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A Paris, quand des immeubles entiers sont convertis en apparthôtels de luxe

Les résidences hôtelières sont en plein essor dans la capitale et se développent dans des immeubles d’habitation, d’ex-hôtels ou de bureaux. Ces concepts très rentables, positionnés sur le haut de gamme, profitent de la force de frappe d’Airbnb.

Par Jessica Gourdon

 

Une terrasse de l’appart-hôtel My Maison in Paris, rue de Grenelle, dans le 7ᵉ arrondissement de Paris.

 Une terrasse de l’appart-hôtel My Maison in Paris, rue de Grenelle, dans le 7ᵉ arrondissement de Paris. YOHANN FONTAINE

 

C’est un bâtiment élégant de cinq étages, habillé d’un balcon filant et de persiennes en bois blanc. Il est situé sur la très chic avenue de Lowendal, à deux pas des Invalides, dans le 7e arrondissement de Paris. De l’extérieur, tout porte à croire qu’il s’agit d’un immeuble d’habitation – ce qui était d’ailleurs le cas jusque très récemment. Pourtant, depuis un mois, il abrite une forme discrète d’hôtel, nommé La Sève. Pas de réception, pas d’enseigne très visible à l’extérieur : on trouve à tous les étages de luxueux appartements hôteliers, décorés avec goût et supervisés par une « maîtresse de maison ». On peut réserver chacun d’entre eux, avec leurs trois ou quatre chambres, pour environ 1 500 euros la nuit, sur Booking ou Airbnb. Ou bien juste louer une chambre avec sa salle de bains (environ 300 euros), et partager salon et cuisine avec un autre voyageur. Du personnel assure le ménage, sert le petit déjeuner, et la maîtresse de maison peut convoquer un chef cuisinier sur demande.

 

L’immeuble a été racheté en 2020 par Guillaume Lange, un financier parisien à la tête d’un family office, dans lequel il gère la fortune de 200 clients. Cet ancien associé chez Accenture, au carnet d’adresses bien fourni, aurait pu l’exploiter en immobilier classique. Il a préféré se lancer sur ce marché des appartements hôteliers, plus risqué mais plus rentable, en plein essor dans la capitale. Outre celui de l’avenue Lowendal, il vient de racheter, avec des investisseurs, trois autres immeubles dans le 8e, le 12e et le 13e arrondissement, pour y développer le même concept, sous la marque commune 1.75. Les quatre opérations dépassent les 50 millions d’euros. D’autres rachats sont dans les tuyaux.

 

Guillaume Lange n’est pas le seul à s’engouffrer dans ce créneau des apparthôtels, occupé jusqu’ici par les résidences Citadines, Adagio ou Appart’City, dans des versions très standardisées et bien moins chères. Ces nouveaux acteurs du monde de l’hôtellerie, qui se sont multipliés en l’espace de cinq ans – Edgar Suites, 1.75, Madeho, Groupe WS, My Maison in Paris, Black Door, Sweet Inn, HighStay… –, veulent renouveler le genre, avec une offre plus luxueuse, de la décoration branchée, des services variés. Tous surfent sur une nouvelle demande, chez les voyageurs, pour des logements avec cuisine et salon. « Ce sont des concepts bien adaptés aux familles, mais aussi aux voyageurs business, aux groupes d’amis. Dans nos vies, les frontières sont moins rigides, on peut travailler et être en vacances au même endroit, ces produits hybrides y répondent bien », analyse Vanguelis Panayotis, consultant spécialisé dans l’hôtellerie chez MKG.

 

Contrairement au modèle historique des apparthôtels, vendus à la découpe à des particuliers à coups de niches fiscales, ces nouveaux acteurs achètent en bloc – ou, pour certains cas, louent et aménagent – des bâtiments entiers. Il peut s’agir d’anciens bureaux, hôtels ou immeubles d’habitation, même si, pour ce dernier cas, ces opérations sont compliquées : le propriétaire doit compenser les mètres carrés perdus en achetant des « droits de commercialité », qui servent à créer du logement dans le même quartier.

Des coûts bien moindres

En gérant des immeubles entiers, et en y ajoutant des services et une couche de professionnalisation, ces acteurs « industrialisent », en quelque sorte, le système Airbnb. « Sur Airbnb, on n’est jamais à l’abri de débarquer dans un endroit où la litière du chat n’a pas été changée et où la brosse à dents traîne sur le lavabo », remarque Olivia Zarka, cofondatrice de My Maison in Paris, une société qui a ouvert une centaine d’apparthôtels dans cinq immeubles à Paris – notamment un hôtel particulier de 2 000 mètres carrés rue de Grenelle. Le bâtiment abritait autrefois des bureaux de l’Institut national de la recherche agronomique. Il est aujourd’hui divisé en trente-cinq logements loués entre 300 et 800 euros la nuit.

