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Loi européenne sur le viol : « Macron est sur la même ligne qu’Orbán, c’est une honte »

Loi européenne sur le viol : « Macron est sur la même ligne qu’Orbán, c’est une honte »

La France refuse de voter pour une directive qui instaure une définition du viol fondée sur l’absence de consentement. L’eurodéputée suédoise Evin Incir, corapporteure du texte, appelle le président à ne plus bloquer « la loi la plus importante pour les femmes ». 

Sarah Brethes

Mediapart, 20 janvier 2024 à 15h46

 

 

C’est un texte qui pourrait changer la donne pour des centaines de milliers de femmes victimes de violences en Europe… mais qui reste bloqué depuis des mois à Bruxelles, en raison notamment de l’opposition de l’exécutif français.

 

Cette directive « sur la lutte contre les violences faites aux femmes et la violence domestique », présentée par la Commission européenne en mars 2022, vise à interdire les mariages forcés, les mutilations génitales, le harcèlement sexuel ou encore la stérilisation forcée, mais, surtout, à instaurer une définition commune du viol, fondée sur l’absence de consentement. Cette harmonisation législative entraînerait aussi une convergence des sanctions au niveau européen.  

 

Un bras de fer s’est noué autour de l’article 5 du projet de loi, qui estime qu’il suffit que la victime « n’ait pas consenti à l’acte sexuel » pour que le crime de viol soit caractérisé. « Seule cette dernière approche permet la protection complète de l’intégrité sexuelle des victimes », précise le texte. Pour justifier son opposition, l’exécutif français, qui a désormais pouvoir de vie ou de mort sur le texte, invoque des motifs juridiques contestés jusque dans sa majorité à Strasbourg.

 

 

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Une manifestation féministe à Paris le 25 novembre 2023. © Photo Fiora Garenzi / Hans Lucas via AFP

 

Fait qui mérite d’être souligné : les eurodéputé·es macronistes se sont fendu·es d’une tribune en décembre pour appeler Emmanuel Macron et son gouvernement à changer de position. Les élu·es de la majorité présidentielle joignaient ainsi leurs voix aux très nombreux politiques, avocates, magistrat·es, militantes et personnalités qui appellent depuis des mois à cesser de bloquer cette directive européenne cruciale.

 

Cruciale notamment pour la France, qui fait désormais partie de la minorité d’États européens qui n’ont pas encore introduit cette notion de consentement dans leur Code pénal – l’Allemagne, qui s’oppose aussi à la directive pour des raisons de souveraineté juridique, a déjà changé sa législation sur le viol en 2016, tout comme l’Espagne, la Belgique, la Suède ou encore le Danemark.

En France, le viol reste défini comme un acte sexuel commis sous « la menace, la contrainte, la surprise ou la violence ». Une définition très restrictive qui a des conséquences directes sur le traitement des plaintes pour viol : 74 % sont classées sans suite, et, selon la dernière enquête de victimation de l’Insee, seulement 0,6 % des viols ou tentatives de viol auraient donné lieu à une condamnation en 2020.

 

L’eurodéputée sociale-démocrate suédoise Evin Incir, corapporteure du texte au Parlement européen, appelle Emmanuel Macron à ses responsabilités.

 

Mediapart : Les positions des 27 États membres sur l’article 5 de la directive, qui prévoit de définir le viol sur la base de la notion de non-consentement, ont-elles évolué ?

Evin Incir : Oui, de plus en plus de pays sont passés dans le camp du oui ces derniers mois. Nous venons d’apprendre que la Pologne, qui a un nouveau gouvernement progressiste, est le 15pays à se ranger de notre côté. Hélas, la France, l’Allemagne et la Hongrie, qui sont contre, disposent aujourd’hui d’une minorité de blocage.

 

Macron se retrouve ainsi sur la même ligne qu’Orbán. C’est une honte, surtout quand on se souvient de ses discours au moment de la présidence française de l’Union européenne, en 2022, où il plaidait pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

 

Comment Macron, qui revendique la lutte contre les violences envers les femmes comme une priorité, envisage de faire entrer l’accès à l’IVG dans la Constitution, se retrouve-t-il à bloquer le texte européen le plus important pour les droits des femmes depuis des années ?

 

Les mots ne suffisent pas, car on ne sauve pas des vies de femmes avec des mots. Il faut passer à l’action, avec des changements politiques et législatifs.

 

Il est aussi important de préciser que l’article 5, qui prévoit une définition légale du viol basée sur la notion de consentement, et directement basée sur la Convention d’Istanbul, a été ratifié par la France.

 

Pourquoi Macron s’oppose à [cette directive], alors qu’il prétend être féministe ?

 

L’exécutif français semble estimer que la définition de la directive aujourd’hui en discussion à Bruxelles et celle de la Convention d’Istanbul sont différentes…

La Convention d’Istanbul peut être interprétée de différentes façons. Mais il y a un standard minimum autour de la notion de consentement. Après, on peut aller encore plus loin. Mon pays, la Suède, a par exemple voté en 2018 une législation très progressiste sur le sujet.

 

Un ou deux ans après, les condamnations pour viol ont augmenté de 75 % et les dépôts de plaintes de 500 % ! En France, je crois que vous n’êtes même pas à 1 % des plaintes qui aboutissent sur des condamnations ! Et un récent rapport a montré qu’au niveau européen, seules 0,5 % des plaintes en moyenne mènent à des condamnations.

