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A l’Elysée, la revanche de Bruno Roger-Petit, récit d’une discrète lutte d’influence autour d’Emmanuel Macron

Avec le conseiller mémoire du chef de l’Etat, la géopolitique du palais s’est redessinée autour de l’« aile Madame », où Brigitte Macron a pris ses quartiers en 2017. Un clan qui s’affirme face à l’indéboulonnable secrétaire général, Alexis Kohler.

Par Claire Gatinois et Solenn de Royer

 

Bruno Roger-Petit au palais de l’Elysée, à Paris, le 7 juillet 2020.

Bruno Roger-Petit au palais de l’Elysée, à Paris, le 7 juillet 2020. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

 

La salle des fêtes du palais de l’Elysée s’est vidée. Ce mardi 16 janvier, Emmanuel Macron rejoint le salon des portraits, pour un dernier verre avec ses ministres et ses conseillers. Le président de la République vient de donner une conférence de presse, point d’orgue d’un grand « chamboule-tout » rythmé par la nomination, le 9 janvier, de Gabriel Attal, 34 ans, à Matignon, censée symboliser une « audace » retrouvée, et par le retour de figures de la droite sarkozyste dans un gouvernement amputé de son aile gauche. Il est urgent de redonner un cap à un mandat jugé ensablé.

« Ça allait, non ? », s’enquiert-il. Son conseiller mémoire, Bruno Roger-Petit, jubile. Ce « rendez-vous avec la nation »est un peu son sacre. Emmanuel Macron, qui a évoqué devant les journalistes son passage à « la laïque », vient d’annoncer la généralisation de l’uniforme, le retour d’une instruction civique à l’école, et le rétablissement d’un ersatz de service militaire avec le service national universel.

 

Autant de breloques vieillottes d’une France vintage, aux couleurs d’un « Polaroid Kodak des années 1960 » dont les Français seraient « nostalgiques », se persuade celui que tout le monde, au palais, appelle « BRP ». Voilà des mois que l’ancien journaliste politique et sportif de 61 ans plaide pour que soit entendue la demande de « conservation » et de « régénération » qui émanerait du peuple français, étreint par un profond sentiment de « dépossession ». La France, théorise-t-il, veut « reprendre le contrôle » de son destin.

« Il a gagné en épaisseur »

La nuit s’étire quand la première dame, Brigitte Macron, se faufile dans le salon des portraits. Elle salue Rachida Dati, nouvelle ministre de la culture, et le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, qu’elle défend à chaque remaniement. Elle aussi rayonne, ravie de la nouvelle équipe entourant son mari.

 

C’est le triomphe de « l’aile Madame », l’aile est du palais, dévolue aux premières dames, où Brigitte Macron a pris ses quartiers en 2017 avec deux conseillers, Pierre-Olivier Costa (dit « Poc »), parti en 2022, et Tristan Bromet, ainsi qu’un passager embarqué, Bruno Roger-Petit. L’ex-éditorialiste de l’hebdomadaire Challenges, qui présentait les journaux de la nuit d’Antenne 2 il y a trente ans, s’est installé dans l’ancienne sacristie, contiguë à la chapelle aménagée sous Napoléon III qu’Yvonne de Gaulle fréquentait assidûment.

 

Une position stratégique : un escalier à grimper, et le voilà dans le salon d’angle, l’un des deux bureaux du président ; un couloir à traverser, et il est dans le salon des Fougères, où travaille la première dame. Dans son antre, une photo le montre coincé entre « Emmanuel » et « Brigitte », assis entre les creux et les bosses d’un canapé Paulin ; ils rient tous les trois.

Bruno Roger-Petit – qui a toujours le titre de « conseiller mémoire » – est considéré par tous, y compris ses détracteurs, comme le nouvel homme fort de l’Elysée. « Il a gagné en épaisseur », observe l’ancien communicant du président François Hollande (2012-2017), Gaspard Gantzer, qui déjeune régulièrement avec lui, notant ses liens de plus en plus directs avec le chef de l’Etat. Ces derniers mois, « BRP » s’est rapproché de Gabriel Attal, qui apprécie son côté « briseur de tabous » et le consulte à tout-va.

