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Un an de votes « attrape-tout » pour le RN

EXTRÊME DROITE - ANALYSE
Un an de votes « attrape-tout » pour le RN
22 juin 2023 | Par Pauline Graulle, Youmni Kezzouf et Tam Kien Duong

L’analyse des votes des députés RN montre que l’extrême droite est régulièrement venue en renfort de la majorité sur les questions économiques et sociales. Si le « cordon sanitaire » demeure avec la gauche, certains députés LR ont en revanche fréquemment joint leurs votes à des amendements du groupe de Marine Le Pen.
Qu’est-ce qui se cache derrière les cravates et les costumes des députés du Rassemblement national (RN) ? Alors que l’extrême droite a, pour la première fois depuis trente-cinq ans, retrouvé un groupe à l’Assemblée nationale, l’analyse des votes du groupe de Marine Le Pen permet, au-delà des éléments de langage, de réaliser une première « photographie » concrète de ses positionnements politiques. Et de mesurer l’écart avec le reste des groupes politiques qui composent la représentation nationale.
Premier constat : le RN apparaît proche des idées de Renaissance et plus encore de celles de la droite Les Républicains (LR). Preuve en est, le groupe d’Olivier Marleix a déposé, loin devant les autres, 305 amendements « identiques » à ceux du RN. Ce qui tend à montrer une forte convergence sur le fond.
Durant cette première année de législature qui a vu la tenue de 14 scrutins solennels (c’est-à-dire des scrutins sur l’ensemble d’un texte), le RN a voté pour les projets de loi déposés par l’exécutif dans 42 % des cas. Parmi les groupes d’opposition, seul le groupe LR a voté plus souvent que le groupe RN à l’unisson avec la majorité (relative) présidentielle. 
À l’inverse, La France insoumise (LFI) et les écologistes n’ont jamais voté en faveur d’un texte du gouvernement, tandis que le groupe socialiste est plus partisan de l’abstention sur certains textes (loi de programmation militaire, projet de loi sur le nucléaire, loi sur le pouvoir d’achat…), et a voté pour le projet de loi sur les énergies renouvelables. 

© Infographie Mediapart

Afin de tordre le cou à la petite musique distillée par le camp macroniste selon laquelle « l’extrême gauche » (sic) – à savoir la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et plus spécifiquement sa composante insoumise – et l’extrême droite auraient le plus de votes communs, LFI a publié ses chiffres : les députés mélenchonistes n’auraient ainsi voté comme le RN que dans 23 % des cas, notamment sur les textes sanitaires.
Un opposant… qui s’oppose peu
Bien que premier opposant en nombre de députés, le groupe dirigé par Marine Le Pen s’est montré en soutien de la plupart des principaux textes économiques et sociaux portés par le camp présidentiel. Il s’est aussi opposé à deux mesures symboliques proposées par la gauche : l’augmentation du Smic et le retour de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
Le vote inaugural, l’été dernier, de la loi « pouvoir d’achat » a donné le ton de cette législature, lors de laquelle le RN est régulièrement venu en renfort de la majorité relative – contrairement à la Nupes, qui a refusé de soutenir ce texte n’abordant pas la question de la hausse des salaires. Avançant que « de maigres mais réels petits gains de pouvoir d’achat » étaient toujours bons à prendre pour le portefeuille des Français, le groupe d’extrême droite a voté à l’unisson avec Renaissance en faveur de la loi. 
Il s’est même montré proactif sur la proposition de suppression de la redevance télévisuelle au moment du projet de loi de finances rectificative (PLFR) qui a été examiné dans la foulée.
Lors de l’examen des lois budgétaires – qui ont finalement été entérinées viaune série de 49-3, mais ont toutefois donné lieu à des scrutins publics sur quelques amendements –, le RN s’est opposé, là encore avec les macronistes et les LR, au retour de l’ISF. Il s’est aussi associé à la gauche, aux LR et à certains députés Renaissance pour faire passer un amendement du MoDem sur la taxation des « superdividendes ». 
Sur la réforme de l’assurance-chômage à l’automne, le RN a, là encore, joué double jeu. Si la députée Laure Lavalette s’est fendue, en introduction des débats, d’un discours dénonçant la « brutalité » du texte « à destination des chômeurs [qui sont des personnes qui ont] une vie, un frigo à remplir, des enfants à élever et des passions à faire vivre », les élus d’extrême droite se sont livrés à une surenchère répressive dans l’hémicycle, notamment à l’égard des demandeurs d’emploi étrangers, et ont finalement rejeté la réforme du fait de son manque de fermeté.
Fin novembre, le RN a aussi enterré, main dans la main avec LR et la majorité présidentielle, la proposition d’augmenter le Smic à 1 600 euros – une mesure examinée en commission dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire de LFI. Il a en revanche voté pour la proposition de loi visant à assurer un repas à un euro pour tous les étudiants dans la « niche » du PS – refusée à une voix près. 


