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La crise en mer Rouge commence à pénaliser l’industrie

Alors que les tensions s’accroissent dans la région entre Occidentaux et rebelles houthistes au Yémen, Tesla et Volvo vont suspendre leur production quelques jours en Europe.

Par Jean-Michel Bezat 

 

Les premiers contrecoups de l’escalade militaire en mer Rouge entre Occidentaux et houthistes du Yémen se font sentir sur l’activité industrielle en Europe, et d’abord sur le secteur automobile. Ainsi, Tesla a annoncé, jeudi 11 janvier, la suspension de la production de véhicules électriques dans son usine allemande entre le 29 janvier et le 11 février, en raison d’une pénurie de composants fabriqués en Asie. « L’allongement considérable des temps de transport crée un vide dans les chaînes d’approvisionnement », explique le constructeur américain.

 

Le lendemain, le suédois Volvo, détenu par le chinois Geely, évoquait un arrêt de trois jours, la semaine du 15 janvier, de son usine belge de Gand par manque de boîtes de vitesses. Geely, comme le fabricant de mobilier Ikea, a prévenu ses clients d’un retard des livraisons. Les délais d’acheminement plus longs et la congestion possible des ports vont pénaliser d’autres entreprises en aval de la chaîne d’approvisionnement.

 

Depuis novembre 2023, le commandement central américain au Moyen-Orient a recensé vingt-sept attaques de drones, de missiles, et même d’un missile balistique. De moins en moins de navires empruntent la mer Rouge et le canal de Suez qui voit passer en temps normal 12 % du commerce international et une bonne partie des conteneurs à destination de l’Europe.

« Pression inflationniste »

Les quatre grands armateurs européens (MSC, Maersk, CMA CGM et Hapag-Lloyd), qui assurent 53 % du transport mondial par « boîtes », évitent désormais le périlleux détroit de Bab Al-Mandab, à l’entrée de la mer Rouge, et déroutent leurs porte-conteneurs par le cap de Bonne-Espérance. Deux fois plus de navires que fin novembre croisent à la pointe de l’Afrique, rallongeant le trajet Asie-Europe de 13 000 kilomètres et sa durée d’une bonne dizaine de jours. De nombreuses marchandises mettront plus de temps avant d’être déchargées à Rotterdam (Pays-Bas), Anvers (Belgique), Marseille (Bouches-du-Rhône) ou Gênes (Italie).

Désormais, 90 % des porte-conteneurs évitent l’isthme égyptien, selon Clarksons Research Services, filiale du premier courtier maritime au monde. Ce déroutage a entraîné un recul de 40 % des recettes de l’Egypte, propriétaire du canal. La crise a provoqué une baisse des flux commerciaux, évaluée à – 1,3 % au niveau mondial, entre novembre et décembre 2023, par l’Institut d’économie mondiale de Kiel (Allemagne), et elle a atteint respectivement 2 % et 3,1 % pour les exportations et les importations entre l’Asie et l’Europe.

 

Les transporteurs restent discrets sur leur réponse aux attaques houthistes. « On ne veut pas compliquer la situation et nourrir une escalade », souligne-t-on chez le français CMA CGM. Ont-ils tenté de passer des accords avec les houthistes pour les dissuader d’attaquer leurs navires, comme est-il noté sur le site ShippingWatch ? Maersk, deuxième armateur mondial, a démenti de telles tractations. Leur inquiétude n’en est pas moins plus grande à mesure que la situation se crispe.

 

Dans un entretien au Financial Times, vendredi 12 janvier, Vincent Clerc, le patron du géant danois, dit redouter qu’un blocage durable exerce une « pression inflationniste sur [ses] coûts, [ses] clients et, finalement, les consommateurs en Europe et aux Etats-Unis », avec des « conséquences significatives sur la croissance globale ». Il estime « difficile de savoir si le rétablissement d’un passage sûr en mer Rouge est une question de jours, de semaines ou de mois ». Allianz Trade mentionne le risque d’une hausse de 0,7 % des prix en Europe et aux Etats-Unis.

M. Clerc réfute le fait d’être accusé de profiter de la crise au Moyen-Orient. Si elle s’éternise, relève néanmoins la banque britannique HSBC, elle gonflera les bénéfices des armateurs, dont les taux de fret étaient revenus, à l’automne 2023, au niveau d’avant la pandémie de Covid-19, après des années 2021 et 2022 exceptionnelles. Les industriels et la grande distribution ont bien des contrats sur un ou deux ans pour une partie de leurs cargaisons, mais les prix spot, eux, s’envolent.

Les réassureurs se retirent d’Israël et des pays voisins

Le cabinet londonien Drewry « anticipe une hausse des taux de fret sur les lignes est-ouest dans les prochaines semaines ». Au 11 janvier, son indice composite mondial s’élevait à 3 072 dollars (2 800 euros) par conteneur de 40 pieds, plus du double des 1 382 dollars de fin novembre 2023. Il grimpe même à 5 213 dollars sur la ligne Shanghaï-Gênes et à 4 400 dollars entre le port chinois et Rotterdam. CMA CGM a annoncé que le tarif pour un transport Asie-Méditerranée passait de 3 000 à 6 200 dollars la « boîte » à compter du lundi 15 janvier.

Les réassureurs, qui partagent les risques avec les assureurs de premier rang, se retirent d’Israël et des pays voisins ; ou ils introduisent des clauses d’annulation dans leurs polices, décision qui va gonfler les frais des entreprises fonctionnant dans la région. De son côté, l’assureur Allianz calcule que chaque jour de blocage coûte de 6 à 10 milliards de dollars au commerce mondial. Armateurs et chargeurs l’ont déjà subi, en 2021, avec la paralysie du canal durant une semaine par le porte-conteneurs Ever-Given.

 

La revue en ligne Lloyd’s List estimait qu’environ 9,6 milliards de dollars de marchandises étaient « en rade », mais ne cède pas pour autant au catastrophisme. « Le déroutement par le cap de Bonne-Espérance n’entraînera pas une réédition des ruptures constatées durant la pandémie », est-il nuancé dans un article du 12 janvier. On ne constate pas de longues files d’attente de porte-conteneurs à l’entrée des ports, comme en 2021, même si des embouteillages peuvent se former dans quelques semaines en Europe. L’escalade militaire est encore limitée, et seuls un embrasement du conflit et une fermeture durable du canal de Suez auraient de lourdes retombées économiques.