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La chanteuse britannique Marianne Faithfull est morte

La chanteuse, autrice et actrice anglaise à la vie aussi agitée que romanesque, qui fut la muse des Rolling Stones, s’est éteinte à l’âge de 78 ans à Londres, a annoncé un porte-parole, jeudi.

Par Stéphane Davet

Marianne Faithfull, en 1979 à Londres.

Marianne Faithfull, en 1979 à Londres. DENNIS MORRIS

 

Sa voix de rocaille racontait l’histoire d’une vie pleine d’embardées. Marianne Faithfull avait survécu aux montées trop euphoriques des années 1960, aux descentes vertigineuses des années 1970, aux rechutes des années 1980, à un corps souvent brisé depuis les années 2000. Overdoses, arrêt cardiaque, cancer du sein, fractures à répétition, covid-19… A chaque fois, la chanteuse, auteure et actrice anglaise avait ressuscité, en se réinventant, dépassant ses statuts de muse sexuelle des Rolling Stones, de junky maudite ou d’icône rock, pour s’affirmer avec caractère, humour et puissance créatrice, comme l’une des plus marquantes personnalités de la chanson internationale. Mais cette aristocrate indomptée a fini par succomber.

La chanteuse et actrice britannique, connue pour sa chanson « As Tears Go By », s’est éteinte à l’âge de 78 ans à Londres, a annoncé un porte-parole jeudi dans une déclaration transmise à l’AFP. « C’est avec une profonde tristesse que nous annonçons le décès de la chanteuse, compositrice et actrice Marianne Faithfull. Elle s’est éteinte paisiblement à Londres aujourd’hui, en compagnie de sa famille. Elle nous manquera beaucoup », est-il indiqué.

 

Riche en dramaturgie, sa vie avait le romanesque ancré dans les gènes. Née à Londres, dans le quartier d’Hampstead, le 29 décembre 1946, Marianne Evelyn Gabriel Faithfull était la fille d’un Gallois, Simon Faithfull, professeur d’italien, major de l’armée britannique, espion attaché à l’Intelligence Service. Il avait épousé, durant la guerre, Eva Erisso, son contact à Vienne. Née à Budapest, cette baronne autrichienne d’ascendance juive, danseuse dans la compagnie viennoise de Max Reinhardt, était l’arrière-petite-nièce de Leopold von Sacher-Masoch, écrivain aristocrate apparenté aux Habsbourg, dont le roman érotique, La Vénus à la fourrure (1870), en avait fait le théoricien du masochisme.

 

Après avoir vécu un temps, avec ses parents, dans une communauté agricole des environs d’Oxford, la jeune Marianne suit sa mère dans le quartier ouvrier de Reading quand celle-ci divorce du major Faithfull, en 1953. Désargentée, la maman parvient à faire accueillir sa fille dans une institution religieuse, la St Joseph’s Roman Catholic Convent School, où elle passe toute sa scolarité. Adolescente, c’est là que la future chanteuse s’initie au théâtre et à la musique, révélant un joli brin de voix. Encore rangée, elle hésite, à 17 ans, entre « étudier la littérature anglaise, la philosophie, l’étude comparée des religions », comme elle le rappelait à Annick Cojean, en 2016, dans un entretien accordé au Monde. Elle donne aussi ses premiers concerts dans des cafés, avec un répertoire folk. En 1964, sa rencontre avec un marchand d’art, John Dunbar, bouleverse ses plans.

Une pureté angélique

Introduit dans le milieu turbulent du Swinging London, le jeune homme l’invite à une fête organisée par le nouveau manageur des Rolling Stones, Andrew Loog Oldham. Ce dernier, fasciné par le magnétisme et l’éclatante blondeur de Marianne, lui propose le soir même de devenir son producteur et d’enregistrer un premier 45-tours. Il réquisitionne pour cela ses poulains, Mick Jagger et Keith Richards, dont la ballade romantique, As Tears Go By – leur première composition commune, jugée trop sentimentale pour le groupe –, est confiée à la jeune femme. Enregistré et publié cette même année, le single est un succès immédiat (n° 9 au hit-parade britannique, n° 22 aux Etats-Unis).

 

Dans une même veine pop-folk aux arrangements raffinés, Oldham lui fait enregistrer d’autres réussites comme ou une reprise du Blowin’ in The Wind, de Bob Dylan, figurant bientôt dans ses premiers albums. Frange rideau, minijupe, Faithfull irradie alors d’une pureté angélique, distillée par une voix encore sans aspérités, mais non sans charme.

Devenue figure de la bouillonnante scène londonienne, son aura se fait plus sulfureuse quand, en 1965, elle quitte John Dunbar – qu’elle vient d’épouser et avec qui elle vient d’avoir un fils, Nicholas – pour céder aux avances de Mick Jagger. Emportée par la frénésie festive des sixties consumant l’innocence dans un tourbillon d’expériences, qu’elle qualifiera plus tard de « recettes pour le désastre », elle est présente, en 1967, dans la maison du Sussex où Jagger et Richards sont arrêtés pour possession d’amphétamines. La police fait savoir qu’on a découvert la descendante de Sacher-Masoch, nue dans un manteau de fourrure.