 

Les plates-formes comme Booking et Airbnb leur permettent de se faire connaître, et d’évoluer dans un écosystème où l’on trouve de tout. Car si Airbnb est né chez des particuliers qui louent leur appartement pendant leurs vacances, le modèle s’est ensuite développé de manière souterraine dans la capitale, dans des logements qui ne sont pas des résidences principales (malgré l’interdiction) et, ces dernières années, dans d’ex-locaux commerciaux disséminés dans tout Paris. Selon Wise Dôme, cabinet de conseil en immobilier hôtelier, 150 000 mètres carrés de meublés touristiques « diffus » ont ainsi été créés entre 2015 et 2022 dans la capitale, dans d’anciens bureaux, boutiques, ateliers. « C’est énorme, c’est l’équivalent de cinquante immeubles ! Parmi ces meublés, beaucoup fonctionnent de manière illégale, affirme Jean-Philippe Duchêne, de Wise Dôme. C’est un univers très hétérogène, avec des tas de petits investisseurs qui respectent plus ou moins les règles. »

 

Evoluant à la lisière de ce monde, ces nouveaux acteurs du monde des apparthôtels ont en tout cas trouvé leur créneau : les carnets de réservations sont pleins, les prix élevés. « On a un taux d’occupation de 90 % », se réjouit Emmanuel Goudot, directeur du développement du groupe hôtelier Madeho, qui gère un immeuble d’apparthôtels dans le 5earrondissement, et en ouvrira un autre prochainement à Pantin (Seine-Saint-Denis).

Vue depuis l’un des appartements de My Maison in Paris, rue de Grenelle, dans le 7ᵉ arrondissement de Paris.

 Vue depuis l’un des appartements de My Maison in Paris, rue de Grenelle, dans le 7ᵉ arrondissement de Paris. YOHANN FONTAINE

 

Surtout, le modèle tourne avec des coûts bien moindres que dans l’hôtellerie. « Par rapport à un hôtel classique, on a des besoins en personnel divisés par trois. On peut être rentable avec moins de mètres carrés », explique Xavier O’Quin, cofondateur d’Edgar Suites, l’une des entreprises les plus en vue de ce petit monde des apparthôtels, avec plus de 600 unités réparties dans une vingtaine d’immeubles. Pas d’espaces communs, pas de salle de petit déjeuner, un accueil réduit, des procédures qui profitent à fond de la digitalisation, un ménage seulement à la demande…

Ce jour-là, Xavier O’Quin nous fait visiter un hôtel particulier du XVIIe siècle, près des Halles, qui appartenait jusqu’en 2020 au barreau de Paris, et qu’il a découpé, en 2022, en onze appartements mansardés. Certains offrent une belle vue sur l’église Saint-Eustache. « Vous voyez, il y a des plantes, des livres dans la bibliothèque, du mobilier vintage. L’idée, c’est de se sentir dans un vrai appartement parisien », explique ce diplômé d’un master of business administration à HEC. En 2021, sa société a levé 100 millions d’euros auprès de BC Partners, ce qui lui a permis de racheter plusieurs immeubles. Parmi eux, un bureau de 2 500 mètres carrés dans le 15e arrondissement – l’ex-siège de la marque de vêtements Caroll –, qui ouvrira bientôt avec une cinquantaine d’appartements hôteliers. D’autres projets sont en cours à Levallois-Perret, Clichy, Châtillon (Hauts-de-Seine)…

Préservation des logements

Les investisseurs se montrent de plus en plus friands de ces projets. « Globalement, tout ce qui est immobilier avec des services associés offre une meilleure rentabilité que l’immobilier simple », résume Simon Fuks, directeur de Black Door, société d’hôtellerie qui appartient au milliardaire américain Nicolas Berggruen. Depuis 2022, il a racheté plusieurs immeubles haussmanniens, pour les convertir en apparthôtels « cinq étoiles » – comptez 700 euros la nuit pour un studio, 1 200 euros pour un « deux-chambres ». Sa cible : des touristes américains, des clients des palaces qui veulent une « ambiance appartement ». « Nous avons aussi des Parisiens, par exemple des personnes qui font des travaux chez eux. »Deux adresses ont déjà ouvert, rue Marbeuf et rue Saint-Dominique. La prochaine, avenue Frédéric-Le-Play doit ouvrir en fin d’année – il s’agit de l’immeuble où résidait, à la fin de sa vie, l’ancien président de la République François Mitterrand.

 

« Si ces apparthôtels permettent à des gens d’éviter d’acheter une résidence secondaire à Paris qu’ils occuperont à peine, pourquoi pas… Le problème, à Paris, ce sont les Airbnb illégaux, et ce sont surtout ces 270 000 logements vacants ou quasi vacants, alors que le parc privé de résidences principales baisse, et que les Parisiens ont de plus en plus de mal à se loger », remarque Jacques Baudrier, adjoint au logement à la ville de Paris.

Mais, d’une certaine manière, ces nouveaux apparthôtels sont autant de mètres carrés qui ne deviennent pas des logements pour des Parisiens – alors que les 88 000 chambres d’hôtel ne font pas le plein dans la capitale (taux d’occupation moyen de 75 %). Et que, selon l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR), l’hébergement hôtelier est la destination qui a connu la plus forte croissance, en proportion des surfaces existantes, ces derniers temps (+ 17 % entre 2006 et 2020). Cette croissance « concerne quasiment tous les arrondissements et s’ajoute à l’offre de location de meublés touristiques, qui a elle-même connu une très forte croissance sur la même période », écrit l’APUR, dans une étude de juin 2023.

La préservation des logements est donc, pour la mairie, une priorité. « Ce qui nous étonne aussi, c’est que les acteurs de l’immobilier nous disent sans arrêt que la conversion de bureaux en logements est impossible. Mais pour en faire des apparthôtels, curieusement, cela marche ! Alors, c’est peut-être une première étape, car au moins, ce sont des produits réversibles, qui pourront devenir du logement un jour », indique-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Grégoire, premier adjoint à l’urbanisme. Les règles du nouveau plan local d’urbanisme, adopté en juin 2023, rendront beaucoup plus contraignants tous ces types de conversions.