JustPaste.it

« Il y en a combien qui souffrent comme cela depuis des années ? » : enquête sur les patients attachés dans les hôpitaux psychiatriques

Par Luc Bronner (Brive-la-Gaillarde (Corrèze), Lons-le-Saunier, Mantes-la-Jolie (Yvelines), Marseille, Meaux (Seine-et-Marne), Rennes, envoyé spécial)

 

 

« La santé mentale sans consentement » (3/3). La contention mécanique au sein des hôpitaux psychiatriques constitue l’acte le plus grave de privation de liberté. Son contrôle par la justice demeure limité en raison d’une loi jugée trop complexe, et des réticences d’une partie de la psychiatrie.

L’homme de 67 ans est tenu par quatre infirmiers. Son corps est plié, tordu, ses membres recroquevillés, dans une position choquante. Les soignants peinent à le faire s’asseoir sur la chaise dans la petite salle au rez-de-chaussée de l’hôpital psychiatrique de Meaux (Seine-et-Marne), ce jeudi après-midi de décembre 2024.

Cela fait quatre ans que M. C., souffrant de schizophrénie et d’une démence fronto-temporale, est hospitalisé en soins sans consentement. Quatre ans pendant lesquels il a été isolé et attaché à de très nombreuses reprises. Plus de 400 mesures d’isolement et de contention, selon une source judiciaire, en reconnaissant sa situation exceptionnelle.

L’histoire de M. C. a été découverte par Le Monde grâce à l’utilisation de l’open data en matière de justice. Celle-ci permet, de façon inédite, d’accéder à des milliers de décisions judiciaires récentes d’hospitalisations sans consentement et à des centaines de mesures d’isolement et de contention mécanique, ces « décisions de dernier recours » censées, selon la loi, répondre à un « danger de dommage immédiat ou imminent » mais vivement critiquées par les associations de proches de malades et par une partie des professionnels de la psychiatrie pour leurs effets délétères sur la santé des patients.

Profil médical complexe

Ce jeudi de décembre, M. C. est présenté à une juge des libertés et de la détention du tribunal de Meaux chargée de vérifier la régularité de son hospitalisation sans consentement. Des audiences qui se tiennent deux fois par semaine au sein même de l’hôpital.

 

« Est-ce que vous voulez vous exprimer ? », interroge la magistrate. L’homme ne peut pas parler. « Est-ce qu’il vous parle parfois ? », demande-t-elle aux soignants. « Des petits mots », répond l’un d’eux. M. C., qui paraît avoir vingt ans de plus que son âge, a l’air en panique. Il serre le bras d’une infirmière au point de lui faire mal. « Monsieur, faites attention aux soignants, ils sont là pour vous aider », lui commande la juge. Aucune réponse. « Je vous propose qu’il remonte dans sa chambre », conclut-elle.

Le sexagénaire disparaît dans les couloirs, encadré et porté par le personnel. Son profil médical est complexe. Une source hospitalière le décrit comme « constamment très violent, très agité » et présentant un cumul de pathologies rendant dangereux pour lui-même le recours à une « camisole chimique ». Les médecins justifient le fait de l’attacher par le risque de passage à l’acte « agressif », un « état d’agitation et de décompensation psychotique grave », son « imprévisibilité », son « instabilité psychomotrice ».

Quelques jours avant l’audience, l’hôpital a tenté de le placer dans un Ehpad renforcé, mais le séjour s’est mal passé. M. C. est revenu à Meaux, dans le service psychiatrique, pour reprendre une hospitalisation sous contrainte, et, avec elle, les mesures d’isolement et de contention. Sans aucune limite de temps. Aux confins des secrets judiciaire et médical.

 

C’est la loterie du malheur dans le malheur. Celle qui conduit un patient à une chambre d’isolement puis à cet instant où des infirmiers et des aides-soignants d’un service psychiatrique l’immobilisent, lui administrent un sédatif puissant et l’attachent sur un lit avec des sangles de contention en tissu, fixées avec des aimants, pour bloquer les quatre membres. Pour quelques heures, le plus souvent. Pour quelques jours, quelques semaines. Parfois plusieurs mois. La loterie du malheur parce que la probabilité de finir attaché dans une chambre d’isolement varie considérablement d’un hôpital psychiatrique à l’autre, et même d’une unité à une autre.