Vote d’un député RN à l’Assemblée nationale en mars 2023. © Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP

Sur la réforme des retraites, qui a occupé la majeure partie du temps parlementaire durant deux mois, le RN est apparu très en retrait : peu de prises de parole dans l’hémicycle face à une Nupes à l’offensive, seulement 200 amendements déposés (soit 100 fois moins que la gauche), si ce n’est pour déplacer le débat sur une pseudo-relance de la natalité… 
Là encore bien à rebours de l’image de Marine Le Pen, qui s’est affichée pendant la présidentielle comme la« candidate du peuple » contre le « président des riches », le groupe d’extrême droite a voté en faveur de la loi anti-squat, mais aussi, de manière plus surprenante encore au vu de la géographie du vote RN en France, contre l’amendement du socialiste Guillaume Garot visant à réguler l’installation des médecins dans les déserts médicaux.  
Amendements : des trous dans le « cordon sanitaire »
Si peu d’amendements déposés par le RN ont été adoptés par l’Assemblée nationale, il est intéressant de noter que le groupe d’extrême droite parvient, sur certains textes, à attirer des voix d’autres groupes politiques. 
Le groupe Les Républicains a par exemple voté de nombreux amendements RN qui visaient à combattre le développement de l’éolien dans le cadre du projet de loi sur les énergies renouvelables. Autre exemple : l’amendement du député Victor Catteau visant à exclure la « prime Macron » des négociations salariales dans les entreprises, lors de la loi « pouvoir d’achat », a été voté par 12 membres du groupe LR, tandis que 14 ont voté « contre ». 
Chez LR, plusieurs députés votent même régulièrement des amendements déposés par le RN. Si certains sont des amendements mis en discussion commune, car identiques ou similaires à ceux déposés par d’autres groupes, d’autres sont « purement » RN. 
Recordman en la matière, Maxime Minot, député LR de l’Oise, a voté 28 amendements déposés par le groupe d’extrême droite depuis juin 2022, parfois contre l’avis de son propre groupe. Lors de la niche parlementaire du Rassemblement national, Maxime Minot était même monté à la tribune pour annoncer le soutien de son groupe à une proposition de loi pour le retour de l’uniforme à l’école : « Ensemble, de manière transpartisane, nous pouvons enfin favoriser le retour de l’ordre, d’une véritable sécurité, du respect de la laïcité et de l’égalité à l’école », avait-il déclaré.

