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Pesticides : le gouvernement entérine le choix d’un indicateur jugé trompeur dans le nouveau plan Ecophyto 2030

Le plan, que « Le Monde » a pu consulter, supprime l’indicateur d’usage des produits phytosanitaires et le remplace par un outil de mesure contesté. L’indemnisation des riverains victimes de maladies en lien avec ces produits est envisagée.

Par Stéphane Foucart

 

Un viticulteur réalise un traitement phytosanitaire de ses vignes, dans le sud de la France, le 5 avril 2024.

 Un viticulteur réalise un traitement phytosanitaire de ses vignes, dans le sud de la France, le 5 avril 2024. IDRISS BIGOU-GILLES / HANS LUCAS VIA AFP

 

A l’inverse des trois versions précédentes, le nouveau plan Ecophyto 2030, qui annonce une « réduction de 50 % des pesticides » en agriculture, devrait parvenir sans mal à atteindre ses objectifs. Mais au prix d’un changement d’indicateur, qui ne mesurera plus la baisse réelle de l’usage des produits phytosanitaires, au-delà des retraits des molécules les plus problématiques prévus par la réglementation européenne.

Marc Fesneau, le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, présentant le plan sur Franceinfo et dans Le Parisien vendredi 3 mai, a en effet entériné l’abandon de l’indicateur d’usage des pesticides, le NODU (« nombre de doses unités »). Il est remplacé par un nouvel indicateur, controversé, fondé sur les tonnages de produits utilisés, modulés par leur statut réglementaire.

 

L’hypothèse d’un maintien du NODU au côté de cette nouvelle métrique n’avait jusqu’à présent pas été écartée : elle est désormais exclue, conformément aux demandes de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Le nouveau plan, qui doit être officiellement présenté le 6 mai mais dont Le Monde a pu consulter la dernière version, vise d’ici à 2030 une baisse de 50 % de ce nouvel indice, baptisé HRI-1 (« Harmonised Risk Indicator 1 ») par rapport à la période 2011-2013. Mais, à l’inverse du NODU, le HRI-1 n’est pas un indice d’usage.

Trompe-l’œil

De fait, dans une prépublication rendue publique le 3 mai, une vingtaine de chercheurs et d’ingénieurs des universités et des organismes publics de recherche – dont une majorité de membres du conseil scientifique du plan Ecophyto – montrent que le HRI-1 est un trompe-l’œil. Non seulement, écrivent-ils, le nouvel indice « n’est pas supposé quantifier strictement l’usage des produits de protection des plantes et refléter de manière adéquate les changements de leurs usages », mais « il ne reflète pas les risques induits » par ces usages.

Pour Corentin Barbu, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, l’un des principaux experts français des indices de recours aux pesticides, « l’acceptation du HRI comme indicateur de référence signe la fin des efforts sur la réduction des pesticides ».

 

Pour illustrer le biais du nouvel indice, les auteurs calculent le HRI-1 pour l’année 2021 : celui-ci a déjà baissé de 32,9 % par rapport à la période de référence (2011-2013). L’objectif des 50 % de baisse du nouvel indice est donc déjà presque rempli, alors même que le tonnage total de pesticides vendus en France a continué à croître et que leur usage indexé par le NODU est resté quasi stable au cours de la même période.

 

En 2022, l’interdiction du seul mancozèbe (et son remplacement par d’autres produits) devrait encore rapprocher de la cible des 50 %. Les chiffres ne sont pas encore connus, mais les chercheurs estiment que le retrait de ce seul fongicide pourrait porter le HRI-1 à une réduction de quelque 43 % par rapport à la période de référence. Très proche, donc, de la cible de 50 % à l’horizon 2030.

Au contraire de ses prédécesseurs, les plans Ecophyto II+, Ecophyto II et Ecophyto, dont aucun n’est parvenu à remplir ses objectifs, le plan Ecophyto 2030 est ainsi assuré d’être couronné de succès, probablement bien avant la date cible, grâce au retrait, prévisible, de quelques-unes des molécules les plus problématiques.

