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L’extraction des ressources naturelles atteint un rythme insoutenable

Biomasse, métaux, minerais, matières fossiles… Les Nations unies appellent à « infléchir la trajectoire » de l’usage des ressources planétaires, qui pourrait croître de 60 % d’ici à 2060 si rien n’est fait.

Par Perrine Mouterde

 

La mine de cuivre à ciel ouvert de Cobre Panama, exploitée par le canadien First Quantum Minerals, à Donoso (Panama), le 11 janvier 2024.

 La mine de cuivre à ciel ouvert de Cobre Panama, exploitée par le canadien First Quantum Minerals, à Donoso (Panama), le 11 janvier 2024. TARINA RODRIGUEZ/REUTERS

 

La consommation de ressources naturelles a triplé en cinquante ans. Si rien ne change, cet usage pourrait avoir augmenté de 60 % en 2060 par rapport à 2020. Une hausse vertigineuse qui, si elle se produit, annihilera tout espoir de limiter le réchauffement de la planète sous la barre des 2 °C et de mettre un terme à l’effondrement des espèces et des écosystèmes nécessaires à notre survie. « L’utilisation des ressources est une dimension souvent oubliée des crises climatiques et de la biodiversité. Mais si nous ne mettons pas en place des politiques plus fortes à ce sujet, nous échouerons à atteindre nos objectifs », affirme le politiste belge Hans Bruyninckx, principal auteur du Global Resources Outlook 2024.

La deuxième édition de ce panorama mondial, réalisé par le groupe international d’experts sur les ressources des Nations unies, est publiée vendredi 1er mars, cinq ans après la précédente. Son message est sans ambiguïté : il faut de toute urgence « infléchir la trajectoire » en mettant en place des changements systémiques. « Actuellement, les ressources sont extraites, traitées, consommées et jetées d’une manière qui provoque la triple crise planétaire du changement climatique, de la nature et de la pollution et des déchets, insiste Inger Andersen, la directrice exécutive du programme de l’ONU pour l’environnement. Nous devons commencer à les utiliser de manière durable et responsable. »

 

Le développement d’infrastructures pour les logements et la mobilité ainsi que les systèmes alimentaires et énergétiques, corrélés à la hausse du niveau de vie, sont les principaux facteurs expliquant la hausse de la demande en matériaux. Plus de 106 milliards de tonnes de biomasse, de combustibles fossiles, de métaux et de minerais non métalliques devraient être extraites en 2024, contre 30 milliards en 1970. En moyenne, chaque personne utilise 13,2 tonnes de matériaux chaque année, contre 8,4 tonnes il y a cinquante ans.

Usage profondément inégalitaire

Conséquence de l’explosion du secteur de la construction, le sable, le gravier, l’argile ainsi que les autres minerais non métalliques représentent désormais la moitié de l’ensemble des ressources extraites. La part de la biomasse (qui inclut notamment les cultures, les résidus de cultures ou le bois) a en revanche chuté, au cours des dernières décennies, de 41 % à 25 %, et celle des matières fossiles de 20 % à 10 %. Si, en proportion, les métaux ne représentent que 10 % des ressources extraites, la demande a augmenté de 2,6 % par an et devrait continuer à croître puisque nombre d’entre eux sont indispensables à la transition énergétique.

 

Pour les auteurs du rapport, les impacts de l’extraction et de la transformation de ces ressources sont « ahurissants » : cultiver et récolter de la biomasse, extraire des minerais, des métaux, du gaz, du pétrole et du charbon et transformer ces matériaux, combustibles et aliments a généré, en 2022, plus de 55 % des émissions de gaz à effet de serre responsables du dérèglement climatique. L’usage de ces ressources est à l’origine d’environ 40 % des impacts sur la santé liés à la pollution de l’air, et la culture et la récolte de biomasse, par le biais du système agricole, est l’une des principales causes de perte de biodiversité terrestre et de stress hydrique.

 

L’usage des ressources est aussi profondément inégalitaire : les pays développés en utilisent six fois plus et sont responsables de dix fois plus d’effets néfastes pour le climat que les pays à faible revenu. Ces derniers, qui sont souvent le lieu d’où sont extraits les matériaux et les premières victimes des conséquences environnementales et sociales de ces activités, n’en retirent que très peu de bénéfices économiques. « Des milliards de personnes, notamment sur le continent africain, vont avoir besoin de davantage de ressources pour construire des villes acceptables en termes de conditions de vie, des infrastructures pour la mobilité, la santé, souligne Hans Bruyninckx. L’un des éléments-clés de ce rapport, c’est qu’il montre que nous allons accroître l’utilisation de ressources sur cette planète, mais qu’il faut le faire de manière durable et les répartir plus équitablement. »

Agir sur la demande

Même si les combustibles fossiles n’étaient quasiment plus utilisés en 2060, les chercheurs du groupe d’experts estiment que la demande totale pour les autres ressources ne pourra pas diminuer à cet horizon. Ils appellent, toutefois, à limiter au maximum cette croissance. A partir de travaux de modélisation de différentes trajectoires, ils estiment qu’il est possible tout à la fois de réduire l’usage des ressources, de faire croître l’économie, de réduire les inégalités, d’améliorer le bien-être des populations et de réduire drastiquement les impacts environnementaux de l’extraction et de la transformation.

 

Ce scénario « idéal » nécessite toutefois des changements « radicaux et audacieux ». D’abord, si les besoins des pays en développement vont augmenter, ceux qui consomment aujourd’hui le plus de ressources devront nécessairement réduire leurs usages. Pour cela, le rapport appelle les gouvernements à agir sur la demande, par exemple en mettant en place des politiques incitant à diminuer la consommation de viande, à rendre les villes plus compactes ou à développer les transports en commun.

« Nous ne considérons pas que mettre en œuvre ces changements relève de la responsabilité individuelle des citoyens, précise Hans Bruyninckx. Nous avons des systèmes de production, mais nous avons également des systèmes de consommation. Vous pouvez concevoir la demande de mobilité dans une ville de telle manière que tout le monde saute dans sa voiture, ou faire en sorte que le choix évident soit de faire du vélo et de prendre les transports en commun. » Combinées à des progrès en termes d’efficacité, ces mesures pourraient permettre de n’augmenter la demande que de 20 % d’ici à 2060 par rapport à 2020, selon les chercheurs.

Améliorer la prise en compte de l’enjeu des ressources dans les accords internationaux et à l’échelon national, mettre en place une Agence internationale des ressources sur le modèle de l’Agence internationale de l’énergie, faire en sorte que le coût réel de l’extraction des matériaux soit reflété dans l’économie et le commerce, développer l’économie circulaire et le recyclage… Le rapport propose aux décideurs plusieurs pistes d’action concrètes.

« Sur le climat, sur la biodiversité, sur les ressources, tous les experts disent la même chose : nous sommes à un moment charnière, rappelle Hans Bruyninckx. Six des neuf limites planétaires ont été franchies et nous observons déjà des dommages irréversibles. Nous devons donc agir de manière urgente, en changeant d’échelle et de vitesse. C’est possible, car l’économie ne suit pas les lois de la physique, mais celles des humains. Nous pouvons donc changer les règles du jeu. »

Perrine Mouterde