Dès la rentrée 2023, le spin doctor élyséen dépeint le jeune ministre de l’éducation en Michael Corleone, le fils préféré et héritier naturel du « Parrain ». Il estime que l’ex-conseiller de Marisol Touraine, qui a acté une droitisation de la société à laquelle il n’a pas peur de coller, a « tout compris ». D’où sa percée fulgurante dans les études d’opinion.

« Ça fait un an que je dis que les Français vont vouloir congédier la génération des années 1990. On y arrive avec[Jordan] Bardella [le président du Rassemblement national (RN), 28 ans], Attal… J’avais un an d’avance, comme toujours… », soupire « BRP » qui, depuis le remaniement de début d’année, déjeune une fois par semaine avec le communicant du premier ministre, à la demande du président, précise-t-il.

« Un SMS à mon mari »

A quelques mètres du bureau de Bruno Roger-Petit, dans ce salon des Fougères que son mari trouve si « girly », Brigitte Macron constate que le conseiller « tape toujours juste », comme elle le répète au président. Elle aussi apprécie « Gabriel ». « Je le connais depuis le début, il est courageux, audacieux », énumère-t-elle sur TF1, le 10 janvier. Gabriel Attal l’appelle souvent et épouse sans se forcer ses idées… L’uniforme à l’école, pourquoi pas ?, se positionne-t-il début 2023, avant même d’être nommé ministre de l’éducation. La première dame venait de plaider pour une « tenue simple et pas tristoune », ce qui avait irrité le cabinet du ministre d’alors, Pap Ndiaye.

La native d’Amiens apprécie aussi le caractère trempé, terrien, de la nouvelle ministre du travail, Catherine Vautrin, ancienne porte-parole de Nicolas Sarkozy – lors de la primaire de la droite de 2016. Et a habilement préparé le terrain à l’arrivée de Rachida Dati, lui demandant dès juillet 2023, lors d’un déjeuner – révélé le 14 janvier par La Tribune dimanche – si elle avait « envie de quelque chose ». La maire du 7e arrondissement de Paris lui répond qu’elle contactera Alexis Kohler, le cas échéant.

« Plutôt un SMS à mon mari… », lui glisse la première dame, qui sait que le secrétaire général de l’Elysée se méfie de la sarkozyste, réputée incontrôlable. Elle ne veut pas que l’indispensable « Alexis » bloque sa nomination, comme il s’est opposé, en 2022, à celle de Catherine Pégard au poste de conseillère culture à l’Elysée.

Peu importent les propos fleuris que la nouvelle locataire de la rue de Valois lancera à ses collègues – « Tu es une grosse merde », textote la ministre en février à Bruno Le Maire, furieuse des économies exigées par Bercy (un échange que la ministre dément) ; « Je vais transformer ton chien en kebab », lâche-t-elle au premier ministre –, la première dame aime le côté cash et la drôlerie de « Rachida ».

L’aile Madame tient une revanche, au détriment de l’indéboulonnable secrétaire général. Pour la première fois, celui que l’on appelle « AK-47 » (comme le fusil d’assaut) a laissé filtrer son mécontentement devant ce remaniement subi. Il assiste, tout aussi impuissant, à la réunion de préparation de la conférence de presse présidentielle, où est testée cette formule, qui plaît tant à Bruno Roger-Petit, « il faut que la France reste la France », ancien slogan de campagne du patron du parti d’extrême droite Reconquête !, Eric Zemmour. Il s’étrangle encore en écoutant Emmanuel Macron assurer, le 20 décembre 2023 dans « C à Vous », que Gérard Depardieu « rend fière la France », en dépit d’accusations de viols. La France profonde n’aime pas les « chasses à l’homme », défend « BRP », dans le sillage du président.