« Prioriser les molécules les plus dangereuses »

Prenant le contre-pied des membres du conseil scientifique du plan Ecophyto, Marc Fesneau estime que la nouvelle approche est plus appropriée que les précédentes. « Le but du HRI-1 est (…) de prioriser les molécules les plus dangereuses, explique-t-il au Parisien. Aujourd’hui, certains produits ne posent aucun problème de toxicité. Ni pour l’être humain ni pour les écosystèmes. Ce n’est pas parce que ce sont des produits chimiques qu’il faut les interdire. »

« L’objectif de 50 % de réduction, tel qu’il était pensé [par les plans précédents], n’était pas satisfaisant, a-t-il précisé. On l’a fait en voulant baisser de moitié tous les produits phytosanitaires sans prendre en compte leur degré de toxicité. » Le ministre se félicite en outre que la consommation des cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques avérés, dits « CMR1 », ait « baissé de 95 % depuis 2018 ».

« La baisse de l’utilisation des CMR1 et CMR2 [cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques présumés] est avant tout la résultante du retrait et/ou du non-renouvellement de substances actives au niveau de l’Union européenne [UE] et non de la seule volonté du gouvernement », précise Dorian Guinard, maître de conférences en droit public (université Grenoble Alpes, Sciences Po Grenoble), spécialiste des questions réglementaires liées à la gouvernance des toxiques.

« S’il est vrai, poursuit l’universitaire, que quelques molécules dites “préoccupantes” ont fait l’objet d’une attention particulière des autorités sanitaires française depuis 2018, la plupart de ces molécules n’auraient de toute façon pas été renouvelées par les instances communautaires. »

 

Face aux futures interdictions édictées au niveau européen, le gouvernement entend se préparer en consacrant, dans son plan, un effort qualifié d’« inédit » par M. Fesneau à la recherche et au développement de solutions pour les filières. Le ministre confirme le déblocage de 250 millions d’euros par an, dont 150 millions d’euros sur la recherche et 50 millions d’euros pour financer des matériels innovants. « Nous cherchons donc immédiatement des solutions pour ne pas ensuite nous retrouver dans une impasse », a-t-il expliqué au Parisien.

Vers une contractualisation des risques

Au reste, le plan ne nie pas les effets sanitaires des pesticides, mais semble plutôt aller vers une contractualisation de ces risques, non seulement avec les utilisateurs de ces produits, mais aussi les habitants de zones exposées. Parmi les mesures proposées, le plan suggère ainsi d’« envisager, après une étude de faisabilité pilotée par le ministère chargé de la santé, la possibilité de mettre en œuvre et de financer un dispositif d’indemnisation des riverains voire d’autres catégories de personnes ayant contracté une maladie d’origine non professionnelle, en lien avec l’exposition prolongée et répétée aux produits phytopharmaceutiques ».

Le plan prévoit en outre de favoriser l’agriculture biologique, labellisée « haute valeur environnementale », ou encore l’élevage extensif sur les zones humides et sur certaines aires d’alimentation de captage d’eau. De même, lit-on dans le plan, « la France s’engage à pousser la reprise rapide d’une discussion pour mettre en place un “fast track” d’homologation pour les produits de biocontrôle » autorisés en agriculture biologique.

 

Plusieurs mesures envisagées consistent à porter au niveau européen certaines exigences réglementaires ou économiques. En particulier, le plan propose que la France pèse à Bruxelles en faveur du renforcement du cadre d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des agrotoxiques, ou encore en faveur de mesures miroirs aux frontières de l’UE, ou d’une meilleure harmonisation des pratiques en son sein – de manière à ne pas mettre en concurrence l’agriculture française avec des pratiques moins-disantes sur l’environnement et la santé.

 

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