 

Intime de Brian Jones et d’Anita Pallenberg, avec qui elle s’initie aux extases lysergiques et à l’occultisme, elle délaisse la chanson pour le théâtre (Les Trois Sœurs, de Tchekhov) et des apparitions au cinéma, notamment dans un rôle très « cuir » aux côtés d’Alain Delon dans La Motocyclette (1968), de Jack Cardiff, inspiré d’un récit érotique d’André Pieyre de Mandiargues. Sa carrière de musicienne s’étiole, malgré un 45-tours, Something Better, sur la face B duquel figure la première version de Sister Morphine, que Faithfull coécrit avec Jagger et Richards (il faudra des années et une longue bataille juridique pour que la chanteuse soit officiellement créditée).

 

Accro à la cocaïne

Souvent considérée comme l’année refermant la parenthèse enchantée des  sixties , 1969 est une année noire pour les Stones (mort de Brian Jones, désastre du concert d’Altamont en Californie) et leur muse. Accro à la cocaïne, celle-ci perd le bébé qu’elle attend de Mick Jagger. Partie suivre son compagnon en Australie sur le tournage du film Ned Kelly, elle tente de se suicider en s’administrant délibérément une surdose d’héroïne. Séparée du chanteur des Stones en 1970, on dit d’elle qu’elle a inspiré plusieurs titres des stars du rock britannique : Sympathy for The Devil, You Can’t Always Get What You Want, Wild Horses, I Got The Blues

Dénonçant le sexisme latent du terme muse (« le pire job du monde ! »), Marianne Faithfull disait de son ancien amant, dans Le Monde, en 2016 : « On colle toujours son nom au mien, mais j’aurais pu faire sans lui ! Et j’aurais eu du succès quoi que je fasse, j’en suis certaine. J’étais intelligente, et il y avait quelque chose de très fort en moi. Il n’a pas été la seule chance de ma vie, sinon je ne serais pas encore là ! »

 

Il lui faudra pourtant du temps pour remonter la pente après cette séparation. Elle fait bien quelques apparitions au théâtre, duettise à la télévision avec David Bowie pour une reprise de I Got You Babe, de Sonny and Cher. Mais les années 1970 la voient surtout s’enfoncer dans l’alcool et la dépression. Anorexique, elle erre sans domicile fixe dans les rues de Soho. De rares enregistrements – l’album country Dreamin’ My Dreams, en 1975-1976 – révèlent pour la première fois les échos vocaux de ses fêlures. Laryngites chroniques et abus de drogues n’ont pas fini de transformer son chant.

Une voix rauque et déchirante

A la fin des années 1970, elle épouse Ben Brierley, compagnon de squat et bassiste du groupe punk The Vibrators. La radicalité musicale du moment, envoyant valser l’héritage hippie, lui inspire-t-elle une nouvelle approche ? Ils étaient rares ceux qui, en tout cas, s’attendaient à la résurrection qu’allait constituer l’album Broken English, paru en 1979, à la faveur d’un nouveau contrat avec la maison de disques Island. Pour la première fois, la dame a pris la plume pour écrire elle-même plusieurs de ses chansons. Sa voix, surtout, désormais rauque et déchirante, apporte une exceptionnelle densité émotionnelle à des titres – Broken English (dédiée à Ulrike Meinhof), The Ballad of Lucy Jordan, la reprise du Working Class Hero, de John Lennon… –, servis aussi par des guitares et synthétiseurs nouvelle vague.

 

Ce triomphe inattendu enclenche un nouveau cycle d’albums – Dangerous Acquaintances (1981), produit par Steve Winwood ; A Child’s Adventure (1983), réalisé en Jamaïque par Wally Badarou –, sans que la désormais New-Yorkaise parvienne à surmonter ses addictions. Jusqu’à une cure de désintoxication décisive, en 1985, à la clinique Hazelden, dans le Minnesota, brisant cette longue spirale toxique.

Autre étape d’importance, sa participation, la même année, à Lost in The Stars, disque hommage à Kurt Weill supervisé par le réalisateur et arrangeur Hal Willner. Faithfull y reprend The Ballad of The Soldier’s Wife et se réapproprie une partie de son histoire – celle d’une grand-mère juive, d’une mère viennoise, d’un père amoureux de Marlene Dietrich… –, d’autant plus facilement que son timbre résonne désormais des vibrations des cabarets de la Mitteleuropa.

 

Avec la complicité du raffiné Hal Willner, féru des musiques d’avant le rock, l’ex-icône du Swinging London va se réinventer alors en chanteuse expressionniste parcourant aussi les répertoires du jazz, du blues et de Tin Pan Alley. En 1987, elle enregistre ainsi avec lui le très beau Strange Weather, reprenant des airs lents et désespérés du music-hall, avec cordes, cuivres et des musiciens comme Dr. John, Bill Frisell ou Robert Quine.

