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« Le dernier soir » d’une militante radicale pour le suicide assisté

Thomas Misrachi, journaliste et membre de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, raconte dans un livre l’acte militant de Jacqueline Jencquel, qu’il a accompagnée quand elle a souhaité mettre fin à ses jours, en 2022, malgré sa bonne santé. L’auteur risque des poursuites judiciaires.

Par Claire Gatinois et Béatrice Jérôme

 

Jacqueline Jencquel, alors vice-présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), à Paris, le 2 novembre 2016.

Jacqueline Jencquel, alors vice-présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), à Paris, le 2 novembre 2016. LEON TANGUY / MAXPPP

 

Il est arrivé le cœur presque léger pour parler de la mort. De la sienne, qu’il a programmée, dit-il, à 75 ans. Et de celle de son « amie » et militante, Jacqueline Jencquel, défenseuse radicale du suicide assisté, qui a mis fin à ses jours en mars 2022, à 78 ans, sans souffrir d’aucune pathologie incurable. Ce matin de mi-janvier, Thomas Misrachi, 52 ans, grand reporter chez TF1, nous reçoit dans un café du Marais, à Paris, pour parler de son livre Le Dernier Soir (Grasset, 144 pages, 16 euros), qui paraîtra le 24 janvier, et où il raconte les dernières heures de cette femme pour qui il a eu, dit-il, un « coup de foudre amical », quatre ans avant son décès.

Un « objet littéraire », juge-t-il, citant son éditeur, où les noms des uns et des autres ont été transformés mais où la réalité est à peine romancée. Une bombe, il le sait. En tenant la main de Jacqueline Jencquel, jusqu’à son dernier souffle, assistant sans mot dire à ses derniers instants, l’observant, impassible, avaler une potion létale qu’elle conservait soigneusement depuis dix ans dans ses armoires, Thomas Misrachi risque la prison, pour « non-assistance à personne en danger ». « Cinq ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende », récite-t-il, auquel s’ajoute le délit potentiel de « promotion du suicide », précise-t-il.

 

Mais, en ce matin glacial de janvier, un nuage noir a quitté son ciel d’homme tourmenté. Le quinquagénaire montre sur son smartphone le message de l’un des fils de Jacqueline Jencquel qui, après avoir lu son manuscrit, lui assure être non pas « jaloux » du rôle joué par l’auteur mais « admiratif ». « Si ça passe avec lui, ça ira avec les deux autres fils », imagine-t-il. Le fils n’ignorait rien du projet de sa mère, qui expliquait, en 2018, sur le site Konbini, vouloir en finir avant d’échouer « dans un mouroir », à savoir un Ehpad. « Faire l’amour avec un mec qui a un bide énorme (… ) ça ne m’intéresse plus », arguait-elle, face caméra.

« J’étais un criminel en devenir »

Jacqueline Jencquel est alors une cheville ouvrière de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), bête noire des opposants à l’aide active à mourir. « Une guerrière qui tenait à se faire appeler d’un prénom masculin : Jack », se souvient Jean-Luc Romero-Michel, président d’honneur de l’association, dans son livre Le Serment de Berne(L’Archipel, 2023).

Il précise toutefois aujourd’hui au Monde, inquiet de l’effet contre-productif que pourrait avoir ce livre sur le combat de son association : « Je salue son engagement au sein de l’ADMD mais le combat personnel de Jacqueline Jencquel n’est pas aujourd’hui emblématique de la loi que nous souhaitons. Ce n’est pas parce qu’on se sent trop vieux, encore moins parce qu’on n’a plus d’argent, qu’on pourrait prétendre à être aidé à mourir. »

La militante comptait aller en Suisse, où la législation permet le suicide assisté. Et imaginait baisser le rideau en 2020, à 75 ans. Mais la pandémie de Covid-19 et la naissance d’un petit-enfant bouleversent ses plans. Jacqueline Jencquel passe à l’acte en 2022, chez elle, et avertit par téléphone le journaliste : « C’est ce soir, tu viens ? » Thomas Misrachi lui a promis. Mais elle a tant de fois reculé… Ce soir-là, Jacqueline Jencquel s’empare des pilules. « C’est la première fois que je l’ai vue avoir peur », nous raconte-t-il. « La vérité, c’est que tout cela était aussi une question d’argent, c’est ce qu’elle me dit. “Je n’en ai plus. Plus beaucoup, plus assez” », relate-t-il, dans son livre.

