Conférence de presse d’Emmanuel Macron : un discours suranné et sûr de lui
«Réarmements civique et démographique», «bon sens»… Au-delà de quelques formules distillées ici et là, le président de la République a décliné une vision surannée voire conservatrice, notamment sur l’école et l’assurance chômage, mardi à l’Elysée.
Conférence de presse d'Emmanuel Macron mardi soir. (Albert Facelly/Libération) par
Jean-Baptiste Daoulas et Laure Equy publié le 16 janvier 2024 à 21h45
C’est un Emmanuel Macron vêtu de son costume de libéral conservateur qui entre dans la salle des fêtes de l’Elysée, mardi soir, devant un parterre de plus de 200 journalistes et le gouvernement Attal quasiment au complet. «L’ordre va avec le progrès, l’autorité avec l’émancipation», godille le chef de l’Etat, dans le propos liminaire de sa conférence de presse, multidiffusée en prime time, comme aux grandes heures «gaullo-mitterrandiennes», s’amusait un conseiller de l’Elysée. S’il inaugure un nouveau triptyque, «audace, action, efficacité», répété à plusieurs reprises, le chef de l’Etat reprend aussi un vocabulaire doux aux oreilles des électeurs de droite, piquant aux LR Eric Ciotti et Laurent Wauquiez, voire à Eric Zemmour (Reconquête), leur slogan de campagne : «Pour que la France reste la France.» Et même, renchérit-il, assis à son bureau barré d’un liseré tricolore, «une nation du bon sens». «J’ai tenu à vous retrouver en ce moment décisif, commence-t-il, pour vous dire d’où nous venons et où nous allons», soit une forme de retour vers le futur. Trois ministres de l’Education C’est à l’école qu’il applique d’abord cette recette teintée de nostalgie. Le fameux «réarmement civique» qu’il sert à toutes les sauces depuis ses vœux du 31 décembre voit ses contours précisés. «Chaque génération de France doit apprendre ce que la République veut dire, et ce dès l’enfance», affirme le Président qui veut renforcer l’instruction civique. Déjà prévue, l’expérimentation sur une «tenue unique» à l’école dans une centaine d’établissements doit, après évaluation et «si les résultats sont concluants», aboutir à une généralisation de cet uniforme dès 2026. Des cérémonies de remise de diplômes, «rite républicain d’unité, de fierté et de reconnaissance», seront organisées et le service national universel sera généralisé en seconde, souhaite Emmanuel Macron, également favorable à l’apprentissage de la Marseillaise en classe. «Quand la République perd ses rites, d’autres rites sont inventés. Je ne crois pas du tout que le symbolique soit vieux jeu», se justifie le chef de l’Etat qui se targue, en même temps, d’avoir nommé jeudi dernier le gouvernement «le plus jeune de l’histoire de la Ve République». «Nous déterminerons le bon usage des écrans», ajoute le Président, qui évoque «des interdictions et des restrictions» possibles. C’est une école à la Marcel Pagnol qu’esquisse Macron – «une école sortie du film les Choristes, renvoyant à un passé qui n’a jamais existé», ironisait l’insoumis Alexis Corbière, définissant l’«attalisme», du nom du Premier ministre, qui vient de quitter la Rue de Grenelle. Dans la salle, on compte trois ministres de l’Education : le Président, qui en a fait son «domaine réservé élargi», comme le théorise son entourage, Gabriel Attal, qui a emmené «la cause de l’école» à Matignon, et Amélie Oudéa-Castéra, fraîchement nommée et déjà lestée d’une polémique sur ses enfants scolarisés dans le cossu et réac établissement Stanislas, et qui s’empêtre dans une communication désastreuse. Se présentant comme «un enfant des deux écoles», publique et privée, Macron prend implicitement sa défense, invitant à «ne pas juger le choix des gens». «J’ai plutôt de l’indulgence, il m’est arrivé au tout début de mes fonctions d’avoir des propos qui avaient blessé», rappelle celui qui a froissé pêle-mêle les employées de Gad qu’à l’époque à Bercy il avait jugées pour beaucoup «illettrées», «ceux qui ne sont rien», les «Gaulois réfractaires», ou encore les chômeurs qui n’ont qu’à «traverser la rue» pour trouver un emploi. «Réarmement démographique», décline aussi Macron, sous les yeux de ses ministres qui prennent scrupuleusement des notes, alors que la natalité marque le pas dans le pays avec moins de 700 000 bébés nés en 2023. «Notre France sera plus forte par la relance de la natalité», estime-t-il, annonçant un plan de lutte contre l’infertilité et la création d’un nouveau «congé de naissance» – pour le coup, a priori plutôt progressiste – mieux rémunéré, mieux équilibré entre père et mère et plus court (limité à six mois) que l’actuel congé parental. Passé fantasmé La vision surannée, pour ne pas dire conservatrice, de l’école cohabite avec une très classique rigueur budgétaire, mâtinée d’une nouvelle dose de libéralisme sur la politique sociale du pays. Sans rappeler les 12 milliards d’euros d’économies budgétaires à trouver pour 2025, Emmanuel Macron promet une «réforme de l’Etat pour dégager de l’efficacité dans nos finances publiques». Il se dit en faveur d’un passage de 50 centimes à 1 euro de la franchise