Au sein de la Macronie historique, l’influence de Brigitte Macron – DRH officieuse de l’Elysée – n’est jamais questionnée. Mais la patte, de plus en plus visible, du conseiller mémoire inquiète. Les plus chagrins font de cet agent traitant de la droite conservatrice, proche de l’animateur vedette de CNews Pascal Praud et du directeur de la rédaction du JDD, Geoffroy Lejeune, le « mauvais génie » du palais.

Inversion du rapport de force

Issu de la gauche, ce féru d’histoire, amateur de films en noir et blanc, a poussé si loin l’art de la triangulation qu’il se voit désormais suspecté d’avoir isolé le président, sabotant les recommandations de ses grognards Richard Ferrand, Philippe Grangeon et François Bayrou… Il serait au cœur du tournant droitier destiné à contrer la progression du RN, au détriment de « l’esprit de 2017 », quand progressisme et multi­culturalisme étaient vantés. Un virage que peinent à masquer les avancées sociétales, comme l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, votée le 4 mars, ou la future loi sur la fin de vie. « Faut-il que les éditos de CNews guident la politique ?  », se lamente, peu avant son départ du gouvernement, Pap Ndiaye.

« BRP » minore son importance : « Je ne suis que la vingt-cinquième roue du carrosse… » Et lève les yeux au ciel devant « le collectif des émotifs anonymes » qui le compare à l’idéologue d’extrême droite Patrick Buisson, ancienne éminence grise du président Nicolas Sarkozy. Le mitterrandien se défend d’être un « facho », et assure que son travail mémoriel et ses dernières panthéonisations visent précisément à défaire celui de Buisson. Faire entrer l’Arménien Missak Manouchian, héros de la résistance et « Français de préférence », dans le temple des « grands hommes », deux ans après Joséphine Baker, a mis Eric Zemmour « aux abois », se délecte-t-il, fin février, dans son bureau encombré.

 

Marginalisé après l’affaire Benalla, qu’il a dû gérer en 2018 comme porte-parole de l’Elysée, « BRP » n’a jamais considéré que la fonction dont il avait hérité était un placard. « La mémoire est la pierre angulaire de ce qui nous constitue en tant que nation, la clé d’accès à l’imaginaire français », sourit-il. En partie responsable, avec la bénédiction du président, de l’inflation mémorielle au cours du mandat, il prépare, triomphant, les grandes cérémonies des 80 ans du Débarquement et de la Libération de 1944-1945, qui s’étendront jusqu’à fin 2025. Les prochains mois se liront au miroir de l’histoire. Plus le pouvoir, déjà handicapé par une majorité relative à l’Assemblée nationale, se dérobe, plus est grande la tentation de trouver refuge dans un passé rassurant, porteur d’unité.

Dans la géopolitique élyséenne, l’inversion du rapport de force entre les deux ailes du palais se lit, aussi, à cette aune-là. A l’ouest de l’hôtel d’Evreux, Alexis Kohler et son aréopage de conseillers techniques, impatients de réformer, courent après le temps utile, alors que s’amorce la guerre de succession. Tandis qu’à l’est, où l’on est persuadé que l’épaisseur d’une présidence se forge aussi dans un jeu de symboles, on a toute latitude pour continuer à mettre en scène la geste présidentielle, masquant l’impuissance à transformer le réel et la fin annoncée du pouvoir.

Une constante sous la Ve République, observe l’historien Camille Pascal, ancien conseiller (2011-2012) de Nicolas Sarkozy, rappelant que « l’aile Madame est toujours plus puissante quand le pouvoir présidentiel s’affaiblit », devenant « une dernière tranchée, un recours ». Ce fut le cas sous les Chirac : effacée au début du septennat, Bernadette lance une « opération reconquête » en 1997, après la dissolution ratée imputée à l’influent secrétaire général, Dominique de Villepin, ce « Néron » qu’elle déteste.

