JustPaste.it

Une sécheresse critique s’installe durablement dans le bassin méditerranéen

 

L’Espagne, le sud de la France, la majorité de l’Italie, Malte, Chypre, une partie de la Roumanie, de la Grèce ou de la Turquie : le manque d’eau oblige déjà à des rationnements et affecte l’agriculture et le tourisme.

Par Martine Valo

 

Les paroissiens de Perpignan ont décidé de s’en remettre une nouvelle fois à sant Galdric, saint patron des Catalans, afin de faire enfin tomber la pluie sur les Pyrénées-Orientales. Le dimanche 10 mars, pour la deuxième année consécutive, ils ont organisé une procession dans les rues de la ville. Dans l’extrême sud de la France, comme dans tout l’ouest du bassin méditerranéen, la sécheresse s’est installée.

Les relevés météorologiques ne risquent pas de tempérer l’inquiétude générale.

« Vingt-deux mois déficitaires en précipitations depuis début 2022 : les Pyrénées- Orientales connaissent une sécheresse historique en durée et en intensité, la plus sévère depuis nos premiers enregistrements qui datent de 1959, résume Simon Mittelberger, climatologue à Météo-France. L’hiver 2023-2024 a été encore plus sec que le précédent et enregistre 55 % de déficit. »

Du Maghreb à l’Italie, en passant par l’Algarve, dans le sud du Portugal, toute la côte est de l’Espagne, les Baléares, l’extrême sud de la France, la Sicile, la Sardaigne, Malte et jusqu’en Crète, le constat s’impose : la situation actuelle ne relève pas d’un épisode exceptionnel lié aux températures record – même si les trois derniers mois se distinguent comme l’hiver le plus chaud jamais enregistré à l’échelle mondiale –, mais d’un phénomène durable.

 

Série de restrictions d’eau

 

Le sud de l’Europe vit sa deuxième année sèche consécutive ; le Maroc affronte la sixième sans précipitations ou presque. Le niveau de remplissage moyen des barrages y atteint difficilement 23 %. Le deuxième plus important du pays, Al- Massira, qui dessert la région de Casablanca, est presque vide. Mi-février, le ministre de l’équipement et de l’eau, Nizar Baraka, a déclaré que, depuis septembre 2023, les pluies étaient inférieures de 70 % à la moyenne, ce qui a entraîné l’interdiction d’utiliser de l’eau potable pour arroser les parcs et nettoyer les rues, entre autres.

 

L’Algarve, la Sardaigne et la Sicile ont aussi durci leurs mesures de restriction en ville et dans les jardins. La Catalogne, confrontée à sa « pire sécheresse depuis un siècle », selon le président du gouvernement régional Pere Aragonès, est placée en état d’urgence depuis le 1er février, ce qui a déclenché une série de restrictions sur la consommation de la ressource. Barcelone s’apprête à aller chercher de l’eau douce en bateau jusqu’à Valence et elle est en train de se doter de deux grandes usines de dessalement d’eau de mer pour approvisionner ses habitants. Dans tout le Maghreb, les gouvernements annoncent, eux aussi, de nouvelles infrastructures de ce type (huit usines au Maroc, sept en Tunisie) et des transferts d’eau entre régions plus ou moins déficitaires.

Après les températures extrêmement élevées qui ont marqué l’année 2023, 2024 débute dans des « conditions critiques » de sécheresse dans le bassin méditerranéen, observent les scientifiques du Centre commun de recherche de la Commission européenne (JRC, selon son acronyme anglais) dans un rapport sur ce phénomène publié le 20 février. En s’appuyant sur les indicateurs de leur Observatoire européen de la sécheresse, fondé sur l’exploitation des images satellites du programme européen Copernicus, ils évoquent même un état d’alerte pour le sud et l’est de l’Espagne, le sud de la France, la majorité de l’Italie, Malte, Chypre, une partie de la Roumanie, de la Grèce et de la Turquie. Globalement, tout l’ouest du bassin méditerranéen est frappé de plein fouet. Le JRC insiste sur l’extrême gravité de la situation au Maghreb.

