

Soumettre à la question Dominique de Villepin peut provoquer d’étranges réponses. « Vous ne trouverez pas une personne à Paris qui ait des choses intéressantes à dire sur moi », lance-t-il, comme un défi. « Et puis je ne déjeune avec personne régulièrement… » On objecte, alors il se reprend : « Oui, bon, d’accord, deux ou trois fois par an. De toutes les manières, je ne dis rien à personne. Parler de moi, ça ne m’intéresse pas… Je suis allergique à la culture de cour, je déteste le conflit d’intérêts et le trafic d’influence. »

Même s’il n’appartient à aucun club, Dominique de Villepin voit beaucoup de monde. Il jure que ce n’est jamais à son initiative. Récemment, il a pris un café avec Sébastien Lecornu, le ministre des armées, mais aussi avec le nouveau premier ministre, Gabriel Attal, et le chef de la diplomatie, Stéphane Séjourné. Avant que Clément Beaune ne se fasse débarquer du gouvernement, il a déjeuné avec l’ex-ministre des transports pour passer en revue la situation internationale, parler ­d’Europe, peu de politique intérieure.

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Il a vu quatre ou cinq fois Emmanuel Macron au cours de son premier mandat. Depuis, plus rien. Certains proches rapportent qu’il en retire une certaine amertume. Il assure que non. « Macron n’aime pas s’entourer d’avis divergents, estime-t-il. Il fait confiance uniquement à son jugement. Il pense qu’il peut régler les problèmes du monde lors de ses tête-à-tête avec les chefs d’Etat. Mais le monde actuel ne fonctionne pas ainsi. Aujourd’hui, pour faire avancer une idée, le chemin le plus court n’est pas le plus direct. Il faut accepter de faire des détours, d’embarquer des alliés… »

« J’ai le goût des percées »

Un jour de 2023, au cours d’un de leurs déjeuners réguliers au Marco Polo, le restaurant italien de la rue Saint-Sulpice, dans le 6arrondissement, où Dominique de Villepin a ses habitudes, son ami Gérard Araud, ex-ambassadeur à Washington, vient l’entreprendre sur la présidentielle 2027, convaincu qu’il a une carte à jouer. Villepin écoute son interlocuteur tenter de le convaincre d’y réfléchir sérieusement. « Tu n’es pas le premier à me dire ça, mais je ne vois pas le chemin, et puis j’aime ma vie actuelle », finit-il par répondre. Tous ceux qui l’ont vu récemment assurent pourtant que la bête politique n’est pas morte.

 

L’ex-premier ministre Jean-Pierre Raffarin est formel : « Villepin n’est pas un homme politique traditionnel. C’est un artiste de la vie politique. Par définition, ce n’est pas quelqu’un de prévisible. En fonction des circonstances, il peut jaillir d’un coup. » Lui ne dit pas autre chose : « J’ai le goût des percées. C’est ma façon d’être. » Tout en affirmant ne plus être un homme politique, il dit dans la même phrase : « Je serais ravi de pouvoir servir la France, de réfléchir à une campagne européenne qui, si on ne fait rien, va au désastre, d’apporter ma contribution dans le combat contre le RN pour que mon pays puisse sortir de ses luttes identitaires. »

Il jure qu’il n’est pas derrière le compte Instagram « Dominique de Villepin président » (vingt et un mille abonnés à ce jour), dont il assure ignorer l’existence. Même chose pour l’appel lancé par Azdine Ouis. D’ailleurs, deux mois après avoir envoyé sa lettre, ce dernier n’a toujours pas reçu de réponse. Au dernier comptage, sa pétition a recueilli trois cent trente-quatre signatures.