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Les troubles du neurodéveloppement chez les enfants, un enjeu de santé publique

Autisme, « dys », TDAH… en première ligne en ce qui concerne le dépistage, les médecins, psychiatres et pédiatres interrogent la prévalence de ces troubles et leur écho à l’école.

Par Mattea Battaglia

 

Des élèves en situation de handicap en milieu ordinaire assistent à un cours dans un collège doté d’un Pôle inclusif d’accompagnement localisé à Ambarès-et-Lagrave (Gironde), le 2 septembre 2022.

Des élèves en situation de handicap en milieu ordinaire assistent à un cours dans un collège doté d’un Pôle inclusif d’accompagnement localisé à Ambarès-et-Lagrave (Gironde), le 2 septembre 2022. PHILIPPE LOPEZ / AFP

 

Troubles du spectre de l’autisme (TSA), trouble déficit de l’attention avec – ou sans – hyperactivité (TDAH), dyslexie mais aussi dyscalculie, dysorthographie, dyspraxie ou dysgraphie, troubles du développement intellectuel (TDI)… Dans les salles de classe, nombre d’enseignants ont le sentiment d’être face à un « envol » des cas. Du côté des médecins psychiatres, pédiatres et autres acteurs de la santé, on évoque les chiffres avec prudence, aussi parce qu’« il n’existe pas à proprement parler d’étude épidémiologique spécifique à la France et [qu’]il nous faut encore raisonner en transposant des études internationales à la situation démographique française », explique le médecin de santé publique Etienne Pot, nommé, en novembre 2023, délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement, ou « TND », les trois lettres qui renvoient à l’ensemble de ces affections.

 

Il n’empêche, par extrapolation d’enquêtes menées aux Etats-Unis, et convergeant avec d’autres résultats au Royaume-Uni, au Canada et en Australie notamment, les cliniciens font état d’une incidence forte. Et même, semble-t-il, de plus en plus forte : aux Etats-Unis, 17,8 % des enfants étaient affectés de TND durant la période 2015-2017, contre 16,2 % dans les années 2009-2011, selon l’étude du chercheur et statisticien en santé Benjamin Zablotsky publiée dans Pediatrics, en 2019, qui fait référence.

 

Dans de nombreux pays depuis une vingtaine d’années, la prévalence de ces troubles semble suivre une tendance haussière, particulièrement pour les TSA et TDAH. Au point qu’on évoque, sur le terrain, jusqu’à une personne sur six qui pourrait être concernée. Un enjeu de santé publique.

 

« Les données épidémiologiques donnent un peu le vertige », avait affirmé Claire Compagnon, prédécesseure d’Etienne Pot au poste de délégué interministériel, intervenant devant l’Académie de médecine au printemps 2023. Trouble par trouble, le sentiment se confirme : selon l’Inserm, les TSA touchent 700 000 personnes, dont 100 000 mineurs environ. Pour le TDAH, entre 3 % et 6 % des enfants seraient concernés ; pour les troubles « dys », entre 4 % et 5 % d’une classe d’âge… « On estime aussi que un trouble du neurodéveloppement sur deux est associé à un autre », observe Etienne Pot. Des « co-occurences », dit-il encore, qui confirment la nécessité d’un dépistage « le plus précoce possible ».

 

Dépistages en hausse

C’est l’orientation confirmée dans la nouvelle stratégie 2023-2027 annoncée par l’exécutif, en novembre 2023, et qui, après quatre plans autisme, a officiellement élargi le champ de l’action publique à l’ensemble des troubles TND, en misant notamment sur un repérage « systématique » des écarts de développement de la naissance à 6 ans.

 

Une urgence autour de laquelle enseignants et soignants se rejoignent. « Dans une classe ordinaire de 25 à 30 élèves, vous avez toutes les probabilités statistiques d’avoir au moins un enfant présentant l’un de ces troubles, relève la pédopsychiatre Frédérique Bonnet-Brilhault, responsable du Centre d’excellence EXAC-T du CHRU de Tours et des Hôpitaux universitaires du Grand-Ouest. Le dépistage précoce fait qu’on accompagne sans doute aujourd’hui plus longuement dans les parcours scolaires des enfants qui, il y a vingt ans, sans diagnostic, avec des troubles plus bruyants, ont probablement été plus rapidement en décrochage ou écartés de l’école. »

 

