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Dans leur voiture à l’arrêt, le couple refuse de se soumettre à l’éthylotest et répète une formule cryptique : « je ne contracte pas ». Une formule chère aux « citoyens souverains », signifiant qu’ils ne reconnaissent pas l’autorité des forces de l’ordre.

Autre particularité : les deux personnes donnent leur nom et prénom et ajoutent « par ouï-dire », un terme qui déroute quelque peu les gendarmes. La formulation rejoint la théorie conspirationniste du supposé vol d’identité par l’Etat, développée par les « citoyens souverains » aussi appelés « êtres souverains ».

 

La tension, palpable, monte rapidement et l’interaction s’éternise, ce qui met à mal la patience des gendarmes… et se solde, après l’éclatement d’une vitre du véhicule, par l’interpellation du couple. Le conducteur a été placé brièvement en garde à vue.

• Qui sont les « citoyens souverains » ?

Les phrases utilisées par le couple renvoient à l’argumentaire du mouvement antisystème des « citoyens souverains », apparu aux Etats-Unis dans les années 1970. Une mouvance qui s’est exportée dans le monde anglo-saxon et en France, où elle s’est manifestée à travers le mouvement One Nation, cofondé par Alice Pazalmar, explique à l’AFP le spécialiste de l’extrémisme en ligne Tristan Mendès France, qui évoque aussi une « hybridation avec le mouvement covido-complotiste ».

 

Le mouvement des « citoyens souverains » soutient que la République française est une entreprise privée, sous prétexte qu’elle a un numéro de Siret et DUNS, qui servent à répertorier l’ensemble des sociétés. Les complotistes affirment que « toutes les gendarmeries, tous les ministères, tous les services de police, tous les centres des impôts » sont des sociétés étrangères car elles possèdent ces numéros, et sont notamment affiliées au gouvernement des Etats-Unis puisque le numéro DUNS (l’équivalent du Siret à l’échelle mondiale) est délivré dans le pays, comme l’expliquent « Libération » et « 20 Minutes ».

Leur argumentaire repose sur ces numéros d’identification, or ces derniers ne sont pas exclusivement destinés aux entreprises privées, mais aussi aux organismes publics ou aux associations. Ils permettent de gérer les transactions nécessaires au fonctionnement de ces services, et de protéger le nom d’une société, sans la confondre avec un homonyme.

Pour les « citoyens souverains », les gendarmes sont donc des « mercenaires sur le sol français », comme l’affirme le couple dans la vidéo, et le Code de la Route et le contrôle technique ne sont pas obligatoires. Ainsi, les lois n’en sont plus et deviennent de simples contrats, auxquels on pourrait se soustraire.

La Miviludes (Mission interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives sectaires) définit leur idéologie comme « une émancipation des citoyens vis-à-vis des Etats considérés comme illégitimes, autoritaires et non démocratiques ».

 

Les « êtres souverains » cherchent aussi à se doter d’une identité via des sites internet, en considérant que l’Etat (« l’entreprise ») leur en a attribué une à la naissance, explique au « Nouvel Obs » le chef de la Miviludes Donatien Le Vaillant. Leurs éléments de discours résident en deux points : « les injonctions de l’Etat sont illégales car les agents de l’Etat appartiennent à “l’entreprise” » et répéter « autant que nécessaires » certaines formulations lors d’une interpellation comme « je ne contracte pas » pour que les forces de l’ordre cessent comme par enchantement leur contrôle. 

 

• Qu’en est-il en France ?

« La Miviludes a reçu une vingtaine de signalements ou de demandes d’information depuis 2020 soit de la part de particuliers […] soit de services de l’Etat qui sont confrontés à des courriers atypiques », explique Donatien Le Vaillant.

Cependant, le chef de la Miviludes affirme qu’aucun « signalement d’éléments constitutifs d’une dérive sectaire » n’a été relevé à ce jour chez les « citoyens souverains », en évoquant comme critères « l’emprise mentale, des détournements financiers ou des ruptures de l’environnement familial, amical ou professionnel ».

Avant la vidéo virale de l’interpellation, le mouvement avait déjà été évoqué en avril 2021, avec l’affaire Mia. La petite fille de 8 ans avait été enlevée par sa mère Lola Montemaggi, dont elle n’avait plus la garde et qui adhérait à l’idéologie antisystème One Nation, émanation des « citoyens souverains ».

 

En septembre et octobre 2021, le même mouvement One Nation avait aussi fait parler de lui suite à sa tentative d’installer un éco-village dans le Lot par l’achat d’un terrain de plus de 200 hectares. La communauté avait souhaité se réunir sur un terrain indépendant du reste de la société, ou « souverain ». La Miviludes avait alors dénombré 650 donateurs pour 270 000 euros récoltés. « Ce projet fut finalement abandonné après que la SAFER (Société d’Aménagement Foncier et Rural) a exercé son droit de préemption » ajoute Donatien Le Vaillant.

Selon le site Conspiracy Watch, la chaîne Telegram de One Nation comptait près « de 3 500 membres avant sa suppression » et la page Facebook de la créatrice du mouvement Alice Pazalmar, suspendue au printemps 2021, « cumulait plus de 33 000 abonnés ».

 

Dans son rapport d’activité de 2021, actualisé le 28 avril 2023, la Miviludes affirme être « particulièrement vigilante concernant ce mouvement à l’influence croissante et attirant des personnes en perte de repères, ayant le sentiment de ne pas trouver de place dans la société française ».

• Qu’est devenu le couple ?

Après une garde à vue pour le conducteur suite à l’interpellation, le couple a réitéré leurs propos dans deux autres vidéos. « Il n’y a plus de Constitution ni de séparation de pouvoir, car la France est une entreprise », assure le conducteur. « Je ne contracte pas et je ne contracterai jamais », ajoute sa femme sur un ton plus ferme.

 

L’homme sera jugé le 1er octobre à Dunkerque pour refus de se soumettre aux vérifications du véhicule et du conducteur, au contrôle d’alcoolémie et de l’usage de stupéfiants, défaut d’assurance et violences volontaires sur un militaire de la gendarmerie sans incapacité. Pour ces délits, il encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.