sur les boîtes de médicaments. «Ça responsabilise», assène-t-il. Sur l’assurance chômage, le Président se prononce une fois de plus pour des «critères plus sévères quand des offres d’emploi sont refusées, et un meilleur accompagnement de nos chômeurs». L’objectif du plein-emploi, menacé par le reflux récent du taux de chômage, passera donc par un tour de vis pour les chômeurs. Un classique du néolibéralisme. Sans la labelliser sous le titre de «loi Macron II», sur le modèle de la réforme de libéralisation de l’économie menée en 2015, Emmanuel Macron évoque aussi un «acte II d’une loi pour la croissance». «Je demande au gouvernement de supprimer des normes, réduire les délais, faciliter les embauches», a-t-il déclaré sans entrer dans les détails. Encore une fois, Emmanuel Macron tente de tout résumer dans une formule qui évoque un passé fantasmé : «C’est au fond la France du bon sens au lieu de la France des tracas.» Infaillible ? C’est à peine s’il concède du bout des lèvres son échec en matière de mobilité sociale. «Nous avons amélioré des choses, mais nous ne les avons pas radicalement changées», a reconnu celui qui s’était fait élire il y a six ans et demi sur la promesse de lutter contre les «assignations à résidence». «Je veux qu’on mette fin à cette France du “ceci n’est pas pour moi” ou “ceci n’est pas pour moi”», a-t-il claironné. Comment ? Systématisation des dispositifs «devoirs faits», travail sur le temps scolaire et les vacances… Du classique, encore. Embryon de mea culpa aussi sur l’affaire Gérard Depardieu, mis en examen pour viol, qui avait reçu un soutien fracassant du Président sur France 5 en décembre. S’il persiste à défendre «la présomption d’innocence» de l’artiste, il tente de corriger le tir après le tollé suscité par ses propos sur un acteur qui «rend fière» la France. «Si j’ai un regret, c’est de ne pas avoir dit à quel point la parole des femmes est importante», précise-t-il, sans s’excuser d’avoir remis en question le sérieux de l’enquête de France 2 sur l’acteur. De plus en plus relâché face aux journalistes, qui n’ont pas la possibilité de le relancer ou de le couper dans ses très longues réponses, Emmanuel Macron n’est pas avare en slogans censés démontrer une détermination sans faille, intacte malgré six ans et demi d’exercice du pouvoir. Comme s’il n’était pas encalminé par une majorité relative à l’Assemblée nationale depuis juin 2022, ou usé par six ans et demi de mandat, le chef de l’Etat ne veut pas «céder à l’esprit de résignation». Discours de coach ou méthode Coué, le show est censé inspirer les Français pour les prochains mois. Mais le mystérieux et un rien mystique «rendez-vous avec la nation» que ces deux heures et quart d’échanges devaient éclairer, demeure toujours aussi nébuleux. Pour aller plus loin : Emmanuel Macron Gabriel Attal Le gouvernement Attal Dans la même rubrique Réactions «Ringard», «réactionnaire», «beau parleur»… Pluie de critiques après la conférence de presse d’Emmanuel Macron 16 janv. 2024 L'essentiel Uniforme, natalité, franchises médicales, Oudéa-Castéra et Depardieu… Ce qu’il faut retenir de la conférence de presse d’Emmanuel Macron 16 janv. 2024 Flou Accès aux écrans pour les enfants : Emmanuel Macron promet des mesures, sans aucune précision 16 janv. 2024 Education Polémique sur l’école : Amélie Oudéa-Castéra «a eu raison de s’excuser» après son «propos maladroit», juge Macron 16 janv. 2024 À la une Analyse Conférence de presse d’Emmanuel Macron : un discours suranné et sûr de lui 16 janv. 2024abonnés L'essentiel Uniforme, natalité, franchises médicales, Oudéa-Castéra et Depardieu… Ce qu’il faut retenir de la conférence de presse d’Emmanuel Macron 16 janv. 2024 Réactions «Ringard», «réactionnaire», «beau parleur»… Pluie de critiques après la conférence de presse d’Emmanuel Macron 16 janv. 2024 Flou Accès aux écrans pour les enfants : Emmanuel Macron promet des mesures, sans aucune précision 16 janv. 2024 Les plus lus CheckNews La polémique Oudéa-Castéra pose la question des liens de parenté de la ministre avec la médiatique famille Duhamel-Saint-Cricq Abonnés Le billet de Thomas Legrand La macronie plonge à la verticale Abonnés Au microscope Enseignement privé : à Stanislas, l’argent public coule à flots Abonnés Reportage «On ne peut plus lui faire confiance après son mensonge» : à l’école publique Littré, une visite d’Amélie Oudéa-Castéra sous les huées Abonnés Suivez-nous : Dans l'actu Conflit Hamas-Israël Guerre en Ukraine Coupe du monde de rugby Budget 2024 Réchauffement climatique La menace de l'extrême droite Lutte contre les violences sexistes Inflation Crise de l'énergie Intelligence artificielle Autoroute A69 Services S'abonner Annonces légales Donnez-nous votre avis Foire aux questions Proposer une tribune Evénements Libé Publicité Conjugaison Cours d'anglais Petites annonces Conditions générales Mentions légales Charte éthique Pacte d'indépendance éditoriale CGVU Protection des données personnelles Gestion des cookies Licence Où lire Libé? 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