Les progrès du dépistage expliquent-ils, alors, la courbe haussière ? Oui, répondent les spécialistes. Mais sans doute pas à eux seuls. « Les critères et les bornes diagnostiques ont évolué, de même que nos connaissances scientifiques, reprend la professeure Bonnet-Brilhault. Mais on ne peut pas exclure le rôle de facteurs environnementaux, sur lequel la recherche scientifique a commencé à se pencher. Ils ne sont jamais “causaux” à eux seuls, mais ils peuvent jouer sur les vulnérabilités génétiques établies. »

Alimentation, modes de vie, exposition à certains polluants ou à des perturbateurs endocriniens… ces « nouveaux » risques sont sous les projecteurs. Le lancement en 2023 de la cohorte Marianne, qui vise, en suivant plus de 1 700 familles, à renforcer les données épidémiologiques françaises, doit aussi permettre d’évaluer les facteurs multiples – et le rôle de chacun – dans la survenue des TND. Dans l’optique de pouvoir agir dans le domaine de la prévention dès la grossesse, la prématurité étant un facteur de risque important des TND.

 

Des conséquences très variables

« L’environnement, le cadre dans lequel évolue l’enfant ne créent pas le trouble mais peuvent en favoriser l’expression », explique Jean-François Pujol, pédiatre et médecin hospitalier dans la banlieue bordelaise. Ses consultations se sont spécialisées au fil du temps. « Vous n’imaginez pas le nombre de parents chez qui on est amené à découvrir, à l’âge adulte, un trouble attentionnel parce qu’on soigne pour ce motif leur enfant », rapporte ce porte-parole du Syndicat national des pédiatres français.

Les TND ont des conséquences très variables d’un individu à l’autre, y compris sur le plan scolaire. Tous, par ailleurs, ne sont pas repérés au même âge : les TSA peuvent l’être assez vite, dans les premiers mois de vie, quand c’est souvent plus tard pour les troubles de l’attention et les « dys », l’école jouant fréquemment un rôle d’alerte.

« Ces troubles sont mieux connus et reconnus, on en parle de plus en plus au-delà des cercles scientifiques, à l’école, entre parents, relève aussi Amaria Baghdadli, professeure de pédopsychiatrie au CHRU de Montpellier. Mais il faut être très prudent quant au lien que l’on tisse, dans le discours public, entre les troubles du neurodéveloppement et les troubles du comportement. Poser l’équation “enfant perturbateur = enfant TND”, c’est occulter les difficultés psychosociales, les souffrances psychologiques elles aussi en augmentation chez les enfants, l’anxiété, les troubles de l’opposition… »

La plate-forme de coordination et d’orientation (PCO) que cette médecin supervise, dans l’Hérault, suit en file active quelque 1 600 enfants. Une centaine de ces dispositifs PCO, lancés dans le sillage de la précédente « stratégie » gouvernementale, et vers lesquels sont orientés par leur médecin traitant des enfants pour lesquels des écarts de développement ont été constatés, ont réussi à accompagner, en 2023, quelque 55 000 jeunes patients. Un chiffre en nette hausse, fait valoir M. Pot. Mais à rapporter à la prévalence des troubles ; à l’« errance médicale » dont témoignent encore, en nombre, les familles. Et aux « inégalités territoriales » de prise en charge qui, concèdent les soignants, restent criantes.

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De nouvelles pages dans le carnet de santé

C’est une des 81 mesures de la stratégie nationale pour les troubles du neuro-développement (TND), dévoilée en novembre 2023 par l’Elysée. Pour assurer un « premier niveau » de repérage, le carnet de santé va intégrer, courant 2024, une nouvelle grille détaillée permettant aux médecins d’identifier d’éventuels écarts du développement de l’enfant, lors des examens obligatoires.

Le carnet de santé comprend déjà un questionnaire synthétique sur les aptitudes psychomotrices. L’objectif est de l’enrichir, en se basant sur le contenu d’un livret de 20 pages déjà édité par la délégation interministérielle en charge des troubles TND. Ce livret permet de repérer les aptitudes de l’enfant à des âges déterminés (6 mois, 12 mois, 18 mois, 24 mois, jusqu’aux 6 ans révolus). Les signes d’alerte y sont regroupés, selon l’âge, en quatre ou cinq domaines de développement : motricité globale, motricité fine, langage, socialisation, cognition ; et en deux dimensions valables quel que soit l’âge : facteurs de haut risque de TND (frère ou sœur concerné, grande prématurité, etc.) et comportements particuliers.