Certains hôpitaux ne pratiquent plus la contention mécanique, jugée dégradante, inefficace, dangereuse, tandis que d’autres continuent d’y recourir de façon régulière, presque banale, pour les mêmes maladies, les mêmes symptômes. La loterie du malheur parce que les contrôles effectués par la justice sont tout aussi disparates et aléatoires, parfois jamais suivis d’effets. Certains tribunaux ont organisé un suivi régulier de ces mesures extrêmes de privation de liberté, tandis que d’autres les expédient à la va-vite, validant à la chaîne les certificats médicaux.

 

Pratiques légales, mais dissimulées

Ces pratiques sont légales, mais dissimulées, couvertes à la fois par le secret médical et le secret judiciaire, protégées derrière les portes des unités fermées des hôpitaux, débattues sous le sceau de la confidentialité. Elles ne sont pas si rares : plus de 8 000 personnes hospitalisées sans leur consentement au sein de services psychiatriques ont été soumises à des contentions mécaniques en 2022, selon le dernier bilan de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes), piloté par la démographe Magali Coldefy.

 

Majoritairement des hommes, plutôt jeunes, généralement hospitalisés pour troubles psychotiques, bipolarité, troubles de la personnalité et du comportement. Des statistiques minimales : les patients peuvent aussi avoir été attachés aux urgences générales pendant des heures, jusqu’à plusieurs jours, dans l’attente de leur prise en charge, sans être comptabilisés officiellement.

L’étude de l’Irdes montre qu’une trentaine d’hôpitaux, sur les 220 qui accueillent des patients sans consentement en France, ne pratiquent plus la contention. A l’inverse, 18 hôpitaux dépassent le chiffre très élevé de 20 % des malades attachés pendant leur séjour sous contrainte. Le sujet est sensible dans la communauté médicale et conduit à des prises de parole sous condition d’anonymat. Ceux qui s’expriment sont ceux qui ne la pratiquent plus, ou très peu. Ceux qui la pratiquent préfèrent ne pas s’exposer.

« Pourquoi ces pratiques doivent-elles choquer ? Parce que les proportions de pathologies qui débouchent classiquement sur de l’isolement et de la contention sont les mêmes partout sur le territoire. Les disparités viennent de différences de prise en charge, pas de la nature des publics », souligne un psychiatre expérimenté, ancien responsable d’une unité pour malades difficiles (UMD), qui a finalement requis l’anonymat après deux entretiens.

Les discours sur les supposées vertus thérapeutiques de la contention mécanique ont existé jusqu’à peu dans la vie interne de certains services, mais ils ont disparu de l’argumentaire public. Désormais, c’est le manque de personnel soignant, la sécurité physique des agents, la protection des autres patients qui sont mis en avant pour justifier ces mesures.

 

« L’isolement et la contention sont des solutions de dernier recours. Les effets thérapeutiques de ces mesures ne sont pas démontrés, alors que les effets indésirables le sont de plus en plus », insiste le professeur Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, en énumérant les conséquences post-traumatiques pour les malades, l’impact délétère sur la relation thérapeutique, la perte de sens pour les soignants.

Contrôle minimal

Longtemps, il n’a existé aucun contrôle sur les mesures d’isolement et de contention, héritage d’une conception asilaire de la psychiatrie. Ce qui se passait dans les chambres d’isolement restait dans l’ombre sans que quiconque ne puisse examiner les décisions.

Depuis 2022, un contrôle minimal existe. Grâce au combat mené par Eric G., 48 ans, un ancien patient d’un hôpital psychiatrique des Yvelines, soigné pour schizophrénie, isolé et contentionné à de nombreuses reprises. « C’est un sentiment horrible. Vous êtes attaché pendant des heures dans une chambre où il n’y a rien, c’est comme un grand vide », témoigne-t-il aujourd’hui, sorti du cycle des hospitalisations d’office mais toujours suivi avec des injections régulières.