Construisant une nouvelle image, avec les pièces jaunes et un franc-parler, l’épouse de Jacques Chirac prend son indépendance politique et devient populaire à mesure que l’aura de son mari pâlit. En 2007, son poids est devenu tel que Nicolas Sarkozy vient solliciter son soutien pour sa campagne. « BRP », qui aime s’inscrire dans l’histoire, la petite comme la grande, s’est approprié un Bugs Bunny en plastique, trouvé dans la bibliothèque, avec lequel jouait le chien de « Bernadette ».

Repéré dans l’émission de Pascal Praud

Dans le long couloir tapissé de moquette gris perle qui traverse l’aile est, rien n’a changé, en apparence. Nemo le labrador y somnole, étalé de tout son long. Ses poils ont blanchi. La porte du salon des Fougères, toujours ouverte, laisse entrevoir le bureau de madame, donnant sur la roseraie. A l’entrée, une urne en porcelaine sur laquelle est inscrit « Je ne suis pas une potiche » jouxte les photos du couple, main dans la main. A quelques mètres des toilettes où Donald Trump et Angela Merkel sont passés se « laver les mains », des ministres sont aperçus attendant leur audience avec la première dame.

Brigitte Macron, qui fait l’objet d’une cour empressée de tous ceux qui attendent quelque chose de l’Elysée, est un « fil rouge » du quinquennat sur certains dossiers, comme le harcèlement scolaire, vante son cabinet. L’ex-professeure de français veille sur le « domaine réservé » de son mari. Mais l’influenceuse discrète de la politique d’Emmanuel Macron en sait bien plus, à force d’entendre ce dernier commenter ses affaires en épluchant son parapheur, lors de leur rituel du samedi soir.

Dans l’ancien bureau de Bernadette Chirac, qu’il occupe, le directeur de cabinet de Brigitte Macron, Tristan Bromet, a exposé les « cover » people où cette dernière figure en majesté. Et enfermé, dans un dossier, toutes les fake news. Le feuilleter met ce garçon élégant et doux, qui se vit comme le gardien d’une citadelle assiégée, dans un surprenant état d’agacement.

Touchée, elle aussi, par les « vexations » et les « scénarios montés » par des « fadas », selon Emmanuel Macron, la première dame noircit quotidiennement des petits carnets lui permettant de relativiser. Prête à dévoiler, en temps voulu, tous les secrets enfouis dans l’aile Madame. Dans le dossier, qui s’est épaissi avec les années, un article d’octobre 2023 raconte que la première dame et le conseiller mémoire du président regardent ensemble l’émission de CNews « L’Heure des Pros » en faisant leur gym matinale. Les intéressés ont tellement ri qu’ils n’ont pas pris la peine de démentir.

Mais il arrive que Bruno Roger-Petit mette le haut-parleur devant « Brigitte » quand il est au téléphone avec son ami Pascal Praud. L’animateur, qui dit régulièrement du bien de l’épouse du chef de l’Etat, dont il vante le « bon sens » et les réflexes de droite, en profite pour s’excuser de toutes les « vilenies » qu’il distille contre son mari. La première dame est magnanime : pour elle, comme pour « BRP », l’émission phare de la chaîne de Vincent Bolloré est un incomparable thermomètre de l’humeur des Français.

C’est dans cette même émission, alors confidentielle – les audiences ont triplé depuis –, que Brigitte Macron repère Bruno Roger-Petit, en 2016. Praud a recruté comme chroniqueur ce « toutologue » qui a « le goût du passé ». La première dame apprécie son sens politique et son inclination sans filtre pour son mari : « Lui a compris la démarche », glisse-t-elle à « Emmanuel ». ​​Pendant la campagne présidentielle de 2017, entre janvier et mai, l’épouse du candidat retrouve le journaliste et son complice Bertrand Delais, l’actuel patron de La Chaîne parlementaire (LCP), tous les dix jours à la brasserie La Rotonde, à Paris, à l’heure du thé.