© Infographie Mediapart

Chez Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot), groupe plus hétérogène et à la discipline de vote moins affirmée, Christophe Naegelen a voté 13 fois des amendements déposés par le RN. Joint par Mediapart, ce dernier avance qu’il regarde « le fond » des amendements et non le nom du dépositaire. « Dès lors qu’une proposition est bonne, je ne regarde pas qui en est l’auteur », assume-t-il, estimant par ailleurs qu’« ostraciser [le RN] est une mauvaise idée ».
Plus étonnant, le député socialiste Alain David a voté, à quatre reprises, des amendements RN au cours de l’année écoulée. Une singularité qui « étonne » au sein de ce groupe membre de la Nupes qui indique se « désolidariser » de ces votes et rappelle que la consigne est claire : ne voter aucun amendement, aucune proposition de loi ou aucune motion de censure venant de l’extrême droite.
Interrogé par Mediapart, Alain David, qui rappelle être un « fervent opposant de toujours à l’extrême droite », reste néanmoins flou sur les raisons qui l’ont poussé à voter de la sorte, arguant d’un manque d’attention au moment des scrutins – il n’a toutefois pas réalisé de correctif après les votes, comme les députés peuvent le faire – et du fait que les amendements n’avaient « rien de problématique en soi ». « Ce sont quatre amendements sur des centaines que l’on a votés », relativise-t-il par ailleurs.
Le 24 octobre, après l’activation du 49-3 sur le budget, le député insoumis ultramarin Jean-Philippe Nilor a quant à lui voté la motion de censure déposée par le RN. « Il est élu de Martinique et, là-bas, le rejet du gouvernement est fort », l’a-t-on excusé dans son groupe.
Si quelques « trous dans la raquette » sont donc à noter, un cap a été franchi le 23 mars. Ce jour-là, en pleine mobilisation contre la réforme des retraites, les macronistes ont adopté un amendement du RN, cosigné par un député Liot et un autre du MoDem, visant à privilégier les entreprises nationales et européennes dans l’exploitation des données de vidéosurveillance lors des JO de 2024.
Une « honte », un « point de bascule », une inquiétante « dérive », a unanimement condamné la gauche. Droit dans ses bottes, le député centriste Philippe Latombe, membre de la majorité présidentielle, a en retour dénoncé ces « mesdames et messieurs les censeurs », qui feraient fi de « l’intérêt général ». 
Philippe Latombe a en outre souligné que c’est en tant que président du groupe d’études sur le numérique à l’Assemblée (lui en est vice-président) que le député RN Aurélien Lopez-Liguori avait présenté cet amendement « technique ». Autrement dit : un travail de coproduction législatif avec l’extrême droite n’a, selon lui, rien de déshonorant quand c’est pour la bonne cause… 
Des prises de parole réservées à quelques-uns
Mediapart a également compilé et analysé tous les comptes-rendus de séance de l’Assemblée nationale depuis le mois de juin 2022. Sans surprise, les deux députés RN qui prennent le plus la parole sont les deux vice-présidents de l’Assemblée, Sébastien Chenu et Hélène Laporte, qui conduisent souvent les débats dans l’hémicycle.

© Infographie Mediapart

Le parti s’appuie ensuite sur un petit groupe d’orateurs et oratrices qui interviennent régulièrement, dont bien évidemment Marine Le Pen, qui a pris la parole 298 fois en un an. L’ancienne candidate à la présidentielle est cependant largement devancée par Jean-Philippe Tanguy, principal orateur du groupe avec 528 interventions en séance, et immédiatement suivie par Laurent Jacobelli (294 interventions), tous deux formés par la couveuse de Debout la France (DLF), le parti de Nicolas Dupont-Aignan.
A contrario, une grande quantité de députés RN ne parlent quasiment jamais. Ils sont 35, soit 40 % des membres du groupe d’extrême droite, à avoir pris la parole moins de 30 fois en un an, contre seulement 10 députés LFI et 14 députés LR. 
Outre les prises de parole, les comptes-rendus narrent, loin de l’image policée que le RN tente de se donner au Palais-Bourbon, les nombreuses invectives qui émaillent les séances. Le RN dispose même d’un spécialiste en la matière : Jocelyn Dessigny. Le député de l’Aisne cumule pas moins de 1 507 interruptions d’autres élus en un an de mandat, dont une grande partie d’invectives des orateurs d’autres bords politiques. 
Le 7 juin 2023, il a lancé à Mathilde Panot, présidente du groupe LFI : « Arrête de parler, poissonnière ! »Malgré ses excuses dans l’hémicycle, le député RN a écopé d’un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal et d’une privation, pendant un mois, du quart de son indemnité parlementaire. 
L’analyse des prises de parole des députés RN permet de remarquer une habitude tenace : la répétition, très régulière, du nom de Marine Le Pen dans les interventions orales. Théo Delemazure, doctorant en informatique à l’université Paris-Dauphine, a fait les comptes : son nom a été prononcé plus de 250 fois en un an par les députés de son camp. 
Un matraquage qui contraste avec les habitudes des autres groupes d’opposition, qui parlent beaucoup plus d’Emmanuel Macron que de leur propre leader. Une façon, surtout, pour les élus d’extrême droite, de répéter à la moindre occasion : « Quand Marine Le Pen sera présidente… »