 

On peut donc dire qu’il y a une impunité en Europe. Dans tous les pays où la législation a changé, les condamnations ont augmenté. Et aussi les plaintes, car les femmes se disent que ça sert à quelque chose de signaler ces agressions.

 

Comment expliquez-vous le refus de la France, sachant que même les eurodéputé·es de la majorité macroniste ont appelé l’exécutif français à passer dans le camp du oui ?

C’est à Macron qu’il faut poser la question. Pourquoi s’opposer à une définition du viol fondée sur le consentement, alors qu’il prétend être féministe et promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes ? Pourquoi s’opposer alors que la France a ratifié la Convention d’Istanbul qui entérine cette notion de consentement ? Il dit qu’il n’y a pas de base légale pour mettre en place une législation européenne sur le viol. C’est faux.

 

Les services du Parlement européen, comme les conseillers de la Commission européenne, estiment que les bases légales existent pour instaurer une législation unique sur le viol. Car c’est un crime grave, qu’on retrouve dans tous les pays d’Europe – une femme sur trois en moyenne y est victime d’agression sexuelle –, qui relève de l’exploitation sexuelle et qui figure dans le champ de compétence européen [comme d’autres sujets tels que le terrorisme ou la corruption – ndlr].

Je sais que Macron a dit que le viol ne relevait pas de l’exploitation sexuelle. Mais qu’est-ce donc que le viol si ce n’est pas de l’exploitation sexuelle ?

 

Si la France change d’avis, cela sera-t-il suffisant puisque l’Allemagne – qui dispose déjà d’une législation progressiste sur le viol – et la Hongrie sont dans le camp du non ?

Oui, si la France dit oui, cela suffira à avoir une majorité. En Allemagne, c’est le Parti libéral qui bloque, à cause du ministre de la justice, Marco Buschmann, qui est aussi contre. Encore une fois, c’est incompréhensible de voir un libéral être dans le même camp qu’Orbán.

 

Nous pensons vivre dans un monde moderne, mais il y a en réalité beaucoup de choses à changer.

 

La directive européenne dans son ensemble est-elle menacée, ou seulement l’article 5 sur le viol ?

Toute la question est : que va contenir cette directive ? Pour envoyer un vrai signal aux femmes, le signal que l’on prend leur vie au sérieux, il faut une législation sérieuse. Donc tout dépendra de l’accord qui sera trouvé à l’issue des négociations avec les représentants des États.

Mais je peux vous assurer que si on va dans la rue et qu’on pose cette question aux femmes : « Pensez-vous qu’une directive européenne qui a pour objectif de lutter contre les violences envers les femmes mais ne comporte aucune clause sur le viol est une bonne directive ? », aucune ne répondra oui.

 

Dans les discussions, il y a d’un côté les États et de l’autre le Parlement. Nous devons nous mettre d’accord sur ce que ça doit contenir.

 

Mais au Parlement, il y a une immense majorité, de la gauche à la droite, qui est favorable à une directive contenant l’article 5, avec la définition du viol fondée sur le consentement. Seule l’extrême droite est contre. Macron se retrouve donc du côté de l’extrême droite.

Il faut garder en tête que dans les pays où la définition pénale du viol n’est pas fondée sur le consentement, on considère, au fond, que les femmes restent la propriété des hommes. Nous pensons vivre dans un monde moderne, mais il y a en réalité beaucoup de choses à changer.

 

Stéphane Séjourné, eurodéputé qui a défendu l’article 5, a été nommé ministre des affaires étrangères lors du dernier remaniement. Est-ce une bonne nouvelle ?

J’espère que c’est une bonne nouvelle. J’espère qu’il va être aussi clair sur sa position en tant que ministre des affaires étrangères qu’il l’était en tant que député européen. J’encourage vivement Stéphane Séjourné à se battre pour ce à quoi il croit.

 

Il a la possibilité de convaincre Macron et, dans sa nouvelle position, de rendre possible le changement qu’il réclamait en tant que membre du Parlement européen.

 

 

Combien de temps reste-t-il pour sauver cette directive ?

Très peu de temps. Le prochain trilogue [négociation réunissant des représentants des trois institutions européennes, Commission, Conseil et Parlement – ndlr] devrait avoir lieu début février. S’il y a un accord, le texte devra être voté avant les élections européennes qui se tiennent en juin. Si ce n’est pas le cas, la Hongrie prendra la présidence le 1er juillet.

 

Durant ces six mois de présidence, nous devrons nous battre pour défendre les droits humains, et notamment les droits des femmes. Car des gens comme Orbán, la première chose qu’ils font quand ils sont au pouvoir, comme il l’a fait en Hongrie, c’est attaquer les droits des femmes, des personnes LGBT et des minorités.

 

J’espère que Macron va retrouver ses esprits avant qu’il ne soit trop tard. Afin qu’il se place du bon côté de l’Histoire, et pas du mauvais.

 

En Suède, il y a eu beaucoup de débats avant le changement de la loi. Les opposants demandaient : « Faudra-t-il signer un contrat prouvant le consentement » avant d’avoir une relation ? Ces débats ont eu lieu dans tous les pays qui ont fait avancer les choses.

 

C’est facile de regarder ce qui s’est passé ensuite dans ces pays, on n’est pas en train d’inventer la roue ! Il suffit de regarder juste à côté et d’apprendre de ses voisins.