Mandatée par son mari, elle teste devant eux des idées, de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune à la nomination de Stéphane Bern à la culture. Brigitte Macron apprécie l’humour féroce de ce journaliste atypique, son irrévérence envers l’intelligentsia. « Les Macron ont un critère : la fidélité. Et aussi : se marrer », observe l’intéressé, que la première dame, à peine installée à l’Elysée, fait naturellement venir près d’elle, dans l’aile orientale. « L’aile Madame, c’est celle de l’inconscient du président, observe un ancien conseiller élyséen, elle renvoie à cet “ethos de droite” qu’il a un jour confessé et à cet imaginaire daté dans lequel sa grand-mère l’a élevé. »

En sept ans, les anciens appartements de Caroline Murat, la plus jeune sœur de Napoléon, auront intégré peu d’éléments étrangers. En 2020, le général Jean-Louis Georgelin, chargé du chantier de reconstruction de la cathédrale Notre-Dame, s’est vu affecter un bureau dans l’ancienne chapelle transformée en salon par Nicolas Sarkozy, qui l’avait tapissé de photos de lui et Carla. La première dame adorait ce personnage truculent, qui l’amusait. La voix puissante de l’ancien chef d’état-major des armées faisait trembler les murs du palais : « Bonjour, gaaaaarde ! », lançait-il en passant devant le garde républicain. Capable d’accueillir certains artisans du chantier de la cathédrale d’un tonitruant : « Tiens, voilà nos anciennes colonies ! », le général cinq étoiles est décédé en montagne, le 18 août 2023, à 74 ans.

Critique de la « start-up nation »

Le vieux militaire avait réussi à se faire accepter. D’autres ont échoué. Nommé fin 2022 directeur de cabinet de la première dame, Jean Spiri a fait ses valises trois mois après les avoir posées dans le bureau d’angle de Bernadette Chirac. Dans cette aile du palais, où la loyauté au couple Macron est portée en étendard, le normalien n’a su faire oublier sa participation à la campagne de Xavier Bertrand, qui rêvait de détrôner l’actuel occupant de l’Elysée, à la primaire du parti Les Républicains de 2021 en vue de l’élection présidentielle de 2022.

Dans la nuit du 14 au 15 mars 2023, le conseiller de Brigitte Macron est pris d’un malaise devant l’ambassade du Royaume-Uni, voisine de l’Elysée. L’information fuite dans Le Monde. L’ex-secrétaire général du groupe Editis quitte l’aile est après des semaines d’arrêt maladie, alimentant la légende sombre du « couloir des intrigues », comme l’appelle L’Express (7 avril 2023). Brigitte Macron en plaisante aujourd’hui auprès de son clan : « Les loulous, vous pouvez me le dire maintenant, c’est vous qui l’avez empoisonné ? » Fou rire des intéressés.

 

Aux balbutiements du pouvoir, ce cénacle très fermé s’est soudé dans l’adversité. Brigitte Macron, qui s’est sentie marginalisée pendant la campagne de 2017 et peu aidée à ses débuts au palais, entretient des relations glaciales avec la jeune garde de son mari, Ismaël Emelien et Sibeth Ndiaye, en particulier. Issue de la bourgeoisie d’Amiens, élevée par les religieuses du Sacré-Cœur, elle juge ces admirateurs de Barack Obama trop disruptifs, mais aussi claniques et arrogants, à l’origine de tant de malentendus entre les Français et son mari.

La première dame, qui a Bernard Montiel, l’ancien animateur de l’émission « Vidéo Gag », comme confident, n’a jamais caché sa sympathie pour Nicolas Sarkozy, incarnation de la « droite gourmette », ironise l’un de ces Mormons. Brigitte Macron ne fera rien pour retenir « Ismaël », qui quitte l’Elysée en 2019, abîmé par l’affaire Benalla. Ni les autres, tous partis. « Les gens oublient que je peux être bien plus méchante que mon mari », rappelle-t-elle en riant.