En 2020, après une énième mesure d’isolement, Eric G. avait fait appel à un avocat, Me Raphaël Mayet, aujourd’hui bâtonnier de Versailles, une des figures du combat pour le droit des patients, dont l’activisme a forcé parlementaires et ministres à modifier les textes de loi à plusieurs reprises. Me Mayet avait obtenu la saisine du Conseil constitutionnel par l’intermédiaire d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), cette possibilité de vérifier les manquements à la Constitution de lois anciennes.

Réponse du juge constitutionnel : l’absence de contrôle par la justice de ces mesures d’enfermement particulièrement sévères était en contradiction avec l’article 66 de la Constitution, lequel dispose que « nul ne peut être arbitrairement détenu » et que « l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe ».

Le Conseil constitutionnel avait donc enjoint au gouvernement d’adopter une loi instaurant ce contrôle, ce qui est devenu effectif en 2022. Mais, de l’avis général – ce qui est rare, autant parmi les psychiatres, les juges que les avocats –, le texte a été adopté dans une telle précipitation, sans réel débat ni évaluation préalable, qu’il est vite apparu brouillon, parfois contradictoire.

 

Les mesures ne doivent pas dépasser douze heures pour l’isolement, six heures pour la contention. Voilà pour la théorie. Car le législateur a prévu une succession de dérogations autorisant la prolongation à plusieurs reprises, à condition de fournir régulièrement une batterie de certificats. Au bout de soixante-douze heures cumulées, pour l’isolement, et de quarante-huit heures pour la contention, le juge intervient pour vérifier la régularité de la mesure.

« C’est une usine à gaz rédigée avec les pieds », souligne Sarah Massoud, longtemps juge des libertés et de la détention à Bobigny, représentante du Syndicat de la magistrature (SM). Dans une période critique de manque de ressources humaines – plus de 20 % des postes de psychiatres ne sont pas pourvus dans les hôpitaux –, la loi a été perçue comme une contrainte supplémentaire par beaucoup de soignants, déjà débordés par l’ampleur des tâches.

Sillons séparés

« Les médecins se tuent la vie à remplir des certificats, des fiches de suivi. La loi est écrite pour être inapplicable, la loi est pleine de contradictions. A la fin, on passe presque plus de temps sur les certificats qu’avec les patients », regrette Marie-José Cortès, cheffe du service de psychiatrie de l’hôpital de Mantes-la-Jolie (Yvelines). Dans son établissement, des kits de contention sont toujours disponibles, mais quasiment plus jamais utilisés. Un choix collectif. « Une partie de notre travail, c’est la désescalade, explique l’un des infirmiers du service, Kevin Nogues. La médiation est au cœur de notre approche. »

Dans son principe, la réforme de 2022 marquait une avancée pour la défense des droits de ces patients. Dans la réalité, son impact a été limité de toutes parts. D’abord, parce que ces dossiers sont examinés par l’intermédiaire d’une procédure écrite, par échange d’e-mails, sans intervention d’un avocat, sauf exception. Ensuite, parce que chaque décision d’un magistrat vient purger les mesures médicales précédentes, avec, comme conséquence, l’impossibilité d’examiner la situation d’ensemble des patients.

Enfin, parce que la justice travaille en sillons séparés : un premier juge peut se prononcer sur l’hospitalisation sous contrainte ; un deuxième sur l’isolement ; un troisième sur la contention. L’examen systématique de plusieurs centaines de décisions récentes montre, en outre, que les services de tutelle et de curatelle, censés défendre les droits des patients vulnérables, sont aux abonnés absents.

La loi et la jurisprudence de la Cour de cassation conduisent les magistrats à opérer un contrôle formel de l’isolement et de la contention. « Le magistrat doit apprécier ces conditions à l’aune des certificats médicaux : interdiction lui est faite de “jouer au docteur” », note Paul Véron, maître de conférences en droit, spécialiste de la santé. Ceux-ci se retrouvent, par exemple, à se faire les gardiens du chronomètre.