« Liberté ultime »

Tous deux ont élaboré un plan, comme on préparerait un cambriolage, pour que rien ne dérape. « Dans la France de ce soir-là, j’étais un criminel en devenir, écrit-il. (…) Il fallait que je devienne un fantôme, moi qui allais survivre à cette soirée. » Lorsque la septuagénaire envoie, quelques minutes avant son trépas, sa dernière note de blog au Temps, journal suisse, elle assure : « Je meurs seule. C’est vrai. Mais je suis chez moi. » Un mensonge post-mortem, visant à le protéger, sans doute.

Epoustouflé que Jacqueline Jencquel ait atteint la « liberté ultime », selon lui, Thomas Misrachi ne ressent ni regret ni tristesse lorsqu’il referme la porte de l’appartement cossu du 6e arrondissement de Paris. « A aucun moment je n’aurais eu le culot, la bêtise de lui imposer de faire autre chose. C’était mon amie », appuie-t-il. Lorsqu’il ose raconter à ses proches cette soirée clandestine, il s’entend répondre : « Tu es fou. » Il acquiesce. Mais, au fil des mois, les souvenirs s’évaporent. Alors il écrit. Tout. Très vite. Quelque 135 pages pianotées sur son téléphone portable lors d’un été au Maroc, qu’il intitule « Un acte militant » et qu’il décrit comme « un hymne à elle ».

Le grand reporter, père d’une petite fille, a commencé à cotiser à l’ADMD en 2019. Mais Thomas Misrachi pense depuis longtemps à la façon dont il veut quitter ce bas monde. La mort qu’il côtoie lors de ses reportages lui fait horreur, tout comme la vieillesse, qu’il traduit par « dépendance », « bave » et dégradation mentale et physique. La mort, il veut qu’elle soit belle. Paisible. Programmée.

« On n’enlève rien à personne »

Ce récit doit alimenter un « débat sociétal », pense-t-il, même si la situation est loin de celle envisagée par les défenseurs d’une loi sur la fin de vie. « On n’enlève rien à personne, on ajoute un choix. Je ne fais pas de prosélytisme de l’euthanasie. Je veux la liberté, je ne veux pas la mort », clame-t-il. « Quand la mort est la seule issue, quand la déchéance est la seule perspective, on doit pouvoir choisir sa mort », pousse-t-il.

Emmanuel Macron, à qui le journaliste a envoyé son ouvrage dédicacé d’un « Courage ! », s’est engagé à faire évoluer la législation sur la fin de vie. Mais le texte attendu en ce début d’année ne répondra pas aux attentes du reporter. L’aide à mourir, selon l’avant-projet de loi déposé sur le bureau du chef de l’Etat, pourrait être accordée, sous réserve d’une décision médicale, à des personnes souffrant de maladies incurables, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme (six à douze mois) et ayant des douleurs et des souffrances inapaisables.

 

Nulle part il n’est question de considérer la vieillesse comme « une maladie irréversible et invalidante », comme Thomas Misrachi le pense. Le gouvernement doit légiférer « d’une main tremblante » sur ce sujet, a prévenu Catherine Vautrin, la nouvelle ministre du travail, de la santé et des solidarités, lors d’un entretien sur Europe 1-CNews le 17 janvier.

« Le Dernier Soir », de Thomas Misrachi. <img src="https://jpcdn.it/img/r/664/443/13a78997ea391067f335f7a9f8375603.jpg" alt="« Le Dernier Soir », de Thomas Misrachi.">  « Le Dernier Soir », de Thomas Misrachi. GRASSET