Bruno Roger-Petit partage cette méfiance pour le « camp d’en face ». Soucieux d’inscrire ce jeune président sans passé dans l’histoire et la geste gaullo-mitterrandienne, le conseiller mémoire n’a jamais cru à la « start-up nation », ni à la dépolitisation, vantée au début du mandat comme un gage d’efficacité. Il a vu défiler tant d’éphémères responsables de la communication (Joseph Zimet, Frédéric Michel…), avec lesquels il rivalisait pour la maîtrise du récit. Début 2024, le « rendez-vous avec la nation » sur lequel le conseiller mémoire a veillé, s’accompagne de l’éviction de Frédéric Michel. Entre l’ex-journaliste, passionné par la chronique florentine du pouvoir, et l’ancien lobbyiste du groupe Murdoch, habitué aux voyages en business entre Londres et New York, au point d’en oublier son français, la mayonnaise n’a jamais pris.

Dans la coulisse, « BRP » livre aux journalistes son exégèse des événements élyséens, sans craindre de court-circuiter le canal officiel. A l’automne 2023, Olivier Véran, alors porte-parole du gouvernement, s’interroge à la lecture d’une citation sourcée depuis l’Elysée, très loin des « EDL » (« éléments de langage ») qu’on lui a transmis. « Laisse tomber, ça, c’est l’équipe B », soupire Alexis Kohler.

« BRP » jure n’être pour rien dans l’éviction de Frédéric Michel, remplacé par Jonathan Guémas, chargé des discours du président de 2018 à 2022 avant de rejoindre Publicis après la réélection d’Emmanuel Macron. Mais le conseiller mémoire respire. « C’est le retour en grâce des “saltimbanques” », se réjouit celui qui a passé une soirée à chanter avec la plume des vieux tubes de la chanson française à la questure de l’Assemblée, en compagnie de Geoffroy Lejeune, alors patron de Valeurs actuelles, ou de Pierre Charon, l’ex « porte-flingue » de Nicolas Sarkozy, invités par le député Renaissance Florian Bachelier.

Comme Roger-Petit, Guémas vient de la gauche (il a été la plume de Gérard Collomb), se nourrit des légendes mitterrandiennes et bataille pour que les symboles accaparés par l’extrême droite reviennent dans le giron macroniste. Le normalien aime rappeler, le livre de François Bazin Le Sorcier de l’Elysée (Plon, 2009) à la main, que l’initiative de Jacques Pilhan, conseiller en communication de François Mitterrand, visant à remettre le drapeau français en décor des interventions du chef de l’Etat socialiste, avait été jugée « fascisante ».

Lecture verticale de la Ve République

Le numéro de duettistes de « BRP » et Jonathan Guémas, qui partagent la même lecture verticale de la Ve République, est rodé : l’un est l’auteur de la formule « régénération », l’autre « réarmement », les deux piliers de l’« opération reconquête » lancée par Emmanuel Macron en janvier. Le conseiller mémoire vante « une cohérence intellectuelle, politique et narrative retrouvée ».

Comme lui, Brigitte Macron est heureuse du retour de « Jo » au palais. A l’été 2022, elle avait tenté de le retenir quand il avait annoncé son départ, dans le sillage de l’ex-communicant Clément Leonarduzzi, qu’Alexis Kohler avait mis à distance pendant la campagne. Avec lui, comme avec « Bruno », le couple Macron peut à nouveau pouffer en citant Audiard ou Michel Sardou, que le président doit décorer fin mars à l’Elysée. En 1998, alors journaliste à France 2, « BRP » a consacré un long « Envoyé spécial » au chanteur populaire.