 

Ainsi, fin novembre 2024, à Lille, un juge se penche sur le relevé de situation d’une femme en soins sans consentement depuis juillet. « X fait l’objet d’une mesure de contention initiée le 22 novembre 2024 à 18 h 54, arrêtée le 23 novembre 2024 à 9 heures, reprise le 23 novembre 2024 à 23 h 10, arrêtée le 24 novembre 2024 à 5 h 10 et enfin reprise le 25 novembre 2024 à 18 h 54. De sorte que le magistrat du siège devait être saisi avant le 26 novembre 2024 à 23 heures. »

L’heure de saisine ayant été respectée, la mesure est validée, sans que le juge vérifie le fond, notamment cette question : pourquoi cette femme devait-elle être attachée la nuit uniquement ? Par manque de personnel ? « Le juge regarde les horaires pour vérifier si les délais ont été respectés. C’est tout. Il n’a pas de marge d’appréciation sur le contenu de la mesure. Le contrôle se réduit à peau de chagrin », constate l’avocat Matthieu Staelen, commis d’office dans ce dossier.

Dégâts psychologiques

Les décisions des juges sur l’isolement et la contention sont parfois immédiatement infirmées par les psychiatres. Un secret de Polichinelle dans le monde hospitalier. « Certains établissements n’ont pas acté qu’on ne reviendrait pas en arrière sur le fait que les soins sans consentement sont à la fois une mesure de soins et une mesure de privation de liberté qui justifie son contrôle », insiste l’avocat versaillais Raphaël Mayet.

A Rennes, chaque membre ou presque du petit groupe d’avocats qui se coordonnent pour intervenir sur ce contentieux peut raconter une anecdote de décision non appliquée ou à retardement. L’histoire de M. R., 20 ans, par exemple : le 24 octobre 2024, le jeune homme est admis en urgence en hospitalisation à la demande d’un tiers. Son état se dégrade, il est placé en chambre d’isolement. Un juge est saisi, comme la loi le prévoit, et il décide la levée de cette décision, le 3 novembre, au motif que le patient n’a pas été correctement informé de la possibilité d’être défendu par un avocat.

 

L’ordonnance du tribunal est rendue à 15 h 40. La loi dispose très clairement qu’aucune autre mesure ne peut être décidée dans les quarante-huit heures qui suivent, sauf élément médical nouveau. A 18 h 13, les médecins signent un nouveau placement en chambre d’isolement. Une avocate se saisit du dossier et le porte devant un premier juge puis devant la cour d’appel. Peine perdue : « Les circonstances décrites dans la prescription initiale ayant conduit à la mesure d’isolement (…) constituent dans ces circonstances des éléments nouveaux dans la situation médicale. » La formulation est à la hache, mais le fond est clair : la décision de maintenir le patient à l’isolement est validée.

L’argumentation des juges montre que leur niveau d’information sur les séquelles n’est pas toujours adapté. A leur décharge, les juges des libertés et de la détention ploient, eux aussi, sous la masse de dossiers relevant du pénal, du droit des étrangers et des soins sans consentement. Une réforme souhaitée par l’ancien ministre de la justice Eric Dupond-Moretti a également conduit à mettre fin à leur spécialisation sur ces dossiers depuis septembre 2024. Leur expertise s’en trouve un peu plus limitée.

 

Ainsi de cette femme de 24 ans, autiste, placée à l’isolement et sous contention depuis la fin octobre 2024 dans un hôpital spécialisé du Gard, repérée grâce à l’open data en matière de justice. Les médecins le justifient en faisant état d’une « importante agitation psychomotrice » et d’un « comportement agressif envers elle-même mais également envers autrui ». A plusieurs reprises, cette femme a détruit ses vêtements et sa literie puis a dormi sur le sol. Des escarres ont fini par apparaître sur son corps. « En conséquence, explique la juge pour valider la contention, la mesure doit se poursuivre par une prise en charge contenante et apaisante. »

Ces deux derniers mots font hurler les défenseurs des patients au vu des souffrances causées. D’autant que cette femme, comme tous les autistes, ne devrait pas relever d’un hôpital psychiatrique. « Il y en a combien qui souffrent comme cela depuis des années ? », questionne Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France, en insistant sur les dégâts psychologiques.