Risques très élevés d’incendies

Combinaison du manque de précipitations et des températures élevées depuis au moins deux ans, les sols présentent des taux d’humidité insuffisants dans la majeure partie de la région. L’impact sur le développement de la végétation est déjà bien visible, dans le sud de l’Espagne, de l’Italie, et à Malte. De surcroît, fin janvier, le niveau du manteau neigeux était bien inférieur à sa moyenne habituelle dans les montagnes transalpines (– 63 % par rapport à la période 2011- 2022), note le rapport. Résultat : ces réserves d’eau douce vont fatalement manquer au moment de soutenir les débits des rivières, au printemps et à l’été. Enfin, les anomalies de température, la sécheresse des sols et celle des arbres ne peuvent que favoriser les incendies, préviennent les rapporteurs. Ils alertent sur un danger « très élevé », voire « extrême » en Afrique du Nord, et « modéré à fort » dans le sud-est de l’Espagne.

Moins de piscines, de fontaines, de douches de plage, le tourisme va probablement être affecté par toutes ces pénuries et, avec lui, l’économie de plusieurs de ces pays méditerranéens. Ce n’est qu’une des dimensions du phénomène. La sécheresse aiguë se traduit, dans certaines régions agricoles, par une inévitable réduction des superficies irriguées pour cause de barrages presque vides.

 

Mais elle suscite, en même temps, des prélèvements de plus en plus profonds dans des nappes souterraines qui ne se renouvellent pas, notamment au Maroc. Le procédé n’est pas durable. En outre, la baisse du débit des fleuves dans les deltas laisse remonter le sel dans les terres. Fruits, avocats, céréales, pastèques, tomates, miel et élevage ovin... toutes ces productions qui alimentent les marchés européens ont besoin d’eau. Alors que les récoltes d’olives se sont effondrées en Espagne, premier producteur mondial, et en Italie, les cours de l’huile se sont mis à flamber, ils ont doublé en un an.

En 2022, la Conférence des parties sur le climat (COP27), qui s’est tenue en Egypte, accueillait pour la première fois un pavillon méditerranéen, à l’initiative de l’Union pour la Méditerranée et du plan d’action pour la Méditerranée du Programme des Nations Unies pour l’environnement. Des scientifiques s’y sont succédé pour évoquer l’urgence de la situation. Auparavant, ces organisations avaient soutenu la réalisation d’un important travail de synthèse intitulé MAR1, issu de huit cents experts du changement climatique et environnemental – le réseau MedECC.

 

Tempêtes extrêmes

 

Cet imposant diagnostic, publié en 2020, conclut que le bassin méditerranéen est un des endroits de la planète parmi les plus affectés par l’évolution du climat. A son sujet, selon ce rapport, « les modèles projettent une diminution constante des précipitations au cours du XXIe siècle ». Pour le climatologue Joël Guiot, directeur de recherche au CNRS au Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement, et coordinateur du réseau MedECC : « La situation actuelle confirme les analyses de MAR1. La surface de la Méditerranée devrait, d’ailleurs, continuer de se réchauffer. »

La température de la mer constitue un des éléments d’une situation globale qui correspond aux prévisions des chercheurs. « Nous observons, depuis 2017, que la zone des hautes pressions des Açores s’est déplacée au-dessus du Maroc, de l’Espagne, du sud de la France, de l’Italie. L’est de la Méditerranée est moins concerné, expose Davide Faranda, chercheur CNRS, climatologue à l’Institut Pierre-Simon Laplace. Le bassin, fermé, a tendance à stocker la chaleur de l’eau, ce qui contribue à maintenir en moyenne un anticyclone stationnaire. Cela empêche les pluies d’automne et d’hiver associées aux dépressions d’origine atlantique de se produire, mais cela favorise, en revanche, la formation d’orages. »

Lire aussi : La sécheresse affecte plus de 1,8 milliard de personnes à travers le monde

Sécheresses et tempêtes extrêmes sont les deux faces d’un même phénomène. En septembre 2023, « l’ouragan » méditerranéen nommé Daniel a entraîné la rupture de deux barrages à Derna, en Libye, causant près de 6 000 morts et
8 000 disparitions, puis de fortes inondations en Grèce. Mais pour le reste des précipitations,
« cette saison, leur couloir préféré passe par l’Ecosse, la Manche et le nord de la France », glisse le climatologue. De tous les phénomènes météorologiques extrêmes, la sécheresse est « celui qui lui fait le plus peur », confie-t-il. Parmi les potentielles solutions d’adaptation, Davide Faranda envisage des changements de pratiques culturales ou des grands transferts d’eau du nord au sud de l’Europe. « L’important, c’est que les décisions soient prises rapidement », estime-t-il.

 

Lire aussi | En 2023, une sécheresse sans fin dans les Pyrénées- Orientales