Un « personnage houellebecquien », dit-il aujourd’hui, qui, dans son titre Les Villes de grande solitude (1973), chante le mal-être et la frustration de l’homme blanc vivant dans les grandes métropoles mondialisées : « J’ai envie de violer des femmes, de les forcer à m’admirer… » Des « chansons polémiques devenues des classiques » après avoir été critiquées par les « gauchistes », s’amuse, dans son documentaire, le futur conseiller de l’Elysée.

« C’est la famille ! », se réjouit Brigitte Macron quand s’organise sur le pouce un déjeuner dans la roseraie avec Guémas, Bromet et « BRP ». Le repli sur les plus fidèles, gage de confort, est une constante de la fin annoncée du pouvoir. A rebours du reste du palais, l’aile Madame est devenue un temple de la longévité. Potaches, « BRP » et les deux conseillers de la première dame ont glissé des cartes de visite dans les livres de la bibliothèque du rez-de-chaussée, soucieux de laisser une trace dans cette partie du palais.

Y réside aussi l’une des deux assistantes de la première dame, « Marie-France », qui connaît Emmanuel Macron depuis son passage à la banque Rothschild. Tous se savent protégés par Brigitte Macron, à qui ils ont fait vœu de fidélité. Et réciproquement. « Bruno est indispensable à mon mari, c’est ainsi », rétorque l’épouse du chef de l’Etat à ceux qui s’émeuvent de la mainmise du conseiller mémoire, présent à la quasi-totalité de ses déjeuners sans être membre de son cabinet.

Elle avait déjà volé à son secours en 2020, quand Alexis Kohler avait grondé en apprenant – dans Le Monde – que « BRP » s’était cru autorisé à déjeuner avec la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, Marion Maréchal. « Le totem immunité apporté par Brigitte est plus efficace encore que celui de son mari », résume un conseiller du palais. En toutes circonstances, Brigitte Macron défend ses « MEUF », pour « mecs extrêmement utiles aux femmes ».

 

Elle ne peut pas se passer non plus de son responsable du protocole, José Pietroboni, au bras duquel elle apparaît dans les cérémonies officielles. Cet ancien maître d’hôtel de l’Elysée, affable et diligent, hante l’aile Madame, régalant l’épouse du chef de l’Etat et Bruno Roger-Petit des petites histoires du palais. Il a offert à ce dernier des boutons de manchette ayant appartenu à François Mitterrand, dont le conseiller mémoire – auteur d’un livre sur le président socialiste, Authentiquement français (Ed. Héloïse d’Ormesson, 2011) – admire la verticalité, les ruses et les ambiguïtés.

Dans son bureau, à côté de la photo officielle d’Emmanuel Macron, « BRP » a placé un portrait de François Mitterrand, qu’Alexandre Benalla, le sulfureux ex-responsable de la sécurité, avait trouvé derrière une armoire, en mai 2017. Bruno Roger-Petit était également friand des récits de Michel Charasse, « mamelouk », amuseur et gardien des secrets du vieux monarque, qu’il défendit jusqu’à la fin, y compris contre ceux qui ne lui pardonnaient pas ses années à Vichy ou son jeu trouble avec le Front national, qu’il contribua à faire entrer à l’Assemblée en instaurant la proportionnelle.

« Tu tiens, hein ? », lui a glissé l’Auvergnat, décoré le 27 janvier 2020 à l’Elysée, trois semaines avant sa mort. Dans les couloirs de l’aile Madame, on murmure que « BRP » sera le dernier à partir : quand la voiture des Macron quittera la rue du Faubourg-Saint-Honoré, l’inusable conseiller fera monter Nemo à l’arrière avant de s’installer à l’avant. « Il suivra le couple jusqu’à Sainte-Hélène », s’amuse un conseiller.

 

Mise à jour le 19 mars à 9 h 52 : ajout du démenti de Rachida Dati au sujet de l’envoi d’un sms à Bruno Le Maire.