 



Sentiment de violence subie [ça alors !]

Le traumatisme vaut aussi pour les familles confrontées à la douleur de la maladie, à l’hospitalisation d’office puis à l’annonce que leur mère, père, fils, fille a été contentionné. « Cela m’avait crucifiée quand j’avais vu mon fils attaché, je ne pourrai jamais l’oublier », témoigne Marie Baldit-Aguila, avocate et mère d’un enfant schizophrène diagnostiqué en début d’adolescence, désormais jeune adulte.

Les pratiques d’isolement et de contention touchent aussi, parfois, des mineurs, ce qui est illégal, sauf rares exceptions, et témoigne des difficultés abyssales de la pédopsychiatrie, contrainte, faute de médecins, de transférer des adolescents vers des services pour adultes. Des dizaines de cas ont ainsi été repérés, ces deux dernières années, par les équipes du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL).

A Evreux, par exemple, au cours de leur dernière visite, les contrôleurs avaient relevé 329 mesures de contention décidées pour 15 mineurs. Dont deux enfants de 11 ans. « Ces pratiques sont attentatoires à la dignité et à la bientraitance d’enfants hospitalisés, avait critiqué le CGLPL dans un rapport publié en octobre 2024. Elles sont illégales, car elles concernent toutes des patients en soins libres et, au vu de leur nombre, il apparaît qu’elles ne sont pas des mesures de dernier recours. »

N. fait partie de ces mineurs ayant été attachés. Diagnostiqué schizophrène et bipolaire, le garçon a aujourd’hui 17 ans. Sa première contention a eu lieu, dans ses souvenirs, quand il avait 11 ans. La dernière, confirmée par le dossier médical, date d’octobre 2024, alors qu’il était hospitalisé au sein d’un service pour adultes dans un hôpital du centre de la France.

 

Pour le sédater, les soignants l’avaient retourné, avaient baissé son pantalon et lui avaient administré une piqûre dans la fesse. Il s’était alors retrouvé attaché pendant onze heures, de 17 heures à 5 heures du matin. Ses mots disent le sentiment de violence subie : « J’ai été attaché en croix pendant des heures, comme si j’étais écartelé. » Avec ses bras et ses jambes, il mime la scène. « Quand je me suis réveillé, j’ai eu le sentiment d’un viol », témoigne-t-il, en évoquant sa « tristesse » et sa « colère » : « J’ai gueulé, j’ai jamais autant gueulé de ma vie. »

La contention a durablement abîmé son acceptation des soins. Sa mère, Elvira B., qui avait demandé son hospitalisation sous contrainte après sa fugue d’un service ouvert, s’indigne de la brutalité de la mesure puis du manque de suivi médical. L’aberration du droit actuel fait qu’un majeur peut contester cette privation de liberté devant un juge. Un mineur non, au motif que cette situation n’est pas censée exister. A la peur, à la colère s’ajoute le sentiment d’impuissance. « Le prochain rendez-vous qu’on me propose à l’hôpital est en juillet. D’ici là, on fait quoi ? », interroge la mère de famille.

La bataille contre la contention ne fait que commencer. « On demandait un moratoire sur la contention, on demande désormais son abolition », insiste Emmanuelle Rémond, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), la principale association de malades et de proches. Des hôpitaux comme celui de Laragne (Hautes-Alpes) ont choisi, depuis longtemps, de bannir la coercition. « Nos pavillons sont ouverts, y compris pour les soins sans consentement. Statistiquement, nous n’avons pas plus de fugues que des établissements fermés derrière des hauts murs », souligne son directeur, Jean-Michel Orsatelli.

