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Déficit : comment Bercy justifie un dérapage « très, très rare »

Déficit : comment Bercy justifie un dérapage « très, très rare »

 

Alors que le déficit public a été établi ce mardi à -5,5 % pour 2023, bien loin de l'objectif du gouvernement, celui-ci se retrouve sur le banc des accusés. Bruno Le Maire met en avant une baisse des recettes fiscales inattendue. A droite, LR accuse Bercy d'avoir dissimulé des informations.

 

Bercy explique le dérapage du déficit 2023 par des rentrées fiscales très inférieures aux attentes.Bercy explique le dérapage du déficit 2023 par des rentrées fiscales très inférieures aux attentes. (ROMUALD MEIGNEUX/SIPA)

 

Par Renaud HonoréSébastien Dumoulin

 

Publié le 26 mars 2024 à 17:32 Mis à jour le 26 mars 2024 à 17:41

 

C'est un dérapage comme on en voit rarement. « Pas tout à fait inédit mais très, très rare », comme en a convenu ce mardi sur France Inter le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. Avec l'officialisation d'un déficit bien plus élevé que prévu pour 2023, la crédibilité budgétaire de Bercy est mise en doute et place le ministre des Finances Bruno Le Maire sur la défensive.

 

Le solde des comptes publics s'est finalement établi à -5,5 % du PIB, a fait savoir l'Insee, alors que le gouvernement espérait encore 4,9 % il y a quelques semaines. Cela représente un trou d'environ 16 milliards, pas l'épaisseur du trait ! « Un écart de 0,3 point de PIB, cela reste dans le domaine du normal. Mais ici, avec un trou de 0,6 point, ça pose question », estime François Ecalle, fondateur du site spécialisé Fipeco.

 

21 milliards de recettes évaporées

Pour justifier cette situation, Bruno Le Maire a mis en avant « des circonstances exceptionnelles qu'il faut bien analyser » : « La croissance a été au rendez-vous, mais pas les recettes fiscales », a-t-il expliqué. Par rapport aux dernières estimations réalisées fin décembre - il y a seulement trois mois - les rentrées d'argent dans les caisses publiques ont été inférieures de 21 milliards d'euros.

 

Selon Bercy, cet écart est principalement dû au rapide recul de l'inflation. « D'une certaine façon, c'est le revers de la médaille », avance Bruno Le Maire. Avec des prix qui progressent moins vite, les recettes de TVA sont moins dynamiques . Bercy en attendait plus de 96 milliards, il n'en aura perçu finalement que 92 milliards.

 

Et ce n'est pas tout. « Comme le SMIC est indexé sur l'inflation et que la moyenne des salaires suit également les augmentations du SMIC, nous avons des recettes de cotisations salariales et d'impôt sur le revenu qui sont beaucoup plus faibles », poursuit le ministre. Au total, les recettes liées au travail sont inférieures de 7,6 milliards.

 

De mystérieuses mauvaises surprises

Bercy s'est également fait surprendre par la baisse des « frais de notaires » (-20 %), alors que les ventes immobilières ont connu un ralentissement inédit depuis l'après-guerre, en raison de la hausse des taux d'intérêts. Les droits de mutation devaient rapporter 1 milliard d'euros à l'Etat ; il a dû se contenter de 800 millions - soit une baisse marquée de 20 %.

 

Deux autres mauvaises surprises restent encore assez mystérieuses. La première est le rendement décevant de l'impôt sur les sociétés - 4,4 milliards de moins qu'escompté. Bruno Le Maire a simplement souligné le rôle des sociétés financières et promis de creuser le sujet.

 

Enfin, le gouvernement n'a pu que constater le complet échec de sa taxe exceptionnelle sur les profits des énergéticiens - la fameuse CRIM (contribution sur les rentes inframarginales). Lors de sa conception, elle était censée rapporter 12,3 milliards en 2023. A l'automne, le gouvernement n'en attendait plus que 3,7 milliards. En décembre, ce chiffre était à nouveau abaissé à 2,8 milliards. Finalement, Bercy n'aura réussi à capter que… 300 millions - soit moins de 1 % des marges bénéficiaires empochées par les producteurs, distributeurs et intermédiaires du marché de l'électricité selon un récent rapport de la Cour des comptes.

 

« Cela pose un problème de justice et d'efficacité fiscale, a concédé Bruno Le Maire, qui en appelle aux parlementaires « pour renforcer l'efficacité de cette contribution exceptionnelle sur les profits des énergéticiens ». Le gouvernement s'est même dit prêt à retravailler les paramètres de sa taxe sur les producteurs d'électricité « en cours d'année ».

 

Ces explications sont loin d'avoir convaincu les oppositions. « Soit on est face à un mensonge, soit les outils de Bercy ne sont plus adaptés », a estimé la députée PS Christine Pirès Beaune. A droite, le ton est encore plus offensif dans la bouche d'Olivier Marleix, le chef du groupe LR à l'Assemblée, évoquant « un maquillage des comptes du pays, ce qui est d'une extrême gravité », et renvoyant aux travaux du sénateur LR Jean-François Husson.

 

« Rétention d'informations »

Le rapporteur général du budget au Sénat s'était rendu à Bercy en fin de semaine dernière pour exhumer les notes techniques de l'administration ces derniers mois . « Une première note en décembre prévoyait déjà que le déficit atteindrait au moins -5,2 % en 2023, puis une seconde note en février annonçait -5,6 % et prévoyait la nécessité de faire 30 milliards d'économies. Mais le gouvernement a procrastiné, réagissant tardivement avec seulement 10 milliards d'économies », dénonce Jean-François Husson, qui parle de « rétention d'informations ».

 

Bruno Le Maire balaie ces accusations d'insincérité. « Je les trouve mensongères et déplacées », a-t-il expliqué. Il met en avant les 8 milliards d'annulations de crédits décidés en novembre pour 2023, avant le plan d'économies de 10 milliards pour 2024. « Cela fait 18 milliards en tout, nous avons pris les décisions nécessaires. » « Nous contestons fermement avoir caché quoi que ce soit. La fameuse note de décembre de la Direction du Trésor recommandait de ne pas prendre de décisions au vu des incertitudes », explique Thomas Cazenave.