Un mythe vivant

Depuis toujours « fascinée par le mélange de dureté et d’enthousiasme » des musiques de Weill, elle consacre une grande partie des années 1990 à interpréter le musicien de Bertolt Brecht. Qu’il s’agisse de créer Les Sept Péchés capitaux avec l’Orchestre symphonique de la radio de Vienne, de reprendre le rôle de Jenny la pirate dans L’Opéra de quat’sous, ou de tourner en cabaret avec le pianiste Paul Trueblood, avec qui elle enregistre un album live dans la salle parisienne du New Morning, 20th Century Blues (1997). Marqué aussi par cette influence, l’envoûtant A Secret Life (1995), coécrit, arrangé et réalisé par Angelo Badalamenti, fidèle complice de David Lynch, est l’un des sommets de sa discographie.

Managée depuis 1994 par le Français François Ravard, ancien manageur du groupe Téléphone, qui, durant quinze années, deviendra aussi son compagnon, l’Anglaise, fan d’Edith Piaf et de Juliette Gréco, s’installe à Paris. Après avoir enregistré un single et tourné une vidéo, The Memory Remains (1997), avec le groupe Metallica, Lady Marianne peut mesurer qu’elle est devenue un mythe vivant pour de nombreux artistes de rock. Au début des années 2000, deux albums le confirmeront avec réussite en multipliant les collaborations. Paru en 2002, Kissin’ Time la voit interpréter des morceaux composés spécialement par Beck, Billy Corgan, des Smashing Pumpkins, Jarvis Cocker, de Pulp, Damon Albarn, de Blur ou Etienne Daho. En 2004, PJ Harvey et Nick Cave s’ajoutent au casting pour un disque plus radical, Before The Poison.

Chanteuse experte en théâtralité, Faithfull remonte sur scène, en 2004, pour la pièce musicale The Black Ryder, cosignée par Tom Waits et son ami William Burroughs. Elle revient aussi régulièrement au cinéma, dans Intimité (2001), de Patrice Chéreau, en Marie-Thérèse d’Autriche, dans le Marie-Antoinette (2006), de Sofia Coppola, et surtout en grand-mère courage, employée de sex-shop, dans Irina Palm (2007), du Belge Sam Garbarski.

Une femme de caractère

Si elle a pris plusieurs fois le temps de se consacrer à ses mémoires (dernières en date : Mémoires, rêves et réflexions,Christian Bourgois, 2008), la chanteuse a régulièrement vu ses tournées s’annuler pour ennuis de santé, depuis le milieu des années 2000. En 2006, c’est un cancer du sein (vaincu en 2007) qui la fait renoncer, avant de souffrir de fractures à la hanche et à la cheville, ou d’être rattrapée par un corps souvent mis à mal durant ses jeunes années.

Femme de caractère, elle repartait pourtant à l’attaque, sur scène, pour déclamer des sonnets de Shakespeare, accompagnée par le violoncelliste français, Vincent Ségal, ou pour enregistrer de nouveaux albums (le jazzy, Easy Come, Easy Go, en 2008 ; Horses and High Heels, en 2011 ; Give My Love to London, en 2014), entourée d’admirateurs comme Nick Cave, Ed Harcourt, Mark Lanegan, Brian Eno ou Warren Ellis.

 

Après avoir été l’objet d’un émouvant documentaire, Marianne Faithfull, fleur d’âme, réalisé par Sandrine Bonnaire, en 2016, elle avait enregistré un dernier disque, Negative Capability (2018), de chansons à vif où elle disait vouloir parler « d’amour et de solidarité ». Dans They Come at Night, elle évoquait les attentats parisiens du 13 novembre 2015 (elle avait rejoué au Bataclan, le 24 novembre 2016), et dans Born to Live, le souvenir de son amie Anita Pallenberg, autre muse stonienne, disparue en 2017.

En avril 2020, atteinte du covid, elle avait frôlé la mort. Plongée dans le coma, en soins palliatifs pendant des semaines, elle avait résisté à cette nouvelle épreuve. Marianne Faithfull réussissait même à terminer, en duo avec le multi-instrumentiste Warren Ellis, She Walks in Beauty, un recueil de poèmes romantiques anglais (John Keats, Lord Byron, William Wordsworth...) lus de sa voix rauque. Quelques mois après, Warren Ellis nous avait confié : «  Marianne est tout ce que tu penses qu’elle n’est pas. Et elle n’est pas tout ce que tu penses qu’elle estOn l’imagine dure, coriace. Mais elle est aussi incroyablement douce, drôle, poétique, capable de croire aux fées…  ».

 

Marianne Faithfull en quelques dates

29 décembre 1946 Naissance à Londres

1964 Rencontre avec son premier mari, John Dunbar

1965 Première chanson composée par Mick Jagger et Keith Richards, « As Tears Go By »

1968 Joue dans « La Motocyclette », de Jack Cardiff, avec Alain Delon

1970 Séparation d’avec Mick Jagger

1978 Mariage avec Ben Brierley

1979 Album « Broken English », dont elle a écrit plusieurs chansons

1995 Album « A Secret Life », coécrit, arrangé et réalisé par Angelo Badalamenti

2007 Joue dans « Irina Palm », de Sam Garbarski

2021 Dernier album « She Walks in Beauty »

Janvier 2025 Mort à 78 ans à Londres