D’autres hôpitaux ont pris la décision de ne plus avoir de matériel de contention afin de ne plus être tentés d’y recourir. C’est le cas, depuis janvier 2022, de l’hôpital psychiatrique Edouard-Toulouse, à Marseille, qui couvre les quartiers nord de la ville. « C’est une décision d’équipe, explique Aude Daniel, psychiatre, présidente de la commission médicale d’établissement. Nos choix correspondent à une approche plus globale sur les droits des patients. Ici, on avait trouvé que les lois allaient dans la bonne direction : c’est très bien que ce soit difficile de placer quelqu’un en isolement, parce que c’est une mesure difficile pour le patient. »

« Culture asilaire »

Le mouvement est porté par l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (Ajpja), qui réclame de « tendre vers le zéro contention » : « C’est traumatogène pour les patients et cela va clairement à l’encontre de l’attractivité de notre discipline. Nous avons tout à perdre à garder des pratiques comme celles-là », note sa présidente, Maeva Musso, médecin dans une unité mobile de pédopsychiatrie à Paris. « Nous sommes la seule discipline médicale qui use de la coercition, et pourtant nous n’avons aucune formation sur l’éthique », ajoute Marine Lardinois, son ancienne présidente, en poste à Lille.

L’abolition est aussi soutenue par une partie, très engagée, des soignants autour du psychiatre Mathieu Bellahsen, auteur du livre Abolir la contention (Libertalia, 2023), un manifeste qui s’ouvre avec des témoignages très durs de patients attachés. « On se heurte à la culture de l’entrave comme d’autres se sont heurtés à la culture du viol. Cette culture asilaire, on la retrouve à tous les étages du corps psychiatrique, des gouvernants jusqu’aux aides-soignants », estime le médecin, reconnu « lanceur d’alerte » par la Défenseure des droits pour avoir dénoncé des dysfonctionnements au sein de son ancien service dans les Hauts-de-Seine.

Côté avocats, la bataille suivante sera celle de la limitation des durées de contention et de l’indemnisation des patients. MeMayet a obtenu une autre victoire, en octobre 2024 : la condamnation de l’Etat à indemniser un homme, Dimitri Fargette, hospitalisé sans son consentement pendant des années, alors qu’il aurait dû être accueilli dans une maison spécialisée pour les autistes. Outre 30 000 euros d’indemnités, le tribunal administratif de Besançon a contraint l’Etat à lui trouver une place sous peine d’une astreinte financière – l’agence régionale de santé a fait appel. Une histoire d’une immense tristesse, un gâchis sans nom, que raconte Nicolas Fargette dans sa petite maison près de Lons-le-Saunier (Jura).

Depuis deux décennies, cet homme de 44 ans se bat pour son frère jumeau, privé d’oxygène au moment de l’accouchement, ce qui l’a handicapé. A partir de 8 ans, Dimitri a commencé à fréquenter l’hôpital psychiatrique, d’abord à la journée, puis de façon continue. Le diagnostic tombera bien plus tard : à l’âge de 35 ans, alors qu’il a été transféré au sein d’une UMD à Sarreguemines (Moselle), un psychiatre indépendant constate que le jeune homme ne présente en réalité aucune dangerosité, que le placement sous contention a déclenché un « état de stress post-traumatique » et que Dimitri est autiste et n’a rien à faire en hôpital psychiatrique.

 

Nicolas Fargette a documenté pendant des années la prise en charge subie par son frère. Les échanges désagréables avec le personnel soignant – qu’il a enregistrés. L’absence d’information transparente. Les mesures successives de placement en isolement. Et la contention mécanique, qui s’est encore répétée à l’automne 2024, après la condamnation de l’Etat par la justice. « On est impuissant contre le système », se désole Nicolas Fargette, alors que Dimitri s’est allongé dans le jardin à l’extérieur pour écouter sa musique préférée pendant sa permission du lundi.

Après vingt ans de combat âpre, une petite lumière est apparue dans le ciel sombre des Fargette : grâce à la décision du tribunal, l’agence régionale de santé lui a trouvé une place dans une maison d’accueil spécialisée. « Nous sommes satisfaits qu’il ait pu être accueilli dans une structure adaptée », tente d’apaiser la direction de l’hôpital. Dimitri est sorti du service psychiatrique le 15 décembre 2024. Une nouvelle vie sans isolement et contention. A 44 ans.